Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mardi 22 octobre 2024
Conseils municipaux

Pourquoi un conseil municipal n'a pas le droit d'appeler à un cessez-le-feu au Moyen-Orient

En ces temps marqués par une escalade militaire et de multiples conflits, des maires peuvent être tentés d'exprimer, par le vote d'un vœu ou d'une motion, leur attachement à la paix, leur soutien à telle ou telle cause voire la demande d'un cessez-le feu. Il faut cependant rappeler que de telles motions sont, en principe, illégales, notamment au nom du principe de neutralité des services publics, et parfois annulées par les tribunaux.

Par Franck Lemarc

Le 27 août dernier, le tribunal administratif de Toulouse a validé la demande du préfet de Haute-Garonne, qui avait demandé l’annulation d’une délibération d’une commune du département prise le 28 février. Il s’agissait d’une « motion d’appel au cessez-le-feu »  dans le cadre de la guerre entre Israël et le Hamas. Cette motion ne prenait pourtant pas partie pour l’un ou l’autre camp : elle dénonçait autant « l’horreur du 7 octobre »  que « l’horreur des bombardements de civils »  et demandait : « Tout doit être fait pour arrêter les violences inadmissibles du Hamas et du gouvernement et de l’armée israéliens ». 

« Intérêt local ou communal » 

Bien que non partisane et à caractère purement pacifiste, cette délibération a été attaquée par le préfet, qui l’a déférée devant le tribunal administratif au motif « qu'elle était entachée d'illégalité, à raison de la méconnaissance des dispositions de l'article L2121-29 du Code général des collectivités territoriales faute de présenter un intérêt local ou communal ». 

Le tribunal a donné raison au préfet, en rappelant les termes de cet article L2121-29 du CGCT : « Le conseil municipal émet des vœux sur tous les objets d'intérêt local. »  Ces délibérations, a précisé le tribunal, peuvent porter sur « des objets à caractère politique », mais uniquement s’ils présentent « un intérêt local ou communal ». La délibération de la commune Haut-Garonnaise, poursuivent les juges, « exprime une position politique de la commune (…) dans le cadre d'un conflit d'ordre international opposant le Hamas à l'État d'Israël, sans que la collectivité ne démontre que celle-ci présente un intérêt local ou communal ». Verdict : il existe « un doute sérieux »  sur la légalité de cet acte, et le préfet est fondé à en demander l’annulation. 

Vaste jurisprudence

Comme le rappelle l’avocat Éric Landot dans un article de son blog, une telle décision n’a rien d’exceptionnel et une vaste jurisprudence existe sur ce sujet : « Un maire, écrit l’avocat spécialiste du droit des collectivités locales, en tant que citoyen peut manifester des opinions politiques, mais il n’a pas à y embarquer la mairie confiée à ses soins par les électeurs ». 

La question dépasse largement celle d’un appel au cessez-le-feu. Entre la question « de l’intérêt local ou communal »  et celle de la neutralité du service public, les tribunaux ont eu à de nombreuses reprises à statuer sur des cas litigieux. Ainsi, plusieurs communes ont vu les tribunaux annuler la nomination d’un « citoyen d’honneur », au motif que celle-ci « constitue une prise de position dans une matière relevant de la politique internationale de la France dont la compétence appartient exclusivement à l’État ». 

Le même type de décision a été pris concernant des dénominations de rue, ou au nom de la neutralité du service public, ou pour le motif d’immixtion dans la politique internationale de la France.

On peut encore citer le cas, un peu différent, d’un maire qui avait choisi de boycotter, dans le service de restauration scolaire de la commune, les fruits originaires des colonies israéliennes dans les Territoires occupés de Cisjordanie. L’affaire est cette fois allée plus loin qu’une simple annulation de la délibération, puisque le maire a été condamné pour « discrimination nationale, raciale ou religieuse ». La Cour européenne des droits de l’homme, saisie par le maire, a confirmé ce jugement, et ajoutant de surcroît que le maire ne pouvait se substituer à l’État « pour décréter le boycott de produits provenant d’une nation étrangère ». 

Il faut enfin rappeler que le principe de neutralité des services publics s’applique aux questions de conflits sociaux : une commune a le droit d’apporter une aide sociale aux familles de grévistes, mais pas à soutenir une grève, pas plus qu’elle ne peut apposer une banderole au fronton de la mairie pour prendre position dans un débat politique national. Le Conseil d’État a rappelé maintes fois que « le principe de neutralité du service public s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques ». Ainsi, tout récemment encore, plusieurs communes (dont, tout de même, Paris et Grenoble !) ont été épinglées pour avoir apposées au fronton de mairies des banderoles s’opposant à la réforme des retraites. 

Il faut cependant noter que la sévérité des préfets, en la matière, peut être variable en fonction des positions politiques et diplomatiques de l’État lui-même. Ainsi, il n’apparaît pas que les innombrables communes qui ont voté, après le 24 février 2022, des motions de soutien à l’Ukraine, aient été épinglées pour cela, bien que ces motions ne présentent pas plus « d’intérêt local ou communal »  que celle sur le cessez-le-feu à Gaza. 

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