Investissement du bloc communal : sa contraction est-elle devenue structurelle ?
Par A.W.
« En raison des restrictions successives de ressources et des marges de manœuvre budgétaires, la contraction de l’investissement du bloc communal observée depuis 2014 semble devenir structurelle. » C’est l’une des inquiétudes de ce 105e congrès pour les maires : malgré une hausse de l’épargne, l’investissement ne suit donc pas forcément.
Le fléchage des dotations contraint l’investissement
C’est notamment l’un des enseignements de l’analyse financière présentée hier l’AMF. Si l’épargne brute augmente alors que le tassement des investissements perdure, « c’est normal », explique le premier vice-président de l’AMF, André Laignel. « Les maires sont prudents par rapport à l’avenir. Face aux incertitudes, ils sont hésitants », explique-t-il.
En 2023, le volume d’investissement devrait ainsi être à « un niveau équivalent, voire légèrement inférieur, à celui de 2011 », en euros constants. Or ces investissements restent nécessaires au regard de « ce que l’Etat nous demande » : « Nous devrions en fait investir beaucoup plus que nous ne le faisons : 6 milliards d’euros supplémentaires pour lutter contre le réchauffement climatique, quelques milliards pour le bâti scolaire, la création de 200 000 berceaux et je ne compte plus les plans « chaleur », « eau » … Il y a des plans tous les 15 jours ».
A première vue, les investissements progressent pourtant - tout comme l'épargne brute - de près de 9 %. Mais, si l’on prend en compte le renchérissement des coûts lié à l’inflation (la hausse du coût de l’énergie, des matières premières et de la construction), et que l’on pondère les données à cette aune, la progression réelle des investissements ne serait finalement que d’environ 5 %, pour une épargne qui augmenterait finalement de 10 % environ.
On se retrouve ainsi, cette année encore, dans un modèle économique de construction des budgets locaux qui n'a plus d'autre « marge de manœuvre via l’épargne », explique l’étude.
En cause également, la non-indexation de la DGF, « la réduction considérable du levier fiscal et de la volatilité des recettes adossées à la TVA », mais aussi l’exclusion des dépenses d’aménagement de l’assiette du FCTVA, en 2023, ou encore « le renforcement du fléchage » des dotations (fonds vert, DETR ou Dsil).
« Si vous faites ça, on vous donnera un peu d’argent, mais si vous ne le faites pas, on ne vous le donnera pas », décrit ainsi le maire d’Issoudun qui déplore le fait qu’il « ne nous reste déjà plus que seulement 45-50 % de liberté d’investissement si l’on veut avoir des dotations, le reste étant fléché ». Or « si vous n’êtes pas dans la flèche, vous n’existez pas », regrette-t-il.
« C’est à total rebours avec ce pourquoi nous nous sommes battus depuis plus de 40 ans. C’est une façon de déresponsabiliser les élus locaux », dénonce celui qui est également président du Comité des finances locales, et pour qui « ce mode de financement des collectivités n’est pas viable à terme ».
En 2024, des perspectives « effrayantes »
Et les perspectives pour l’année 2024 ne s’annoncent guère réjouissantes, selon les représentants des élus locaux. Elles seraient même « effrayantes », aux yeux d’André Laignel, qui s’inquiète du risque de réduction de services publics et de « la société française que l’on est en train de construire… ou plutôt de déconstruire ».
Car, sur les finances locales, les « mêmes tendances » sont ainsi attendues l’an prochain. Et le maire d’Issoudun de pointer le manque de visibilité dû à la suppression de « l’amortisseur énergie », la non-compensation de la réactualisation du point d’indice, le niveau inconnu de réévaluation des bases ou encore « la perte du pouvoir d’action de 7,19 milliards d’euros des collectivités » inscrite dans le projet de budget pour 2024. En un mot, « l’étouffement, le supplice du garrot ».
