Comprendre les enjeux du projet de loi sur les dérives sectaires
Par Franck Lemarc
Présenté au Sénat en novembre dernier et adopté en décembre, ce texte, a expliqué le ministre de l’Intérieur en le présentant, vise à répondre à l’augmentation préoccupante du phénomène sectaire : en 2020, plus de 4 000 signalements ont été enregistrés – un chiffre en hausse de 33 % en un an, et de 86 % depuis 2015. La crise du covid-19 a été un terreau favorable à « de nouvelles dérives sectaires » : en plus des classiques sectes « à prétention religieuse », de nouveaux « gourous » apparaissent « qui investissent, notamment, les champs de la santé, de l’alimentation et du bien-être, mais aussi le développement personnel, le coaching, la formation, etc. ».
Abandon de soins
Le texte présenté par le gouvernement crée un nouveau délit de « placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique », parce que l’exécutif estime que le délit « d’abus de faiblesse par sujétion psychologique », introduit dans le Code pénal par la loi About-Picard en 2001, n’est plus suffisant : « La définition d’un nouveau délit apparaît nécessaire pour réprimer les situations de sujétion psychologique ou physique qui sont la source d’une altération grave de la santé physique ou mentale pour les victimes, dont le préjudice corporel pourra être désormais reconnu », a expliqué le ministre de l’Intérieur.
Un autre article du texte initial permet aux associations spécialisées d’aide aux victimes de dérives sectaires de se porter partie civile.
Enfin, l’article 4 du texte – celui qui fait le plus débat – concerne spécifiquement les questions de santé. Le gouvernement vise ici les « charlatans » qui proposent de faux traitements médicaux, ou des traitements de substitution à la médecine, allant du jeûne à la prière en passant par l’absorption de « jus de légumes » pour guérir le cancer ou la sclérose en plaques. La publicité faite à ces pratiques est amplifiée par internet et les réseaux sociaux – de nombreux « influenceurs » se servant de leur audience sur les réseaux pour promouvoir telle ou telle pratique, souvent à des fins lucratives.
L’article 4 crée un nouveau délit de « provocation à l’abandon ou l’abstention de soins ou à l’adoption de pratiques présentées comme ayant une finalité thérapeutique ou prophylactique (…) alors qu’il est manifeste, en l’état des connaissances médicales, que cet abandon ou cette abstention est susceptible d’entraîner pour elles des conséquences graves pour leur santé physique ou psychique ».
« Consécration » législative pour la Miviludes
Lors de son examen au Sénat, le texte a été largement modifié, en particulier par l’ajout d’un chapitre consacré à la Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, afin de la « consacrer » dans la loi.
En effet, la Miviludes a été créée par simple décret en 2002 et n’apparaît dans aucune loi. Or, depuis, cette structure pourtant essentielle pour la lutte contre les dérives sectaires a souvent été fragilisée (budget rogné, carence de présidence pendant deux années, rumeurs de dissolution…). Comme l’écrivait déjà un sénateur dans un rapport, il y a plus de 15 ans, « une loi pérenne aurait pour avantage de faire disparaître les craintes récurrentes d'une dissolution de la Mission ». Les sénateurs ont donc proposé de faire « remonter » dans la loi les dispositions du décret de 2002, afin de donner un statut législatif à la Miviludes.
Les sénateurs ont, par ailleurs, tout simplement supprimé l’article 4 du projet de loi. Ils se sont appuyés sur l’avis du Conseil d’État sur ce texte, qui a estimé cet article 4 juridiquement et constitutionnellement « fragile ». En commission des lois, les sénateurs ont jugé que cet article constituerait une atteinte disproportionnée aux libertés publiques.
Les sénateurs ne nient pas l’existence de ces pratiques d’encouragement à délaisser les traitements médicaux et leur caractère nocif pour la santé, mais ils estiment que l’arsenal juridique existant, sur ce point, est suffisant, avec les délits d’exercice illégal de la médecine, de pratique commerciale trompeuse voire d’homicide involontaire.
