Maire-info
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Édition du jeudi 17 juillet 2025
Élections

Comptes de campagne : pourquoi trois députés ont été démissionnés d'office de l'Assemblée nationale par les Sages

Trois députés ont été déclarés inéligibles et démissionnaires d'office par le Conseil constitutionnel, en raison d'irrégularités sur le financement de leur campagne électorale, sans pourtant qu'aucun détournement à leur profit ait été constaté. À quelques mois des élections municipales, il n'est pas inutile de rappeler quelques règles.

Par Franck Lemarc

La chose est plutôt rare : trois députés – deux du parti d’Emmanuel Macron Ensemble pour la République et une députée ciottiste – ont été privés de leur siège à l’Assemblée nationale, avec effet immédiat. Les députés concernés sont Jean Laussucq (EPR, Paris), Stéphane Vaujetta (EPR, Français établis hors de France) et Brigitte Barèges (UDR, Tarn-et-Garonne).

Ces députés ont vu leurs comptes de campagne rejeté par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), ce qui conduit automatiquement à une saisine du Conseil constitutionnel. Rappelons que les juridictions diffèrent selon le type d’élection : alors que pour les élections locales (municipales, départementales et régionales) et européennes, les conflits se règlent devant le tribunal administratif, c’est le Conseil constitutionnel qui est le juge des élections présidentielle et législatives. 

Le Conseil constitutionnel peut déclarer un candidat inéligible dans trois cas : s’il n’a pas déposé ses comptes de campagne dans les conditions et délais prévus par la loi ; s’il a dépassé le plafond de dépenses autorisées ; ou si ses comptes ont été rejetés « à bon droit »  par la CNCCFP. Lorsque l’inéligibilité est déclarée (trois ans maximum dans ces cas), elle n’a pas d’effet sur les autres mandats acquis antérieurement à la date de la décision. En revanche, l’élection qui fait l’objet de la décision est annulée et, si le candidat a été élu, il est déclaré démissionnaire d’office. 

Ces dispositions impliquent par exemple que Brigitte Barèges, bien que déclarée inéligible à l’Assemblée nationale et démissionnée d’office, peut en revanche conserver son siège de conseillère municipale de Montauban – dont elle a été maire jusqu’à son élection à l’Assemblée nationale. 

Avantage en nature de la commune

Le rejet des comptes de campagne de Brigitte Barèges est, d’ailleurs, directement lié à son mandat de maire de Montauban. Il lui est en effet reproché d’avoir bénéficié, pendant sa campagne, du concours de deux collaborateurs de son cabinet de maire de la ville, à hauteur de 19 et 18 heures chacun. La députée a fait facturer par la commune les dépenses afférentes à ces heures, qui ont été imputées aux dépenses de campagne (1 415 euros). 

La commission des comptes de campagne a estimé qu’il s’agit d’un avantage en nature de la part de la commune accordé dans des conditions illégales, notamment dans la mesure où « aucun élément justificatif (n’est venu) établir la suspension de leur contrat de travail ou leur mise en disponibilité » . Les Sages ont jugé que, « eu égard à la nature de l'avantage en cause, aux conditions dans lesquelles il a été consenti, à l'importance de la participation des agents publics concernés à la campagne électorale durant leurs heures de service, ainsi qu'à son coût rapporté au total des dépenses du compte », la CNCCFP a rejeté « à bon droit »  les comptes de la candidate. S’agissant d’un manquement à la règle d’une « particulière gravité » , le Conseil constitutionnel a prononcé une peine d’inéligibilité d’un an. 

Dépenses personnelles

Deuxième cas, à Paris : le député EPR Jean Laussucq a également été déclaré inéligible pour un an. Motif : le candidat, ainsi que d’autres participants à la campagne, ont réglé un certain nombre de dépenses de campagne sur leurs deniers personnels, pour une somme totale de 7 030 euros. Or le Code électoral est clair : les dépenses de campagne doivent être réglées par un mandataire financier, dont la désignation est obligatoire, et à partir d’un compte bancaire spécifique ouvert à cet effet, qui permet de retracer l’ensemble des opérations financières de la campagne. Il est éventuellement possible à un candidat d’engager des dépenses avant la désignation d’un mandataire financier, sous réserve que celles-ci fassent ensuite l’objet d’un remboursement qui figure dans les comptes de campagne. 

Seule exception : de « menues dépenses »  effectuées directement par le candidat peut être « admises », à condition que leur montant soit « faible »  au regard des dépenses engagées. Or, d’une part, les dépenses engagées à titre personnel par le candidat et ses soutiens l’ont été après la désignation du mandataire financier ; et, d’autre part, leur montant s’élevant à « 21 % des dépenses du compte », elles ne peuvent être considérées comme « faibles ». 

Le candidat a argué de la difficulté qu’il a rencontrée pour ouvrir un compte bancaire dédié à sa campagne – difficulté bien connue de tous les candidats aux élections, et davantage encore dans le cadre de la campagne « express »  issue de la dissolution de 2024 –, mais ces arguments n’ont pas suffi : le Conseil constitutionnel a estimé que le manquement était suffisamment grave pour déclarer le député inéligible et le faire démissionner. 

C’est le même motif qui a conduit les Sages à déclarer inéligible le député EPR Stéphane Vojetta, député de 5e circonscription des Français de l’étranger : plus de 7 000 euros ont été réglés « sans faire usage du compte de dépôt unique », notamment pour des frais de transport. 

Banque de la démocratie

Ces décisions relancent le débat sur la difficulté que rencontrent fréquemment les candidats pour ouvrir un compte bancaire dédié à leur campagne, ce qui a été encore plus compliqué dans les délais extrêmement serrés imposés par la dissolution. En l’espèce, on ne peut accuser les deux députés de détournement ni d’enrichissement personnel, bien au contraire, puisqu’ils ont payé eux-mêmes un certain nombre de dépenses. Mais la décision des Sages est, néanmoins, parfaitement conforme à la loi.

Rappelons que, pour pallier ce problème récurrent, le président de la République avait promis, en 2017, de créer une « banque de la démocratie », promesse concrétisée, sur le papier, dans la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique. Cette loi prévoyait que le gouvernement crée sous neuf mois une telle banque, par ordonnance. 

Mais la banque de la démocratie n’a jamais vu le jour : le gouvernement lui a substitué la création d’un « médiateur du crédit aux candidats », nommé en août 2018 et chargé de « fluidifier les relations entre les candidats et les banques ». 

François Bayrou, dans son discours de politique générale en janvier dernier, a relancé l’idée en s’engageant à créer cette « banque de la démocratie ». Il a réitéré ce souhait jeudi dernier, se disant « déterminé »  à déposer un projet de loi sur ce sujet « avant l’automne ». 

En attendant, il faudra organiser trois élections législatives partielles pour remplacer les députés déclarés inéligibles, puisque la déclaration d’inéligibilité entraîne l’annulation de leur élection, ce qui ne permet pas leur remplacement par leur suppléant. 

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