Congrès de l'AMF : les maires refusent d'être mis sous tutelle de l'ÉtatÂ
Par Franck Lemarc
Salle comble au Grand auditorium hier, pour la séance d’ouverture du 105e congrès, qui a été comme c’est la tradition lancée par la maire de Paris, Anne Hidalgo. Dans la foulée, le président de l’AMF, David Lisnard, a pris la parole pour son discours introductif.
« Refusons de baisser les bras »
Très offensif, le maire de Cannes a estimé que « nous sommes à un moment particulier de notre démocratie », menacée pas la montée de l’incivisme et par « une crise de l’exécution des choses, une crise de l’impuissance publique ». Reprenant le thème choisi pour intituler le congrès de cette année – « Communes attaquées, République menacée » –, David Lisnard s’en est expliqué : « Les communes attaquées sont au cœur de la réalité quand des maires sont dénigrés, agressés. La République est menacée quand la justice ne peut pas s’exercer, lorsque l’universalisme républicain n’est plus le substrat commun. »
Face aux violences contre les élus, le maire de Cannes a rappelé que « l’AMF avait tiré la sonnette d’alarme depuis longtemps déjà, du temps de François Baroin ». Des dispositifs spécifiques ont été mis en place par l’association, dont un partenariat avec France Victimes et la création de modules de formation des élus sur la sécurité, en partenariat avec le GIGN et le Raid, qui ont permis à ce jour de former « 25 000 élus ».
L’AMF et les associations départementales peuvent désormais se porter partie civile en cas d’agression. « N’hésitez pas ! », a lancé le maire de Cannes. Mais cela ne peut résoudre le problème de fond : « Les parquetiers sont débordés, et cela conduit à ce que la plupart des affaires, si elles ne sont pas médiatisées, sont classées sans suite ». Mais « nous, maires de France, refusons de baisser les yeux et de baisser les bras ».
Tutelle kafkaïenne
Sur les questions financières et les rapports avec l’État, David Lisnard a insisté : « Nous ne nous plaignons pas. Ce n’est pas nous qui avons demandé à être mis sous perfusion. Ce n’est pas nous qui avons demandé que l’effort fiscal ne repose plus que sur les propriétaires » (avec la fin de la taxe professionnelle et de la taxe d’habitation). Le président de l’association a vivement dénoncé le dispositif de « fléchage », qui permet aux préfets de dire aux maires à quoi il doivent consacrer leurs dépenses et « fait de nous des sous-traitants » . Il a demandé, au contraire, « une révolution complète de la façon de produire de la norme » : les lois ne devraient fixer que « des objectifs généraux », avec ensuite « une responsabilité d’application locale » pour les collectivités. Pour David Lisnard, les communes et intercommunalités doivent être « partie prenante de l’État », et donner de la liberté à celles-ci peut « aider l’exécutif à se libérer de la bureaucratie ».
Sous les applaudissements de la salle, le maire de Cannes a donné quelques exemples de la tutelle parfois kafkaïenne des services déconcentrés de l’État sur les projets des communes, appelant au passage à la suppression des Dreal.
« La France affronte des difficultés immenses, a conclu le maire de Cannes, mais la France est belle de son esprit de résistance, de sa démocratie, de ses communes et de ses élus ! ».
Injonctions contradictoires
André Laignel, maire d’Issoudun et 1er vice-président délégué de l’AMF, a ensuite pris la parole, saluant chaleureusement les milliers d’élus présents dans la salle : « Le congrès des maires, c’est vous, ici. Ce ne sont pas ni les allées du Salon, ni les allées de l’Élysée » – pique destinée au président de la République qui ne viendra pas, comme l’an dernier, au congrès, préférant convier quelques centaines de maires à l’Élysée ce soir.
Le maire d'Issoudun a lui aussi décrit « les crises multiples » que traverse la France depuis des années – Gilets jaunes, covid-19, inflation, catastrophes naturelles. « Lors des événements climatiques récents, tempêtes, inondations, qui était en première ligne ? Les maires, les élus, les services municipaux. Cela mériterait une autre considération [de la part de l’État], parce que sans eux, la France serait dans un état lamentable ! ».
André Laignel a dénoncé la recentralisation, passée de « rampante » à « galopante » : « Chaque quinzaine le gouvernement nous sort un nouveau plan : plan eau, plan vélo, plan chaleur, plan école, plan petite enfance. Tous ont en commun d’impliquer massivement les communes et intercommunalités, mais ne sont assortis d’aucuns moyens ! ». Les communes sont soumises aux « injonctions contradictoires permanentes » : « D’un côté, il faut réindustrialiser la France, et de l’autre on dit qu’avec le ZAN, nous ne pouvons pas toucher à nos hectares ! ». La planification écologique ? « C’est l’État qui décide à la place des collectivités territoriales. » Le maire d’Issoudun a également fustigé la politique du gouvernement qui consiste à « utiliser l’intercommunalité pour affaiblir les communes », par exemple avec l’obligation faite à celles-ci, lorsqu’elles veulent signer un contrat (comme Territoires d’industrie) de le faire à l’échelle intercommunale, même lorsque seule la commune est concernée.
« Étouffement »
Sur les finances, André Laignel a rappelé que contrairement aux promesses de l’État, aucun des impôts locaux supprimés par les gouvernements successifs (TP, TH, CVAE…) n’a été compensé « à l’euro près », loin de là : sur la CVAE, « il manque 765 millions ». Comme David Lisnard, il a critiqué le fléchage : « Nous sommes lucides, nous connaissons les priorités, nous n’avons pas besoin de corset pour marcher droit ! ».
Sur le projet de loi de finances pour 2024, le maire d’Issoudun a asséné : « C’est la plus mauvaise depuis 40 ans. » Loin des discours du gouvernement qui se félicite d’avoir augmenté la DGF, André Laignel a rappelé qu’en refusant d’indexer les dotations sur l’inflation, l’État fait en réalité diminuer celles-ci, chiffrant cette perte, pour 2024, à quelque 7 milliards d’euros. « Cet étouffement met en danger notre pouvoir d’agir. Nous aurons de plus en plus de mal à satisfaire les demandes de nos administrés dont nous sommes à la fois le premier recours et le dernier espoir ».
André Laignel a conclu en raillant le président de la République qui « cherche, la lanterne à la main, la martingale démocratique, entre Grand débat, CNR, rencontres de Saint-Denis… Ne cherchez plus ! le lieu de la démocratie existe. C’est le lieu où œuvrent plus de 500 000 élus, pour la plupart bénévoles. Ce sont les communes, vivantes, modernes », qui se dressent « face à la France du repli et de la peur ». Citant Tocqueville, André Laignel a conclu : « C’est dans la commune que réside la force des peuples libres ! »
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