Changement climatique : la Cour des comptes juge les villes et grandes agglomérations encore mal préparées
Par Franck Lemarc
La Cour des comptes a choisi de consacrer l’essentiel de son rapport annuel à la question du climat, ou plus exactement de la réponse publique – ou de son insuffisance – au changement climatique. Le rapport est, comme toujours, divisé en chapitres thématiques : la Cour évalue la préparation de plusieurs secteurs face aux risques climatiques : logement, centrales nucléaires, infrastructures de transports, villes…
Retards sur les PCAET
Les villes sont, en particulier, bien plus soumises que les zones rurales aux conséquences des canicules dont les experts savent qu’elles vont immanquablement se multiplier dans les années à venir. Rappelant qu’il a fait 42,6 ° C à Paris le 25 juillet 2019, les magistrats financiers affirment, sur la base d’une enquête parue en mars dernier, que cette ville est « la capitale européenne la plus exposée en cas de canicule ».
Mais les grandes villes et agglomérations sont aussi soumises au risque inondation et confrontées à « des difficultés d’approvisionnement en eau potable ».
Selon la Cour des comptes, les villes grandes agglomérations n’ont adapté que « tardivement » des stratégies d’adaptation, lesquelles « ne répondent que partiellement aux enjeux identifiés ».
Le rapport pointe en particulier le caractère « souvent incomplet » des diagnostics réalisés dans le cadre des PCAET (Plans climat air énergie), obligatoires dans tous les EPCI de plus de 20 000 habitants. Ce document doit comporter un diagnostic qui est, dans la plupart des cas étudiés par la Cour, « très insuffisant ». Dans certains cas extrêmes, ceux-ci ne tiennent tout simplement « pas compte des hypothèses de changement climatique ».
Par ailleurs, les magistrats notent que l’adoption de ces PCAET souffre de retards : aucune agglomération concernée n’a respecté l’échéance du 31 décembre 2016 pour rendre sa copie, et les retards se sont accumulés : « En avril 2023, sur les 753 groupements de communes de plus de 20 000 habitants qui doivent élaborer ce document, seuls 52 % l’avaient adopté et 54 groupements de plus de 100 000 habitants (43 %) n’en disposaient pas encore. ».
Demande de simplification
La Cour des comptes déplore « l’enchevêtrement des documents de planification », qui nuit à l’efficacité des politiques publiques en la matière. Elle a élaboré un schéma « simplifié » de la planification air-énergie-climat, où se mélangent de nombreux plans et documents plus ou moins opposables les uns aux autres, allant du PLU à Sraddet en passant par les PPA, PCAET, Sdage et Sage, PGRI, PPE, SNBC… Même si une ordonnance de 2020 a « ouvert la possibilité de fusionner certains schémas entre eux », très peu de collectivités se sont emparées de cette possibilité pour l’instant.
Pour ne rien arranger, ajoute la Cour, « la multiplication des démarches de contractualisation complique encore la coordination des acteurs ». C’est le cas notamment des CRTE (contrats de relance et de transition écologique), imposés par l’État, qui « viennent concurrencer les autres outils de planification ».
La Cour regrette que les communes de plus de 50 000 habitants ne soient plus obligées d’adopter un PCAET (puisque seuls les EPCI le sont), jugeant que « les plans communaux permettent d’apporter une réponse plus intégrée ». « Le défi de l’adaptation au changement climatique fournit ainsi, s’il en était besoin, une nouvelle illustration de la nécessité d’une rationalisation des compétences locales », estime la Cour, qui – une fois n’est pas coutume – juge que « le rôle du niveau communal » doit être « réaffirmé ».
Autre problème pointé par les magistrats financiers : le caractère « lacunaire » de l’évaluation des coûts. « La plupart des plans d’actions ne font l’objet de programmation financière » (pourtant prévue par la loi). La Cour demande donc un contrôle a priori des services de l’État pour « faire respecter cette obligation ».
Zoom sur la végétalisation
Les rapporteurs notent que la « végétalisation » est l’une des solutions les plus couramment retenues par les grandes villes pour tenter de lutter contre les canicules – même si elle n’est pas la seule, d’autres solutions, notamment appuyées sur l’utilisation de l’eau ou sur des revêtements spécifiques étant aussi mobilisées.
La végétalisation, grâce au phénomène « d’évapotranspiration » et à l’ombre offerte par les arbres, peut permettre de diminuer la chaleur de plusieurs degrés dans les îlots de chaleur urbains. La végétalisation, en outre, a d’autres avantages, au premier rang desquels la désimperméabilisation des sols.
Il s’agit néanmoins, poursuit la Cour, d’une politique « en construction », qui souffre de « l’absence d’un cadre juridique national ». Elle demande de la coordination entre plusieurs acteurs et se heurte à des obstacles techniques dans les grandes villes, dont les sous-sols sont encombrés par des câbles et des réseaux – que la poussée des racines, lors de plantation d’arbres, peut endommager, « avec des conséquences potentiellement graves s’agissant des canalisations de gaz ».
Néanmoins, cette solution a l’avantage – en plus de son efficacité lorsqu’elle est menée à grande échelle – d’avoir « un coût limité », rappellent les rapporteurs. Selon eux, « porter à 10 % la part du couvert arboré dans les zones urbanisées des villes françaises en 2050 représenterait un investissement total de 3,6 milliards d’euros pour planter 2,4 millions d’arbres, soit un coût annuel de 360 millions d’euros en concentrant les investissements entre 2025 et 2035 pour tenir compte de la durée de croissance et une augmentation des coûts de fonctionnement de 131 millions d’euros en 2035 ». Cet effort paraît « soutenable » si on le rapporte aux dépenses totales du bloc communal. Il peut de surcroît être subventionné par le Fonds vert, à supposer que celui-ci en conserve les moyens (lire article ci-contre).
Reste que le principal obstacle financier de la végétalisation ne tient pas tant à l'investissement, en effet « soutenable », qu'au fonctionnement : le fait de faire vivre et entretenir des arbres en milieu urbain dense représente une dépense de fonctionnement qui peut s'avérer rédhibitoire pour un certain nombre de villes.
On notera pour finir que la Cour des comptes n’a pas jugé utile de demander leur avis aux principales concernées, à savoir les associations d’élus. Elle a en effet adressé avant publication son rapport, « pour observations », à plusieurs ministères, à l’Ademe, à l’OFB, au Cerema, à plusieurs agences de l’eau… mais ni à l’AMF, ni à France urbaine, ni à Intercommunalités de France.
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