Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du vendredi 10 novembre 2023
Déchets

Consigne sur les bouteilles plastique : le gouvernement revient sur la parole donnée

Alors que le ministre Christophe Béchu s'était très clairement engagé à renoncer à la mise en place d'une consigne sur les bouteilles plastique, le 27 septembre, les élus ont eu la stupéfaction de constater qu'il n'en est rien, et que la consigne figure noir sur blanc dans la dernière version du projet de cahier des charges des éco-organismes. 

Par Franck Lemarc

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C’est bien connu : les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Mais tout de même, il faut une certaine audace pour déclarer, le 27 septembre, à la tribune des Assises des déchets à Nantes : « Nous n’allons pas mettre en place la consigne généralisée »  ; et introduire celle-ci un mois plus tard, en catimini, dans le cahier des charges actuellement en consultation publique. C’est pourtant bien ce que le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a fait. 

Trois ans de conflit

Pour comprendre l’affaire, il faut revenir un peu en arrière. Cela fait en réalité plus de trois ans, depuis 2019, que le débat sur la consigne des bouteilles en plastique fait rage. D’un côté, le gouvernement, qui semble être le porte-parole en la matière des industriels de la boisson ; de l’autre, l’ensemble des associations d’élus, le réseau Amorce et le Cercle national du recyclage. Le projet du gouvernement, qu’il tente par tous les moyens d’imposer depuis 2019, c’est de mettre en place un système de consigne, c’est-à-dire d’installer des dispositifs de collecte dans les commerces (hypermarchés par exemple), dans lesquels les consommateurs viendraient déposer leurs bouteilles vides en échange de quelques centimes. 

Ce dispositif ne présente que des inconvénients et pour les collectivités, et pour les consommateurs. Pour ces derniers, le système serait socialement injuste : car le système de la consigne suppose qu’à l’achat, les bouteilles soient plus chères – le consommateur étant censé récupérer la différence en « rendant »  la bouteille, ce que tous, loin de là, ne feront pas. Les consommateurs auraient donc à payer deux fois, une fois à l’achat, et la deuxième en s’acquittant de leur Teom ou Reom, qui servent à financer la collecte… notamment des bouteilles plastique. 

Quant aux collectivités, elles sont perdantes sur tous les terrains. La mise en place d’une consigne aurait pour conséquence le risque d’assèchement de la collecte en bacs jaunes, alors que de très nombreuses collectivités ont fait de lourds investissements sur leurs centres de tri précisément pour pouvoir traiter efficacement les bouteilles plastique qui, en volume, représente une part considérable de la collecte. Les collectivités risquent donc de se retrouver avec des installations surdimensionnées. Par ailleurs, la mise en place de la consigne aurait pour résultat de diminuer le volume de bouteilles collectées, alors que ce gisement a une certaine valeur, qui permet aux collectivités de payer une partie du service public de traitement des ordures ménagères. En privant les collectivités de cette ressource, c’est tout l’équilibre économique de la filière qui est mis en danger, avec à la clé l’obligation, pour les collectivités, de devoir augmenter la Teom ou la Reom… 

Les seuls gagnants, dans cette affaire, seraient donc les industriels, en particulier les grandes multinationales de l’agroalimentaire, qui y gagneraient la possibilité d’augmenter substantiellement leurs prix et de pérenniser le modèle économique de la bouteille plastique jetable à usage unique. D'ailleurs, dans tous les pays où elle a été déployée, la consigne s'est traduite par un accroissement sensible du nombre de bouteilles plastique consommées. Ces grandes firmes mènent depuis longtemps un lobbying acharné sur ce sujet, tant à l’échelle européenne qu’en France. 

Retour sans préavis de la consigne

Après deux ans de résistance des associations d’élus et un rapport du Sénat dénonçant la consigne comme « une fausse bonne idée », le gouvernement a fait mine de reculer. Aux Assises des déchets de Nantes, fin septembre, Christophe Béchu reconnaissait, avec un certain sens de la litote : « Force est de constater que la mise en place d’une consigne généralisée et immédiate ne remporte pas la pleine adhésion. »  Et il s’engageait donc, dans la foulée, à ne pas mettre en place la consigne. 

