Covid-19, loi d'urgence et urbanisme : des ordonnances (très) attendues
Au delà de la notion nouvelle d’« état d’urgence sanitaire », et mis à part le volet électoral, la loi publiée ce matin apporte des débuts de réponse aux dilemmes qui se posent aux élus locaux, tenus d’assurer la continuité des services publics, tout en préservant la santé de leurs agents. Issue d’un compromis entre sénateurs et députés, la loi d’urgence du 23 mars renvoie en ce sens à de (très) nombreuses ordonnances pour faire évoluer provisoirement le droit existant au regard du contexte actuel.
En matière d’urbanisme, deux dispositions sont à retenir : les a) et b) de l’article 11-I-2°, qui renvoient à des ordonnances le soin de prévoir toute mesure « adaptant les délais et procédures applicables au dépôt et au traitement des déclarations et demandes présentées aux autorités administratives, les délais et les modalités de consultation du public ou de toute instance ou autorité, préalables à la prise d’une décision par une autorité administrative et, le cas échéant, les délais dans lesquels cette décision peut ou doit être prise ou peut naitre ainsi que les délais de réalisation par toute personne de contrôles, travaux et prescriptions de toute nature imposées par les lois et règlements, à moins que ceux-ci ne résultent d’une décision de justice » (a), et « adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d'un droit, fin d'un agrément ou d'une autorisation ou cessation d'une mesure, à l'exception des mesures privatives de liberté et des sanctions (…). » (b).
Rétroactivité
Traduction de l’universitaire Vincent Legrand, spécialiste des questions d’urbanisme et d’aménagement : le a) désigne les délais et procédures de dépôt et de traitement des demandes d’autorisation à venir, pour répondre – notamment – à l’hypothèse que des demandes de permis aient été déposées pendant le confinement, tandis que le b) traite des délais d’instruction des demandes déposées antérieurement au confinement – nombreuses, dans la « panique » précédant cette période. Mais la rédaction générale du texte devrait laisser une grande latitude aux collectivités pour adapter les règles d’urbanisme sur leur territoire – toujours dans le cadre des ordonnances à venir, dernier – et non des moindres – point d’interrogation. Une chose est sûre : les mesures prises dans ce cadre pourront entrer en vigueur de façon rétroactive à compter du 12 mars 2020, et être « étendues et adaptées aux collectivités territoriales », selon la loi d’habilitation.
En attendant ces textes cruciaux, le ministère de la Cohésion des territoires a fait parvenir aux DDT et aux élus un guide d’aide à la décision, mis à jour régulièrement, énonçant certaines recommandations pour faire face à ce contexte si particulier. Il indique notamment que « des services publics locaux facultatifs, jugés non essentiels, peuvent être fermés sur décision de l’autorité locale compétente », dont les « services chargés de recueillir les demandes d’autorisation d’urbanisme ». A contrario, il semblerait que l’instruction des demandes ne fasse pas partie de cette notion de « service public facultatif » …
Cependant, le guide assurait, avant la publication de la loi, que « les services d’urbanisme pourront voir leur activité réduite dès lors que le projet de loi d’urgence prévoit une suspension du délai légal de traitement des autorisations d’urbanisme », de même que « l’inactivité d’un service ne génèrera pas, au cours de cette période, une décision implicite de la commune ».
C’est là l’une des grandes craintes des services instructeurs, des décisions d’acceptation tacites liées au principe du « silence vaut accord » (en particulier les déclarations d’intention d’aliéner vs le droit de préemption) pouvant naître, alors même que les services ne sont pas en mesure d’y répondre. Pour Olivier Pavy, maire de Salbris, président de la communauté de communes de la Sologne des Rivières et membre de la commission urbanisme de l’AMF, l’unique solution viable serait de « suspendre l’ensemble des délais courant dans le cadre des procédures d’urbanisme ». Et ce pour une durée suffisamment longue – un délai de six mois lui paraissant « raisonnable » – afin de permettre aux services instructeurs, une fois la période de confinement passée, de gérer le stock accumulé et reprendre au plus vite le flux des demandes à traiter. Dans sa commune, la personne chargée de l’instruction des demandes d’autorisation ne peut travailler dans le contexte de l’épidémie. Il n’y a, de fait, plus de service instructeur.
Cas par cas
Car en dépit des recommandations ministérielles, et en attendant les ordonnances, les élus locaux restent confinés dans une zone grise, et doivent travailler « à l’aveugle » – pris entre la nécessité de préserver la santé des agents, la continuité des services publics et la sécurité juridique des procédures. Contacté par Maire info, Arthur Gayet, avocat au cabinet Seban, se veut prudent : « Il est difficile de prodiguer un conseil global, la prise de décision relevant du cas par cas, selon la situation de chaque collectivité, au regard notamment des services instructeurs, des demandes en cours, et de la computation des délais engagés, etc. ». Seule préconisation du praticien : attendre les ordonnances et leur contenu avant de considérer comme acquise une suspension des délais d’instruction de manière rétroactive à compter du 12 mars. « En l’état, toute décision locale de suspension de l’instruction n’a pas pour effet d’interrompre ou de suspendre légalement les délais ». Toutefois, en l’absence de service en mesure de traiter les demandes, la force majeure pourrait également être invoquée, notion qui s’applique déjà en matière de commande publique, mais qui, en matière d’urbanisme, est « peu utilisée et très rarement retenue par le juge administratif ».
L’AMF travaille aux côtés de la direction de l'Habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) du ministère de la Cohésion des territoires pour que soient intégrées aux futures ordonnances les nombreuses questions pratiques des communes et intercommunalités depuis le début du confinement. La DHUP se veut rassurante, garantissant que les dispositions nécessaires seront prises « pour sécuriser l'ensemble de la chaîne des procédures, notamment en adaptant provisoirement l'ensemble des délais correspondants, aussi bien pour les situations en cours et que celles à venir ». Reste à voir le contenu final des ordonnances, en particulier sur la durée et les modalités de suspension de l’ensemble de ces délais. Le suspens sera court : les projets de texte seront présentés demain en Conseil des ministres.
Caroline Saint-André
Télécharger la loi du 23 mars 2020.
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