Ce que contient la loi sur la rénovation de l'habitat dégradé, publiée ce matinÂ
Par Franck Lemarc
La dégradation de copropriétés est un problème qui peut prendre des proportions catastrophiques dans certaines communes. Elle peut avoir des causes multiples – vieillissement des bâtiments, incapacité financière des occupants à faire les travaux nécessaires, impossibilité de trouver un accord au sein de la copropriété… – et les maires sont souvent démunis pour y faire face, faute d’outils juridiques. Résultat : les procédures sont lourdes, longues – parfois jusqu’à 20 ans –, et il n’y a parfois pas d’autre solution, au vu des dégâts, que d’exproprier les habitants et détruire les habitations. C’est pour tenter de résoudre une partie de ces problèmes que ce texte a été élaboré.
La question des copropriétés dégradées ne touche pas, loin s’en faut, uniquement les quartiers politique de la ville : il existe, selon l’Anah, 115 000 copropriétés en difficulté sur les 750 000 existant en France, et une consultation menée par le Sénat montre que 58 % des maires comptent une ou plusieurs copropriété dégradée sur le territoire de leur commune.
Le projet de loi a été élaboré sur la base des travaux de Mathieu Hanotin et Michèle Lutz, maires de Saint-Denis et de Mulhouse, qui ont rendu en octobre dernier un rapport sur « les outils d’habitat et d’urbanisme à créer ou améliorer pour renforcer la lutte contre l’habitat indigne ». Une grande partie de leurs 24 propositions a été reprise dans le projet de loi.
Mesures phares
Au bout de son parcours parlementaire, le texte comporte une soixantaine d’articles (contre 17 à l’origine). Deux mesures parmi les plus importantes figuraient dans le texte initial et ont été conservées – et enrichies – dans la version finale.
La première consiste à permettre la souscription d’un prêt collectif, à l’échelle de la copropriété. C’est l’article 4 de la loi qui codifie cette nouvelle possibilité : l’assemblée générale des copropriétaires peut désormais voter la souscription d’un emprunt « au nom du syndicat des copropriétaires » pour le financement des travaux d’une copropriété dégradée. Tout copropriétaire peut refuser de participer à cet emprunt, mais il doit, dans ce cas, « verser la totalité de la quote-part du prix des travaux lui revenant dans un délai de six mois ». Les modalités précises de ce dispositif seront décidées par décret.
La deuxième mesure phare de ce texte se trouve à l’article 9. Il s’agit d’une nouvelle procédure d’expropriation touchant les immeubles dégradés « à titre remédiable ». Il s’agit de permettre à la collectivité d’intervenir avant que la situation devienne « irrémédiable », c’est-à-dire ne pouvant se conclure que par la démolition de l’immeuble.
Désormais, la nouvelle procédure codifiée aux nouveaux articles L512-1 à L512-6 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique prévoit qu’une expropriation peut être poursuivie au profit de l’État, d’une collectivité ou du concessionnaire d’une opération d’aménagement si deux conditions cumulatives sont remplies : l’immeuble visé doit avoir fait l’objet « d'au moins deux arrêtés de mise en sécurité ou de traitement de l'insalubrité » ; et les mesures de remise en état doit « s’imposer pour prévenir la poursuite de la dégradation » de l’immeuble, comment devra en attester un rapport de la commune, de l’intercommunalité ou des services de l’État.
Si le bâtiment est habité et que les travaux à mener nécessitent une interdiction temporaire d’habiter, le relogement des habitants est obligatoire. Si, toutefois, les occupants refusent le relogement qui leur est proposé, ils peuvent être expulsés sans indemnité.
La loi fixe également les conditions du calcul de l’indemnité d’expropriation.
Bail à réhabilitation
La loi prévoit le lancement de deux expérimentations.
La première, d’une durée de dix ans, concerne les immeubles en état de carence. Il s’agit de permettre à un opérateur, après autorisation de la commune ou de l’EPCI, de conclure un accord avec le syndicat de copropriétaires en vue d’acquérir tout ou partie du terrain ou des bâtiments pour procéder à leur rénovation.
Une autre expérimentation, de cinq ans celle-ci, sera menée pour permettre aux préfets d’autoriser les propriétaires soumis à une obligation de travaux dans le cadre d'arrêtés de mise en sécurité ou de traitement de l'insalubrité à conclure un « bail à réhabilitation ». Dans ce cas, le bail à réhabilitation « vient remplacer l’obligation de travaux faite au propriétaire ». Rappelons que le bail à réhabilitation est une procédure par laquelle un « preneur » (qui peut être une collectivité territoriale) récupère un bien pour un temps déterminé et s’engage à réaliser des travaux de remise en état, avec possibilité ensuite de le louer à des locataires.
L’article 13 de la nouvelle loi permet aux maires de faire réaliser d’office des mesures de mise en conformité d’office d’un logement, aux frais de l’intéressé, voire de procéder à la démolition du bien si nécessaire.