Tout cela au moment où le cahier des charges des éco-organismes des emballages ménagers est en cours de finalisation. En effet, le précédent arrêté « portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des déchets d’emballages ménagers », datant du 29 novembre 2016, arrive à échéance le 31 décembre. Il faut donc impérativement qu’un nouveau cahier des charges soit publié d’ici là, afin que les organismes puissent être agréés au 1er janvier 2024. 

Le gouvernement a présenté un projet d’arrêté au Cnen (Conseil national d’évaluation des normes) le 7 septembre. Pas de trace de la consigne dans le projet d’arrêté, qui avait alors reçu un avis favorable des représentants des élus. Puis, le projet d’arrêté a été mis en consultation publique, le 3 novembre, en même temps qu’il était envoyé aux membres de la Cifrep (Commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs). Surprise : la consigne est de retour. Dans la présentation de la consultation publique, il est clairement écrit : « [L’arrêté] prévoit également que l’éco-organisme réalise avant le 31 décembre 2024 une étude portant sur les modalités pratiques et organisationnelles permettant la mise en œuvre éventuelle d’un dispositif de consigne pour recyclage des bouteilles plastique pour boisson à usage unique. » 

Dans le projet d’arrêté lui-même, il est indiqué que cette étude « définit notamment les caractéristiques d'un maillage territorial des points de déconsignations de ces emballages et précise les investissements nécessaires à réaliser, ainsi que les modifications des soutiens financiers définis par le présent cahier des charges afin de garantir la bonne couverture des coûts des collectivités territoriales ». Voilà qui semble très précis pour un projet qui était, parait-il, abandonné. 

Nouvelles pénalités financières pour les collectivités

Ce rajout de dernière minute, effectué sans même avoir la correction de prévenir les associations d’élus, a de quoi irriter celles-ci. D’ailleurs, lors de la réunion de la Cifrep qui a eu lieu hier, l’affaire est mal passée : tous les collèges, en dehors de celui de l’État, ont voté contre le projet d’arrêté, dont celui des consommateurs et celui des associations environnementales. Petit événement : même la DGCL (Direction générale des collectivités locales) s’est abstenue, ce qui veut dire que même certaines administrations centrales de l’État ne sont guère enthousiastes de cette réintroduction en catimini de la consigne par le cabinet du ministre. En réalité, seule la DGPR (Direction générale de la prévention des risques) a voté pour le texte. Elle pouvait difficilement faire autrement dans la mesure où c’est elle qui portait le texte. 

Il faut également signaler un autre article du projet d’arrêté qui pose problème. L’article 10 introduit la notion de « pénalités financières »  pour les collectivités (ou du moins, on suppose qu’il s’agit des collectivités, l’article étant juridiquement particulièrement mal rédigé) si leurs performances ne correspondent pas à celles fixées dans le cahier des charges. « Des objectifs cibles permettant d’apprécier la performance de collecte pour recyclage des bouteilles plastique pour boisson à usage unique de ces personnes pour les années 2024, 2025 et 2026 seront définis durant le premier semestre 2024 ». Ce qui interroge à plus d’un titre : cet arrêté, d’un point de vue juridique, est opposable uniquement aux éco-organismes, il ne peut donc en aucun cas être le véhicule d’une mesure imposant des pénalités aux collectivités, alors que la loi ne le prévoit pas. 

Sans compter qu’introduire après l’examen par le Cnen des mesures potentiellement coûteuses pour les collectivités semble pour le moins hardi, dans la mesure où le rôle du Cnen est, précisément, de s’exprimer sur les normes et leur coût pour les collectivités. 

Quoi qu’il en soit, le ministère semble décider à publier cet arrêté en l’état… quitte à le faire modifier après le 1er janvier 2024. S’il n’était pas publié en effet, cela poserait un problème majeur puisque les éco-organismes ne pourraient pas être agréés. Reste qu’on est en droit de se demander pourquoi le gouvernement ne publierait pas l’arrêté tel qu’il a été validé par le Cnen, ce qui semblerait, tout de même, un peu plus honnête. 

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