Maire-info
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Édition du mercredi 5 mars 2025
Assurances

Escroquerie à l'assurance : plusieurs collectivités contraintes de mettre à l'arrêt leur réseau de bus

Le gendarme des assurances, l'ACPR, a émis une alerte qui concerne les collectivités dont la flotte de véhicules lourds est assurée par Accelerant Insurance Europe. Ces contrats ne sont pas légaux. Explications. 

Par Franck Lemarc

Des dizaines de milliers de poids lourds et d’autobus circuleraient aujourd’hui en France… sans assurance. Ou plutôt, en étant assurés auprès d’une compagnie n’ayant pas le droit d’exercer en France, ce qui revient au même. 

Un assureur sans agrément

Parmi les victimes de cette arnaque, la communauté d’agglomération du Grand Guéret qui, lundi 3 mars, a tout simplement dû mettre à l’arrêt son réseau de bus. Sur la page Facebook de l’agglo, ce message : « L’Agglo vient d’être informée (…) qu’elle est victime d’une escroquerie à l’assurance qui concerne ses bus urbains AggloBus. (…) En conséquence, l’Agglo n’étant pas couverte au titre de la responsabilité civile, les bus des lignes du réseau urbain (lignes 1 à 8 et TAD urbain) sont mis à l’arrêt jusqu’à nouvel ordre. » 

Guéret n’est manifestement pas la seule à être concernée par cette situation. Que s’est-il passé ?

Le problème découle de la procédure désormais possible dite « LPS »  (libre prestation de service) : un assureur ayant son siège ou une succursale dans un pays membre de l’Union européenne peut assurer des risques dans un autre État-membre. L’assureur dont il est question ici, AIE (Accelerant Insurance Europe), est une société américaine ayant une succursale en Belgique, qui lui permet donc d’opérer en France en LPS. 

Deuxième acteur de cette affaire : un courtier d’assurance du Pas-de-Calais, Pilliot assurances, qui a placé depuis le 1er janvier dernier des contrats censément couverts par AIE auprès d’un certain nombre de transporteurs et de collectivités.

Seul problème – et de taille : AIE n’a pas d’agrément pour couvrir en France la responsabilité civile des véhicules automobiles. Si l’on consulte le registre Refassu publié par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (le gendarme des banques et des assurances), registre qui liste tous les agréments des sociétés d’assurance, on constate que AIE dispose bien de plusieurs agréments en France… mais pas de celui de la garantie civile des véhicules à moteur. 

Que s’est-il passé ? D’après la newsletter spécialisée News assurances pro, le courtier Pilliot Assurances a, depuis des années, vendu des assurances aux collectivités en s’appuyant sur une compagnie allemande, Glise, qui s’est récemment désengagée. Pilliot s’est alors tourné vers AIE pour porter le risque de ses contrats, et a assuré plus de 75 000 véhicules auprès d’un millier de clients, au nom d’AIE. 

Imbroglio juridique

L’affaire est maintenant entre les mains du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer. Qui est responsable de la situation ? Les deux sociétés (Pilliot et AIE) se renvoient la balle. L’assureur AIE affirme qu’il n’a jamais autorisé le courtier à émettre des contrats en son nom sur les flottes automobiles, et Pilliot affirme le contraire. 

Selon l’ordonnance du tribunal de commerce, dont News assurances pro diffuse des extraits, il y aurait bien eu un accord informel entre les deux sociétés, l’an dernier, AIE ayant accepté de couvrir le risque automobile mais uniquement après avoir reçu l’agrément des autorités françaises. Et Pilliot, de son côté, semble avoir considéré – « avec une extrême légèreté », dit le tribunal – que cet accord suffisait pour commercialiser des polices, alors que l’agrément n’avait pas été obtenu. 

Résultat : les contrats conclus depuis le 1er janvier par Pilliot au nom d’AIE ne sont pas légaux, et les véhicules ne sont donc pas couverts au titre de la responsabilité civile. Toutes les collectivités qui auraient souscrit un contrat avec ces sociétés doivent donc savoir que leurs véhicules circulent sans couverture assurantielle ! C’est pourquoi l’ACPR a émis une « alerte »  à l’attention des sociétés et collectivités concernées, les informant qu’AIE n’est « à ce jour pas autorisé à garantir en France »  des contrats d’assurance automobile. L’ACPR attend maintenant la décision du tribunal – qui doit trancher sur la responsabilité de l’une ou de l’autre société – pour connaître « le sort des contrats souscrits ». 

Si certaines communes ont décidé de suspendre leur réseau de bus, la situation est intenable dans la durée, et ces collectivités vont devoir, de toute urgence, trouver un autre assureur. L’ACPR les invite à se tourner vers France assureur. 

Cette affaire montre une nouvelle fois combien justifiées sont les craintes qui se sont exprimées face à la procédure LPS, qui permet à des assureurs étrangers, au travers de montages complexes, d’intervenir sur d’autres marchés en pratiquant des prix agressifs… aux risques et périls des assurés.  

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