Pourtant, une éclaircie émerge sur l’inflation puisque la décélération enclenchée en 2023 « pourrait se poursuivre en 2024 », selon Luc Alain Vervisch, directeur des études de La Banque postale, dans sa traditionnelle présentation sur l’indice des prix des dépenses communales. Si, en 2023, ce sont « dans les communes de moins de 3 500 habitants [que] l’indice des prix semble le plus élevé par rapport à celles de plus de 3 500 habitants ; vraisemblablement, en 2024, on aura un effet un peu inverse parce que le cumul des décisions en matière de masse salariale jouera sans doute davantage sur les collectivités de 3 500 habitants et de plus de 10 000 habitants », prévoit-il.
Reste que, sur le front de l’investissement, il resterait encore 80 milliards, en euros constants, à réaliser d’ici 2026 « pour atteindre le niveau des investissements du mandat 2008-2014 », selon l'analyse de l'AMF, celle-ci estimant que le mandat de 2014-2020 n'est pas pertinent en termes de comparaison au regard des bouleversements majeurs qu'il a connus. « Nous pensons que ce sera à nouveau en baisse » sur le mandat actuel (par rapport à 2008-2014), présage André Laignel, qui rappelle que « cela dépend encore des mesures qui seront prises ».
« Depuis 2020, la réduction inédite des marges de manœuvre conduit à rendre les prospectives plus difficiles, les exécutifs locaux ne pouvant plus compter sur le pouvoir de taux pour ajuster les plans de financement », expliquent les auteurs de l’étude de l’AMF.
Ces derniers estiment ainsi que « les équilibres et les marges de manœuvre, dont disposent désormais les collectivités, pourraient ne pas leur permettre de participer à des investissements écologiques à hauteur de 12 milliards d’euros par an, soit une augmentation annuelle de 6,5 milliards d’euros par an ».
« On crée des inégalités territoriales »
A cela, s’ajoutent les difficultés relatives à la concentration du financement des collectivités sur les seuls propriétaires, qui entraînent de fortes inégalités entre territoires. « L’inflation crée un climat anxiogène avec, sur les recettes, une situation de plus en plus variable et injuste », constate Antoine Homé, maire de Wittenheim et coprésident de la commission des finances de l’AMF.
L’évolution des épargnes sur les ensembles intercommunaux en 2022 témoigne ainsi de disparités selon « un effet strate ». L’an passé, « 59 % des ensembles communaux ont augmenté leur épargne, mais 41 % l’ont vu baisser », observe le secrétaire général de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locale (OFGL), Thomas Rougier, dont l’étude sur les ratios financiers du bloc communal, présentée hier, montre que « les communes des strates entre 5 000 et 100 000 habitants affichent toutes des épargnes nettes moyennes qui diminuent » alors qu’il y a pourtant « une bonne orientation globale » de l’épargne. Et « si l’on ajoute l’effet prix, on est sur des reculs sensibles ».
« Cela veut dire que ceux qui sont le plus en capacité d’investir sont aujourd’hui dans un cycle récessif », dénonce le maire d’Issoudun.
« Toutes les communes les plus défavorisées des métropoles étaient dans le rouge en 2022, détaille le vice-président de l’AMF, Philippe Laurent. On est donc en train de créer, actuellement, des iniquités considérables liées au fait que les communes qui disposent de bases foncières importantes ont mécaniquement connu une hausse importante des bases et des recettes. Ce qui explique aussi la bonne tenue moyenne de l’épargne brute. En revanche, les communes qui ont des bases foncières beaucoup plus faibles et dont les budgets dépendent davantage des dotations de l’Etat ont connu des difficultés et des tensions ».
Et cela devrait « recommencer l’année prochaine puisque l’on annonce une hausse probable des valeurs locatives de l’ordre de 4 %, mais une hausse de la DGF extrêmement limitée », prédit le maire de Sceaux. Résultat, « nous aurons là encore des différences qui vont se creuser entre les communes qui dépendent davantage des dotations de l’Etat, parce qu’elles ont plus de populations défavorisées, et celles qui ont une ressource davantage axée sur la taxe foncière ».
« Nous sommes en train de créer des vraies inégalités qui vont être dramatiques dans les années qui viennent », c’est pour cette raison que l’un des chevaux de bataille de l’AMF est l’indexation de la DGF sur l’inflation. « C’est une question de justice », plaide Philippe Laurent alors que le gouvernement s’y est pour l’heure toujours refusé.
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