Lanceurs d’alerte
Le débat est loin d’être épuisé, puisque l’article 4 a été rétabli en commission des lois de l’Assemblée nationale, le 7 février. La rapporteure du texte, Brigitte Liso, a défendu l’idée que cet article 4 est « l’un des plus importants de ce projet de loi ». Il répond, a-t-elle expliqué en commission, à « un problème de santé publique nécessitant une adaptation de notre cadre juridique ». Les députés ont toutefois souhaité récrire en partie cet article, la rédaction initiale tendant à « occulter le nécessaire rappel des libertés individuelles, de la liberté de penser et de la liberté de conscience ».
En commission, plusieurs députés se sont exprimés pour rejeter ce rétablissement de l’article 4, dont ceux du Rassemblement national qui en ont fait « une ligne rouge » : « Nous ne pourrons pas voter ce texte si l’article 4 est rétabli ». Plusieurs députés ont mis le doigt sur un problème sérieux : tel qu’il est rédigé, cet article pourrait servir à condamner… des lanceurs d’alerte. L’exemple d’Irène Frachon, la lanceuse d’alerte qui a révélé le scandale du Mediator, a été plusieurs fois cité. Paul Molac, pour le groupe Liot, a par exemple demandé : « Irène Frachon aurait-elle pu être accusée d’un tel délit en prévenant qu’il fallait cesser d’utiliser le Médiator ? ».
La commission des lois a réintroduit l’article 4, mais avec la promesse que sa rédaction serait « retravaillée » d’ici la séance publique pour tenir compte des différents avis, mieux protéger les lanceurs d’alerte et mieux préserver les libertés publiques.
Miviludes et CLSPD
Les députés ont, en revanche, suivi les sénateurs sur la nécessité d’inscrire la Miviludes dans la loi, dès le début du texte. Ils ont néanmoins choisi de ne pas citer le nom de cette structure dans la loi, préférant évoquer « une administration » – afin de pouvoir, si besoin, faire évoluer le nom de cette structure sans avoir à modifier la loi. Cela correspond à la volonté du gouvernement, qui avait déjà tenté, en vain, d’introduire cette modification en séance publique au Sénat.
Notons enfin que dans la séance publique au Sénat, une disposition a été introduite par faciliter les interactions entre la Miviludes et les maires, à travers les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. Les auteurs de cet amendement ont rappelé que la Miviludes n’a pas autorité pour « enjoindre aux préfets de mettre en place des groupes de travail spécifiques », mais qu’elle devrait, a minima, pouvoir « bénéficier de retours d’informations ». L’amendement dispose donc que la Miviludes « est informée, à sa demande et après accord du maire, des travaux conduits au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance en matière de lutte contre les dérives sectaires ».
Autre amendement adopté en séance au Sénat : l’élargissement des compétences des CLSPD « à la prévention et à la lutte contre les dérives sectaires ». L’auteur de l’amendement, Jacques Fernique, a expliqué que « les élus locaux se trouvent parfois bien démunis face à la recrudescence de phénomènes sectaires au sein de leur commune. Ils peinent, lorsqu’ils signalent ces faits aux préfets, à obtenir les réponses adéquates. Il convient de ce fait d’améliorer le pilotage local et l’échange d’informations entre les élus locaux, les préfets, les institutions et les organismes publics comme privés autour de ce sujet. Les élus pourront proposer des orientations et des diagnostics, évoquer des événements particuliers ou urgents. »
Le gouvernement a émis un avis défavorable à cette disposition, mais les sénateurs l’ont votée quand même, et elle a été conservée par la commission des lois de l’Assemblée nationale.
Les débats sur ce texte, à l’Assemblé nationale, devraient se dérouler entièrement aujourd’hui, avant la nécessaire réunion d’une commission mixte paritaire pour tenter de concilier les points de vue des deux chambres.
Accéder au texte qui va être débattu en séance.
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