La suppression des impôt locaux a aussi plombé les recettes de l'État
Par Franck Lemarc
C’est une véritable averse de documents financiers qui est tombée sur le pays, hier, avec en même temps la présentation du programme de stabilité par le gouvernement, en Conseil des ministres, deux notes du Haut conseil des finances publiques relative à celui-ci (lire article ci-contre) et trois rapports de la Cour des comptes, respectivement sur l’exécution du budget de l’État, la certification des comptes de l’État et la situation financière de l’État.
Les dépenses de l’État à un niveau historique
Dans ce dernier document, la Cour des comptes répond à la question : « Comment se sont portées les finances de l’État en 2023 ? ». Et la réponse est : mal. Le déficit du budget de l’État a atteint en 2023 les 173 milliards d’euros, ce qui constitue un record si on met de côté l’année 2020 (où il avait atteint les 180 milliards), mais qui fut une année hors-norme du fait de la crise sanitaire. Il faut rappeler que le déficit de l’État est resté relativement stable, autour de 60 à 80 milliards d’euros, dans la décennie 2010, avant une explosion en 2020, qui ne s’est pas résorbée depuis : entre 2019 et 2023, le déficit du budget de l’État a doublé.
L’ampleur de ce déficit s’explique à la fois par une augmentation continue des dépenses de l’État et une diminution de ses recettes, montre la Cour des comptes.
Là aussi, les chiffres sont saisissants : en 2015, les dépenses de l’État s’élevaient à 313 milliards d’euros. Elles ont bondi de 100 milliards en 2020 (par rapport à 2015), année de la crise épidémique et du « quoi qu’il en coûte », en s’établissant à 413 milliards d’euros. Mais au sortir de la crise sanitaire, le niveau de dépenses n’a cessé de s’élever : 435 milliards en 2021, 453 milliards en 2022, et 455 milliards en 2023, ce qui constitue un nouveau record.
Comment expliquer ce record, alors que les dépenses « auraient dû diminuer », selon la Cour des comptes, après les années marquées par le covid-19 et la nécessité de la « relance » ? Certes, en 2023, les dépenses liées à ces diverses mesures « post-covid » ont diminué (de 28 milliards d’euros), mais cette diminution a été « plus que compensée » par une hausse de 29,4 milliards d’euros des autres dépenses. Cette hausse se partage à parts égales entre une augmentation des dépenses courantes (14,5 milliards) et le financement de mesures nouvelles (14,9 milliards), dont le bouclier tarifaire créé en 2022.
Côté dépenses courantes, la hausse s’explique en partie par la hausse des taux d’intérêts, qui fait gonfler la charge de la dette, et par la hausse de la masse salariale, en particulier du fait de l’augmentation du point d’indice (+ 6 milliards d’euros). Par ailleurs, les effectifs de la fonction publique de l’État ont nettement augmenté, avec presque 9 000 équivalent temps plein supplémentaires.
La Cour des comptes reconnaît toutefois qu’en dehors de l’augmentation de la charge de la dette, ces augmentations de dépenses « étaient prévues et programmées par les lois de finances ».
Les conséquences de la réforme de la CVAE
Facteur aggravant du déficit de l’État : les recettes de celui-ci sont en baisse nette. Après déduction des prélèvements sur recettes, dont les 44,3 milliards d’euros à destination des collectivités territoriales, les recettes du budget général se sont établies en 2023 à 286,4 milliards d’euros. C’est 8 milliards de moins qu’en 2022 et, surtout, 7,4 milliards de moins que ce qui était prévu en loi de finances pour 2023.
Comment expliquer que les recettes de l’État aient baissé alors que l’activité économique a été en croissance (le PIB a augmenté de 0,9 %) ?
En dehors d’une diminution du rendement de certains impôts, comme celui sur les sociétés, la Cour des comptes voit la cause de cette situation « singulière » dans le fait que l’État est de moins en moins bénéficiaire des recettes de la TVA. Normalement, la croissance de l’activité économique, et plus encore l’inflation, auraient dû faire nettement augmenter les recettes liées à la TVA, puisque celle-ci est assise sur les prix. Sauf que désormais, l’État est devenu « un attributaire minoritaire de la TVA » (il n’en perçoit plus que 46 % du produit). C’est la conséquence du choix du gouvernement de supprimer un certain nombre d’impôts locaux et de compenser cette suppression par l’attribution de « fractions de TVA » aux collectivités locales.
