Dépistage dans les Ehpad : les maires peuvent jouer « un rôle essentiel »
Les Ehpad deviennent, au fil des jours, un des principaux fronts de la guerre contre le covid-19. Après avoir longtemps tardé à donner des chiffres de mortalité dans ces établissements, faute de « données consolidées », le ministère de la Santé le fait depuis plusieurs jours – et les chiffres montent de jour en jour. Hier, on en était à 2 417 morts dans les Ehpad, et le bilan n’est que partiel. Olivier Véran, le ministre de la Santé, a annoncé qu’une « vaste opération de dépistage » allait être lancée dans ces établissements.
Il s’agit de « tester tous les résidents et tous les personnels à compter de l’apparition du premier cas confirmé au sein de l’établissement », afin, dans un deuxième temps, de « regrouper les cas positifs au sein de secteurs dédiés pour éviter la contamination d’autres résidents. » Le ministre a annoncé qu’il allait s’appuyer sur les départements pour mener « ces actions massives de dépistage » dès aujourd’hui.
L'initiative d'un maire médecin
Mais les maires peuvent aussi jouer un rôle essentiel dans cette action. C’est ce qu’affirme par exemple Philippe Juvin, maire de La Garenne-Colombes, dans les Hauts-de-Seine, lui-même médecin urgentiste et chef du service des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris. Hier, Philippe Juvin a signé un arrêté municipal imposant un test de dépistage à « l’ensemble des résidents » et « l’ensemble du personnel » non seulement des Ehpad mais également de « tous les établissements sociaux et médico-sociaux » de sa commune.
Le maire s’appuie en la matière sur son pouvoir de police municipale, qui lui impose « le soin de prévenir, par des précautions convenables, les maladies épidémiques ou contagieuses » (article L2212-2 du CGCT). « Cet arrêté va un peu plus loin que ce qui a été annoncé hier par Olivier Véran, explique Philippe Juvin à Maire info, puisque le ministre parle de tests systématiques après constatation d’un premier cas. Je trouve cela un peu curieux, dans la mesure où nous savons tous qu’il existe des patients asymptomatiques. Pour moi, il faut tester tout le monde – mais la décision du gouvernement va évidemment dans le bon sens ».
Le maire, dans une action de ce type, peut jouer un rôle de « chef d’orchestre ». « Son premier rôle, c’est de donner, en quelque sorte, le top départ », explique le maire de La Garenne-Colombes, « et c’est le sens de mon arrêté qui contraint les établissements à procéder à ces tests ».L’arrêté impose également que les résultats (anonymisés) des tests soient transmis « sans délai » au maire, accompagnés « d’un schéma des étages d’hébergement de l’établissement », afin de pouvoir ensuite concevoir un plan de séparation des patients infectés et des patients qui ne le sont pas.
« Pour moi, les choses sont un peu plus faciles parce que c’est mon métier, reconnaît Philippe Juvin, et tous les maires n’ont pas forcément une culture scientifique ou médicale. Il est indispensable de s’entourer d’avis professionnels. Mais les maires peuvent – et ils en ont l’habitude – s’appuyer sur les compétences qui existent dans leur commune : un médecin qui ferait partie du conseil municipal, par exemple, ou un professionnel de santé de la commune. Les agences régionales de santé doivent également être associées et elles peuvent apporter de précieux conseils. »
Il est aussi indispensable de pouvoir s’appuyer sur un laboratoire d’analyse – s’il y en a un dans la commune – en lui demandant s’il est en mesure d’assurer des tests PCR (prélèvements dans le nez) ou à défaut d’autres tests. Il faut prendre toutes les précautions nécessaires lors de ces tests pour protéger les personnes chargées de le faire – le prélèvement étant « à très haut risque » de se faire contaminer. Il faut notamment que les « préleveurs » se changent entre chaque patient, afin de ne pas risquer de transmettre le virus d’un résident à l’autre.
