À Mayotte, le spectre de la faim et des épidémies
Par Franck Lemarc
Les mots sont saisissants : le ministre de l’Intérieur, après avoir survolé Mayotte hier, a dit être frappé par le « peu de présence » des habitants. En voyant les images, nombreuses, des bidonvilles dévastés, notamment celui de Kawéni où habitaient, avant le cyclone, quelque 20 000 personnes, on ne peut que se poser la question : où sont les habitants ? Selon les chiffres donnés par la préfecture, moins d’un quart de ces 20 000 personnes ont été s’abriter dans les centres d’hébergement avant le cyclone. Il faudra encore plusieurs jours pour en savoir plus sur le sort des autres. Comme l’expliquait ce matin sur France info le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaila, les secours n’ont pas encore pu accéder aux hauteurs de l’île, sur lesquelles étaient installés les bidonvilles.
Le bilan de cette catastrophe, qui est déjà considérée par les experts comme la plus grave jamais survenue en France, est donc toujours impossible à établir, et Bruno Retailleau, hier, a confirmé que l’État était dans l’incapacité de donner le moindre chiffre, au-delà de la vingtaine de corps qui ont été retrouvés.
Les réseaux paralysés
Pour l’instant, l’heure est au rétablissement des réseaux essentiels : 85 % des habitants de l’île étaient privés d’électricité, hier, et 80 % du réseau téléphonique est hors service. Les communications sont donc extrêmement difficiles – l’interview du maire de Mamoudzou sur France info, tôt ce matin, en témoigne, la chaîne ayant dû s’y reprendre à deux fois pour établir une communication à la qualité plus que médiocre. Le simple fait de pouvoir recharger son téléphone portable relève du défi, ce qui met de nombreux Mahorais dans l’incapacité de pouvoir donner de leurs nouvelles à leurs familles en métropole. La mairie de Mamoudzou a installé un groupe électrogène notamment pour permettre aux habitants de venir recharger leur téléphone. Les médias rapportent de longues files d’attente aux stations-service pour tenter de récupérer de l’essence, pour alimenter des lampes de fortune – avec les risques d’incendie et de brûlures que cela implique. Mais de toute façon, les stations-service encore en fonctionnement sont réquisitionnées pour les services de secours.
Tout aussi urgente – et peut-être plus encore – est la question de la nourriture et de l’eau. Dans une île où la question de l’accès à l’eau était déjà un problème avant le désastre, la pénurie est gravissime. Les réseaux, déjà en mauvais état, sont détruits, et les réserves manquent. À Mamoudzou, les policiers municipaux ont reçu la mission d’apporter des bouteilles d’eau aux habitants, mais l’accès à certaines zones reste encore très difficile du fait des empilements d’arbres, de tôles, de déchets, de voitures.
Si certains commerces ont pu rouvrir, encore faut-il que les habitants aient de quoi y acheter de quoi s’alimenter – ce qui n’est pas le cas d’innombrables Mahorais qui ont tout perdu, au sens littéral du terme, dans cette catastrophe. Des militants associatifs expliquent que les plus pauvres des habitants de l’île, avant le cyclone, s’alimentaient grâce aux fruits cueillis dans les forêts. Mais les forêts ont disparu.
Urgence sanitaire
Reste aussi la question de l’urgence sanitaire. La pollution des eaux et la destruction des réseaux d’assainissement font courir à la population un risque sérieux de contamination à des graves maladies comme la diphtérie ou le choléra – à peine 10 % de la population est vaccinée contre cette bactérie. Plusieurs structures, dont Médecins du monde, ont dit hier redouter des « épidémies gravissimes » , d’autant plus incontrôlables que les infrastructures de santé, qui avaient déjà un genou à terre avant le cyclone, sont effondrées après.
Les experts s’inquiètent également du risque supplémentaire qu’impliquent les enterrements illégaux qui semblent se multiplier depuis dimanche – les habitants musulmans des bidonvilles ayant, comme le veut leur religion, enterré leurs morts dans les heures suivant leur décès, clandestinement. Les enterrements hors des cimetières sont très réglementés, et ce n’est pas pour rien : il faut normalement une autorisation préfectorale et un avis de l’ARS, afin notamment de vérifier que le corps n’est pas inhumé près d’un captage d’eau potable. Aucune de ces règles n’a, évidemment, pu être respectée, ce qui induit un risque sanitaire non négligeable.
La seule nouvelle positive, si l’on peut dire, qui puisse être donnée ce matin est la quasi-absence des désordres et des pillages tant redoutés par certaines personnalités politiques. Mais la cause de ce calme relatif n’a, elle, rien de positif. Comme l’explique dans Le Monde le responsable d’une association humanitaire, « tout le monde est en détresse et il n’y a même plus d’actes de violence, car chacun est seulement préoccupé par le fait de trouver un endroit où poser sa tête pour la nuit ».
Quel budget pour faire face à la catastrophe ?
Face à cette situation, l’État poursuit, dans l’urgence, la mise en œuvre d’un pont aérien entre La Réunion et Mayotte et l’acheminement de personnels, de matériel et de vivres. 25 patients atteints de pathologies lourdes ont été évacués, hier, vers La Réunion et à partir d’aujourd’hui, sept avions (trois civils et quatre militaires) vont effectuer des rotations quotidiennes entre les deux îles. Des spécialistes vont notamment être acheminés pour rétablir l’aéroport de Mayotte, dont la tour de contrôle a été détruite, et où les vols civils ne devraient pas pouvoir reprendre avant deux semaines au moins.
Vingt tonnes de nourriture et des conteneurs d’eau potable doivent également être acheminés, par bateau, « dans la semaine ».
Très vite va néanmoins se poser la question des moyens que l’État va pouvoir affecter au traitement de cette catastrophe, dans la situation que l’on connaît d’absence de budget. Le problème est très concret : dans les prochaines semaines, du fait du vote de la loi spéciale (lire article ci-contre), les crédits du budget de l’État seront exactement les mêmes que ceux prévus pour l’année 2024. Et dans le budget 2024, rien n’était prévu pour faire face à une catastrophe d’une telle ampleur. Il faudra donc attendre le vote d’une véritable loi de finances pour 2025 pour pouvoir débloquer des crédits non seulement pour l’urgence mais pour la reconstruction, qui se chiffrera probablement en milliards d’euros.
En attendant, le gouvernement ne peut que gérer l’urgent avec des bouts de chandelle. Ce matin, un décret du ministre chargé du Budget est paru pour officialiser l’ouverture d’une ligne de crédit d’un plus de plus 600 000 euros pour le programme de la mission « Sécurité civile ». « Compte tenu du caractère imprévisible et de l'ampleur de cet évènement climatique exceptionnel », écrivent les services du ministère, il a été possible de mobiliser les crédits de la dotation « dépenses accidentelles et imprévisibles ».
Enfin, le chef de l’État, hier, a annoncé qu’il allait se rendre à Mayotte et décréter – on ne sait pas quand – un « deuil national », comme l’avait demandé, entre autres, le président de l’AMF au lendemain du drame. Aucune précision sur cette annonce n’est donnée sur le site de la présidence de la République. À l’heure où nous écrivons, d’ailleurs, trois jours après la catastrophe, pas la moindre mention au cataclysme qui a frappé Mayotte n’est faite sur le site de l’Élysée.
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