Relogement et « diagnostics structurels »
Autre nouveauté : le Sénat a introduit la possibilité pour les communes ou EPCI compétents de prononcer, en lieu et place des préfets, les amendes relatives au permis de louer. Le produit de ces amendes reviendra à la collectivité concernée. Ces dispositions constituent désormais l’article 23 de la loi.
Par ailleurs, l’article 24 a trait au relogement des personnes évincées de leur logement pour cause d’opération de lutte contre l’habitat indigne ou dégradé. Ces personnes, sous réserve de leur accord, peuvent être relogées, pour un temps, dans des « constructions temporaires et démontables ». Celles-ci seront dispensées de toute formalité d’urbanisme « pour la durée de l'opération » d’aménagement. Ces constructions temporaires devront remplir « des conditions minimales de confort et d’habitabilité » qui seront fixées par décret. Leur implantation sera soumise à l’accord du maire, étant connues les dates de début et de fin d’implantation.
L’article 27 donne un nouveau pouvoir important aux maires : celui de pouvoir définir des secteurs de la commune dans lesquels tous les immeubles d’habitation de plus de 15 ans, et ensuite une fois tous les 10 ans, devront subir « un diagnostic structurel », afin notamment « d’évaluer les risques qu’ils présentent pour la sécurité des occupants ». Les secteurs concernés devront être annexés au PLU, aux documents d’urbanisme en tenant lieu ou à la carte communale.
Les conditions d’application de cet article seront définies par décret.
Marchands de sommeil
Ce texte a été également l’occasion d’introduire de nouvelles mesures de lutte contre les marchands de sommeil. Les sanctions pénales contre ceux-ci sont aggravées (7 ans de prison et 200 000 euros d’amende, voire 10 ans et 300 000 euros quand les faits sont commis contre des mineurs). L’interdiction, pour un marchand de sommeil, d’acquérir un logement autre que sa résidence principale est portée de 10 à 15 ans. Par ailleurs (article 32), les collectivités territoriales peuvent désormais se voir remettre à titre gratuit les propriétés confisquées aux marchands de sommeil, pour en faire des logements.
L’article 33 est relatif aux colocations à baux multiples. Les parlementaires ont relevé que les facilités introduites par la loi Elan en la matière « ont permis à certains marchands de sommeil de procéder à des divisions informelles d'appartements afin d'y entasser des ménages ». Le nouveau texte renforce le pouvoir des maires de refuser, cas par cas, un permis de louer, en cas de doute sur ce type de pratiques.
Notons également que les maires ou les préfets (ou leurs représentants) peuvent désormais assister aux assemblées générales des immeubles sous arrêté de sécurité ou de salubrité (article 37), et devront se voir transmettre obligatoirement les procès-verbaux de ces assemblées.
Scissions de copropriétés
Enfin, la dernière partie du texte vise à « accélérer les procédures de recyclage et de transformation des copropriétés et les opérations d’aménagement stratégique ».
L’article 43, très important, permet aux préfets ou aux maires et présidents d’EPCI compétents de demander la division de copropriétés, lorsque celles-ci sont incluses dans le périmètre d’une opération programmée d’amélioration de l’habitat. Il arrive en effet, notamment dans les grandes villes, que l’existence de « copropriétés géantes » empêche la réalisation de travaux de réhabilitation. Il est donc nécessaire, dans ce cas, de scinder les syndics pour atteindre une taille raisonnable permettant les travaux. L’article 43 précise que si le syndic refuse la scission, l’autorité peut saisir le juge, afin que celui-ci « constate que cette abstention compromet la poursuite de l’opération programmée (…) et la conservation de l’immeuble dans son périmètre ».
La scission peut également être demandée dans le cadre d’opération de requalification des copropriétés dégradées lorsque celles-ci sont compromises « en raison de graves difficultés d'entretien ou d'administration résultant notamment de défaillances récurrentes des copropriétaires ou de complexités juridiques ou techniques ». La loi prévoit les conditions dans lesquelles un expert peut être mandaté pour faire des « préconisations », le dispositif pouvant aller jusqu’à une obligation prononcée par le juge de suivre celles-ci (par exemple la constitution d’un ou plusieurs syndicats secondaires ou la scission du syndicat).
On peut enfin relever l’article 50 du texte, qui comporte plusieurs mesures d’accélération des procédures. Pour les opérations d’intérêt national (OIN) ou grandes opérations d’urbanisme (GOU), le texte autorise, dans certains cas exceptionnels, la prise de possession d’un bien par décret. Pour ces mêmes opérations, il sera possible, sous condition, de remplacer l’enquête publique par une participation du public par voie électronique.
La mise en œuvre complète de cette loi importante mais complexe suppose maintenant l’élaboration d’une vingtaine de décrets d’application. L'AMF s'est félicitée de l'adoption de la plupart des mesures que comporte cette loi, qu'elle porte de longue date. Elle a regretté, en revanche, l'absence de mesures de financement – toutes les mesures nouvelles étant à financement constant.
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