Rôle « irremplaçable » des maires
Pour organiser ce test massif, Philippe Juvin s’est adressé, en amont, aux responsables des établissements : « Je les ai appelés et leur ai expliqué pourquoi il fallait le faire et comment on allait le faire. En les rassurant sur le fait que la commune allait les soutenir de toutes les façons possibles. Pour épauler les professionnels de santé des établissements, on a fait monter au front non seulement des médecins et infirmières libérales de la commune, mais également des agents municipaux : professionnels de santé, infirmières, mais aussi du personnel technique, par exemple parce qu’il faut des bras pour le brancardage. »
« C’est cela, être maire, conclut Philippe Juvin. Savoir s’adapter, s’appuyer sur les compétences, mobiliser les savoir-faire. » Le maire connaît sa commune et ses habitants et sait, en particulier, où il peut aller chercher de l’aide. Ce rôle, qu’il joue du reste chaque jour même en dehors des crises, devient « irremplaçable » lorsque de tels événements surviennent.
Reste que bien des maires, même s’ils voulaient imiter l’exemple de Philippe Juvin, se trouveront pour l’instant bloqués par le manque de tests de dépistage, en nombre encore insuffisant. Si, à La Garenne-Colombes, le maire a pu s’appuyer sur les tests fournis par les laboratoires, de nombreux territoires font état d’une carence réelle. Hier, d’ailleurs, l’association France urbaine (maires des grandes villes) lançait par communiqué une nouvelle alerte sur ce sujet, en alertant le gouvernement sur « l’extrême urgence à agir (pour) déployer ces tests de manière quotidienne, aussi bien en PCR qu’en sérologie, en veillant à intégrer dans le dispositif les résidences-autonomie, les résidences seniors et également les établissements accueillant des personnes en situation de handicap. »
Devoir de transparence
Enfin, le maire de La Garenne-Colombes a fait figurer dans l’arrêté la nécessité de rendre publics les résultats de la campagne de tests, et la possibilité de « les exploiter à des fins épidémiologiques, y compris en vue de publication scientifique ». Il estime que dans une telle crise, « la question de la transparence est absolument fondamentale. Le maire ne peut pas casser la confiance. »
Cette question de la transparence, par rapport à la mortalité dans les Ehpad, est en effet problématique. Hier encore, dans une lettre au préfet de l’Ardèche, les cinq députés et sénateurs du département, le président du conseil départemental et celui des maires de l’Ardèche, Maurice Weiss, ont demandé que des résultats complets soient communiqués aux élus et à la population.
Le chiffre communiqué par l’ARS (27 décès dans les Ehpad du département) ne semble en effet pas crédible pour les élus : « Nous avons la certitude que ces chiffres sont très en en-deçà de la réalité », explique ce matin Maurice Weiss à Maire info. « Nous n’accusons personne de désinformation, précise le maire de Saint-Agrève, nous comprenons parfaitement qu’il existe de très grandes difficultés pour obtenir des chiffres consolidés. Mais nous voulons comprendre. Selon l’Insee, le nombre de morts dans le département entre mars 2019 et mars 2020 a bondi de 44 %. Nous avons 70 Ehpad, il est évident que la surmortalité vient en grande partie de là. »
Ce que veulent éviter les élus, c’est « une bombe à retardement qui exploserait à la figure de tout le monde à l’avenir, conclut Maurice Weiss. Une transparence totale est indispensable. Un jour, il y aura un bilan, et ce jour-là, si les chiffres sont trop éloignés de ce qui a été annoncé, nous en prendrons tous plein la figure – et on nous dira : ‘’Pourquoi n’avez-vous rien dit ?’’. C’est cela que nous voulons éviter. »
Hervé Saulignac, député de l’Ardèche, le dit plus directement encore : « Nous sommes dans une guerre. Et dans une guerre, on compte ses morts. »
Franck Lemarc
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