Assemblée nationale : retour à la case départ
Par Franck Lemarc
Il aura donc fallu, comme on pouvait s’y attendre, trois tours de scrutin pour élire la présidente de l’Assemblée nationale, à la majorité relative.
Six candidats au départ
Le premier tour s’est joué entre six candidats, représentants le Nouveau Front populaire, le groupe Ensemble pour la république (macronistes), le Rassemblement national, les Républicains, Horizons et le groupe Liot. C’est logiquement le candidat du NFP, le communiste André Chassaigne, qui est arrivé en tête du premier tour – la coalition NFP, qui regroupe quatre partis, étant la plus nombreuse en sièges. Ce premier tour a donc simplement servi à compter les voix de chaque parti ou coalition, ce qui n’est pas inutile pour tenter d’imaginer les rapports de force futurs : 200 pour le Nouveau Front populaire, 142 pour le RN et ses alliés ex-LR, 124 pour le parti présidentiel allié au MoDem, 48 pour Les Républicains, 38 pour Horizons et 18 pour le groupe Liot.
On peut cependant noter que dès ce premier tour, des déplacements de voix ont déjà eu lieu. On connaît en effet, ce matin, la composition exacte des groupes politiques, qui a été publiée au Journal officiel. Ainsi le candidat Charles de Courson, pour le groupe Liot, a recueilli 18 voix… alors que son groupe compte 21 membres. Trois de ces membres ont donc voté pour un autre candidat ou se sont abstenus. À l’inverse, la candidate du groupe Horizons, Naïma Moutchou, a recueilli 7 voix de plus (38) que son groupe compte de membres (31). Le NFP a également réussi à ratisser un peu plus large que ses troupes, avec 200 voix, puisque l’ensemble des quatre partis qui composent cette coalition ne compte que 195 sièges. Yaël Braun-Pivet, elle, a recueilli une dizaine de voix de moins que le nombre de sièges Ensemble et MoDem.
Il n’y a qu’à l’extrême droite que la discipline de vote a été absolue : les 142 voix recueillies correspondent exactement au nombre de sièges du RN (126) et des ciottistes (16).
Dès la fin du premier tour, la candidate Horizons s’est retirée, ainsi que le candidat LR Philippe Juvin, laissant alors entrevoir un accord avec les macronistes que le report des voix, aux tours suivants, n’a fait que confirmer.
Report des voix LR
Vers 19 h, le résultat du deuxième tour (qui se jouait toujours à la majorité absolue des suffrages exprimés) est tombé. Forte du report des voix LR et Horizons, c’est Yaël Braun-Pivet qui a cette fois viré en tête, avec 210 voix contre 202 pour son concurrent de gauche. Il semble (même si le vote à bulletins secrets ne permet pas d’en être certain), que le report de voix de LR et Horizons vers Ensemble a été parfait : les 210 voix recueillies correspondent très exactement aux voix recueillies au premier tour par ces trois partis.
Les voix du groupe Liot se sont dispersées ou à gauche, ou au centre, lors du second tour, puisque Charles de Courson, avec 12 voix, en a perdu 6. Le RN a gagné une voix au deuxième tour.
Après le deuxième tour, Charles de Courson s’est retiré, ne laissant en lice que les candidats NFP, Ensemble et RN – on notera que le RN, contrairement à ce qu’il avait fait en 2022, ne s’est pas retiré, même s’il n’avait aucune chance de remporter ce scrutin.
« Message entendu » contre « victoire volée »
Enfin, le résultat final a été proclamé vers 20 h 40, à l’issue d’un troisième tour qui, lui, se jouait à la majorité relative des suffrages exprimés. Yaël Braun-Pivet l’a emporté d’une courte tête sur André Chassaigne, par 220 voix contre 207, le candidat RN conservant le même nombre de voix (141).
La candidate du parti présidentiel a donc gagné dix voix entre le deuxième et le troisième tour, probablement venues du groupe Liot.
S’exprimant au perchoir dès la proclamation de sa victoire, visiblement émue, la nouvelle présidente de l’Assemblée nationale a affirmé vouloir « entendre le message » des électeurs, qui demandent : « Occupez-vous de nous ! ». Elle a estimé que l’Assemblée, dans sa division, est « représentative des Français », et affirmé qu’il serait nécessaire de trouver des « compromis ». « Je m’engage à travailler avec chacun d’entre vous », a conclu la présidente, en faisant applaudir chaque candidat.
Pour la gauche et le RN, ce résultat représente, en lui-même, une contradiction politique majeure : le camp macroniste, qui a été très clairement rejeté par les électeurs tant lors des européennes que des législatives anticipées, a réussi, en quelque sorte, à effacer les résultats de celles-ci, et se retrouve à diriger de nouveau l’Assemblée nationale comme si de rien n’était, alors qu’il a été battu aux législatives. Ce que la gauche, tout comme le Rassemblement national, ont exprimé dans les mêmes termes après le scrutin, estimant que leur victoire a été « volée » par les macronistes.
