Indemnité de conseil des comptables publics : le tour de passe-passe du gouvernement
Sans que cette mesure soit inscrite où que ce soit dans le projet de loi de finances pour 2020, le gouvernement a décidé de supprimer l’indemnité de conseil des comptables publics versée par les collectivités territoriales et prétend la prendre en charge... en faisant, en réalité, supporter le coût aux collectivités.
Variables d’ajustement : le grand flou
C’est en réalité un étrange tour de passe-passe auquel se livre le gouvernement. Comme chaque année depuis 2008, il annonce qu’un certain nombre de transferts et dotations versés aux collectivités vont être diminuées en tant que « variables d’ajustement ». Il s’agit, comme l’a expliqué en commission des finances le député LaREM Jean-René Cazeneuve, de diminuer un certain nombre de dépenses de l’État d’une main, pour financer de l’autre « d’autres priorités ». Dans le projet de loi de finances lui-même, si les dotations minorées ainsi que le montant des minorations sont, comme chaque année, définies de manière précise par un article du PLF (article 21), les dépenses supplémentaires à compenser ne sont pas décrites de façon exhaustive. Il faut donc se référer au rapport de la commission des finances pour y voir plus clair.
On y apprend que l’ensemble des minorations sur les variables d’ajustement aboutissent à un total de 122 millions d’euros. Parmi ces 122 millions d’euros figure la diminution de moitié de la compensation des conséquences de la réforme du versement transport (- 48 millions) que Maire info a déjà évoquée (lire notre édition du 14 octobre). Parmi les autres dotations qui vont être diminuées : la DCRTP (dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle) ou encore la dotation pour transferts de compensation d’exonérations de fiscalité directe locale, versée aux départements et aux régions.
Mais, puisqu’il s’agit d’un « jeu à somme nulle », comme l’a dit Jean-René Cazeneuve, ces 122 millions de dotations retirées aux collectivités doivent correspondre à 122 millions de charges supplémentaire de l’État au bénéfice des collectivités. Et sur ce sujet, le PLF est particulièrement peu précis : dans l’exposé des motifs de l’article 21, qui définit les dotations minorées, il est évoqué la compensation du « prélèvement sur recettes (PSR) versé à la Corse, de l’abondement de la dotation titres sécurisés et du fonds d’aide au relogement d’urgence » ainsi que « des mesures nouvelles issues du projet de loi Engagement et proximité ».
Il faut en fait aller fouiller dans le très volumineux rapport de la commission des finances pour en savoir plus. Un tableau (p. 777) y décrit enfin avec précision la ventilation de ces 122 millions d’euros de charges supplémentaires pour l’État. Curieusement, on n’y trouve aucune mention du « fonds d’aide au relogement d’urgence » mentionné dans l’exposé des motifs. En revanche, le PSR pour la Corse y figure bien, ainsi que la hausse de la dotation élu local (10 millions d’euros) ou celle de la dotation pour titre sécurisés (6 millions). Et l’on y découvre enfin cette ligne de 25 millions d’euros de charges supplémentaires pour l’État : « Suppression et prise en charge par l’État de l’indemnité de conseil des comptables publics versée par les collectivités territoriales. »
Comment rendre discrètement obligatoire un dispositif optionnel
Les communes et EPCI connaissent bien ce dispositif instauré par la loi du 2 mars 1982 complétée par plusieurs décrets, dont le dernier date du 12 juillet 1990. En résumé : les collectivités peuvent – au strict volontariat – faire appel à des comptables publics pour « des prestations de conseil et d'assistance en matière budgétaire, économique, financière et comptable ». À ce titre, elles sont autorisées à leur verser une indemnité dont le montant est fixé par délibération.
Aucun chiffre n’est donné sur le nombre de collectivités qui font appel à ce type de conseils. Seule indication chiffrée disponible – qui donne une idée de l’usage massif qui est fait de cette possibilité : en réponse à une question de la député Valérie Rabault, en 2018, le ministre de l’Action et des Compte publics indiquait que « en 2016, 92 % des comptables publics du secteur public local ont perçu des indemnités de conseil de la part d'une ou de plusieurs collectivités locales dont ils assurent la gestion comptable et financière ».
Dans le rapport de la commission des finances, il est écrit que ce dispositif est « régulièrement critiqué », et qu’en conséquence « le gouvernement envisage sa suppression et sa prise en charge par le budget de l’État ». Mais c’est précisément là que le bât blesse ! Puisque cette « prise en charge par le budget de l’État » est compensée par une diminution équivalente d’autres compensations versées aux collectivités, il ne s’agit pas du tout d’une prise en charge par l’État mais d’une prise en charge par les collectivités d’une mesure jusque-là optionnelle et financée uniquement par celles qui le souhaitaient !
Par ailleurs, on peut s’interroger sur la formule selon laquelle le dispositif serait « régulièrement critiqué ». Par qui ? Certes, plusieurs questions orales et écrites ont été posées ces dernières années par des parlementaires jugeant ce dispositif « archaïque » (Bernard Fournier, sénateur LR de la Loire), « peu transparent et source de débats dans les conseils municipaux » (Franck Menonville, sénateurs RDSE de la Meuse), voire représentant « un privilège d’un autre temps » (Aurore Bergé, députée LaREM des Yvelines). Ces parlementaires ont en effet demandé la suppression de cette indemnité. Mais l’association représentant les premiers concernés, à savoir l’AMF, n’a, pour sa part, jamais demandé la suppression de ce dispositif, n’ayant pas de remontées de terrain de ses adhérents pour s’en plaindre.
Voilà comment le gouvernement justifie une ponction de 25 millions d’euros sur les dotations de compensation, ne figurant nulle part dans le PLF et appuyée sur des « critiques » d’un dispositif ne venant pas des principaux concernés. Un mode de fonctionnement jugé ce matin « incroyable » et « particulièrement choquant » par Antoine Homé, rapporteur de la commission finances de l’AMF. « D’autant plus choquant, ajoute Philippe Laurent, président de cette commission finances, que certaines communes ne versaient plus cette indemnité, mais subiront les conséquences de la baisse des variables d’ajustement. »
Une assez belle démonstration de l’adage selon lequel le diable se cache dans les détails.
Franck Lemarc
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