Cette analyse rejoint d’ailleurs celle de l’AMF, qui rappelle que plus de 100 milliards d'euros des recettes annuelles, correspondant à plus de la moitié de recettes de TVA, sont désormais affectés à la compensation de recettes supprimées. Au total, en 2023, 113,9 milliards d'euros de recettes de TVA sont ainsi affectés, dont près de 58 milliards affectés à la Sécurité sociale pour compenser les allègements de charges sociales et 52,3 milliards aux collectivités pour remplacer les ressources locales supprimées. Ces 113,9 milliards d'euros auraient pourtant utilement pu servir à renflouer le déficit public.
Dernière en date de ces réformes : la suppression progressive de la CVAE, répondant à la demande des entreprises de diminuer les impôts dits de production. Cette réforme a conduit l’État à attribuer aux collectivités quelque 10,4 milliards d’euros, selon la Cour des comptes, pour compenser leurs pertes de recettes. Certes, jusqu’en 2027 (date d’extinction totale de la CVAE), les reliquats de cet impôt sont réattribués à l’État, mais leur montant va se réduire d’année en année. Le budget de l’État devrait ainsi enregistrer une perte de recettes lorsque la CVAE sera complètement supprimée.
Notons également que la Cour des comptes chiffre à 2,9 milliards d’euros supplémentaires la perte de recettes pour l’État issue de la suppression de la taxe d’habitation. En effet, 2023 marque la fin de l’encaissement de la TH par l’État.
On mesure ici ce que la situation a d’ubuesque : en mettant en œuvre des réformes fiscales que non seulement les collectivités n’ont jamais demandées, mais dont en plus elles ne veulent pas, l’État creuse son propre déficit… et s’apprête, demain, à en faire payer le prix aux collectivités en leur demandant de « contribuer » à l’effort de résorption du déficit !
Une dette qui atteint des niveaux « préoccupants »
Le déficit très important de l’État fait mécaniquement augmenter son besoin de financement. (La Cour rappelle que « l’écart entre les recettes de l’État et ses dépenses (le déficit) ajouté au remboursement des emprunts venus à échéance constituent le besoin de financement de l’État, c’est-à-dire la somme qu’il doit emprunter sous une forme ou une autre ».)
Le besoin de financement de l’État, c’est-à-dire les sommes qu’il doit trouver en dehors de ses propres recettes ou de sa propre épargne, s’élève cette année à plus de 314 milliards d’euros, « niveau jamais atteint auparavant », note la Cour des comptes. Il est presque équivalent aux 323 milliards d’euros de recettes perçues en 2023 – autrement dit, l’État a presque autant emprunté que ce qu’il a perçu en impôts. Pour donner une image qui permette de comprendre ce que cette situation a d’inquiétant, il suffit d’imaginer un salarié gagnant 2 000 euros par mois… et empruntant dans le même temps 2 000 autres euros par mois.
Il faut rappeler que pour financer ses dépenses courantes, l’État fait d’ailleurs directement appel aux collectivités territoriales, puisque celles-ci font partie de ce que l’on appelle des « correspondants du Trésor » : les collectivités sont obligées de déposer leurs fonds auprès du Trésor public, ce qui constitue un gigantesque fonds de roulement dans lequel l’État peut puiser pour financer ses dépenses courantes, et permet de limiter le recours à l’emprunt sur les marchés. La Cour des comptes rappelle au passage, dans son rapport, que l’État est ainsi débiteur des collectivités à hauteur de 165 milliards d’euros.
Ce qui n’empêche pas l’État d’emprunter à des niveaux jamais atteints : l’encours de la dette de l’État a atteint en 2023 2 430 milliards d’euros (+ 6,5 % en un an). Cet encours a donc progressé de … 1 000 milliards d’euros en 10 ans. Quant à la charge de la dette, elle a augmenté du fait de la hausse des taux d’intérêts et des emprunts indexés sur l’inflation.
La charge de la dette, prévoit la Cour des comptes, va mécaniquement augmenter – probablement de plus de 35 milliards d’euros à l’horizon 2027. « Cette perspective ne sera soutenable qu’au prix d’efforts considérables sur les autres dépenses, alors même que se pose la question du financement des investissements nécessaires à la croissance et à la transition écologique ».
Les magistrats financiers en appellent donc à « des réformes et économies structurelles », estimant que ce qui se joue aujourd’hui, c’est « la capacité de la France à conserver la maîtrise et le contrôle de ses finances publiques ».
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