Un autre problème, d’ordre juridique celui-ci, a été posé dès l’issue du scrutin : celui du vote des ministres actuellement en exercice, bien que démissionnaires. Ils sont au nombre de 17, alors que la victoire de Yaël Braun-Pivet n’a été acquise qu’à 13 voix près. Autrement dit, si les ministres n’avaient pas pris part au vote, c’est André Chassaigne qui aurait pu être élu. En théorie, la séparation des pouvoirs impose que des ministres ne puissent ni siéger, ni voter à l’Assemblée nationale ou au Sénat. L’argument selon lequel ces ministres sont démissionnaires et « chargés des affaires courantes » est-il suffisant ? Le Conseil constitutionnel, il y a une quarantaine d'années, s'était déclaré incompent pour trancher cette question. Le Conseil d’État acceptera-t-il de se prononcer sur ce point ? La gauche a en tout cas annoncé que des recours seraient intentés.
Sept groupes dans l’opposition… pour l’instant
La journée d’aujourd’hui sera marquée par la nomination ou l’élection du Bureau de l’Assemblée (vice-présidents, questeurs et secrétaires). Une première réunion aura lieu à 10 h entre les présidents des onze groupes, pour tenter de se mettre d’accord par consensus. Si ce n’est pas le cas, chaque groupe désignera des candidats pour chaque poste, et les 577 députés voteront à nouveau.
La nomination par consensus risque de s’avérer difficile, dans la mesure plusieurs groupes ont d’ores et déjà annoncé qu’ils s’opposeraient à la nomination au Bureau de députés RN ou LFI – ou des deux.
Lors de ces nominations, ainsi qu’au moment de la constitution des commissions, il se posera la question de qui sont les groupes d’opposition. Rappelons en effet qu’un poste de questeur, ainsi que celui de président de la commission des finances, est réservé à un député d’opposition.
Le texte paru ce matin au Journal officiel donne quelques réponses, dans les « déclarations politiques » publiées par chacun des 11 groupes. Le groupe RN se déclare clairement « d’opposition » : « Cette opposition vaut pour le gouvernement démissionnaire en charge des affaires courantes mais aussi pour tout gouvernement qui pourrait émaner d'accords entre les autres groupes politiques de l'Assemblée. » Le groupe allié du RN, composé des députés « ciottistes » et baptisé « À droite », est sur la même ligne.
À gauche, c’est un peu plus compliqué, dans la mesure où celle-ci n’a pas encore désespéré se voir confier les clés de Matignon. Les différents groupes qui composent le NFP (LFI, PS, écologistes et communistes) écrivent chacun dans leur déclaration que le président de la République « doit nommer un Premier ministre désigné par le Nouveau Front populaire ». « Tant qu’il ne l’aura pas fait », leurs groupes se constitueront en groupes d’opposition.
Reste la question des Républicains. Dans la mesure où ils ont annoncé tout à fait clairement leur intention de briguer la présidence de la commission des finances, on se doutait qu’ils se définiraient comme groupe d’opposition. Leur déclaration politique le confirme : « Convaincus que les combinaisons d'appareils et les coalitions contre-nature ne relèvent pas de l'esprit de la Ve République » , les députés LR se constituent en « groupe d’opposition responsable, toujours force de propositions et déterminé à voter les lois qui iront dans le sens de l'intérêt de la France » . Les Républicains ont donc, le même jour, affirmé qu’ils sont un groupe d’opposition et voté unanimement pour Yaël Braun-Pivet, assurant son élection au perchoir. Annie Genevard, l’une des porte-parole des LR, s’en est expliquée ce matin sur Europe 1, en déclarant que son groupe ne pouvait pas « faire élire un communiste à la tête de l’Assemblée nationale ».
Et maintenant ?
Une fois cette séquence d’installation de la nouvelle Assemblée nationale terminée, demain, il restera à attendre la réaction du président de la République – celui-ci souhaitait voir comment allaient s’organiser les grands équilibres à l’Assemblée nationale avant de choisir son Premier ministre. À moins qu’Emmanuel Macron décide de laisser passer les Jeux olympiques et paralympiques et de ne faire son choix qu’à la rentrée, laissant entretemps le gouvernement sortant gérer les affaires courantes.
En attendant, au terme de deux scrutins perdus pour le pouvoir en place, Emmanuel Macron reste à l’Élysée, Gabriel Attal à Matignon et Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée nationale. Comme si rien ne s’était passé, pour l'instant.
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