Une Assemblée nationale au profil totalement inédit
Par Franck Lemarc
La semaine dernière, un responsable du parti Renaissance (ex-LaREM) expliquait à la presse que la principale crainte de l’exécutif était de ne disposer que d’une majorité absolue « étriquée », qui mettrait ce parti à la merci de ses alliés, le MoDem de François Bayrou et Horizons d’Édouard Philippe. Quelques jours plus tard, la situation est bien pire pour le gouvernement, puisque la coalition de ces trois partis est très loin de la majorité absolue : il lui manque 44 sièges pour l’obtenir.
Les nouveaux rapports de force
Dans un scrutin une fois encore marqué par une forte abstention (53,77 %), le second tour a entièrement rebattu les cartes par rapport à l’Assemblée nationale élue en 2017. Il y a cinq ans, le parti présidentiel, La République en marche, avait obtenu la majorité absolue à lui seul, avec 306 sièges – il n’avait donc, dans l’absolu, même pas besoin de son allié MoDem pour faire passer ses textes ou voter la confiance au gouvernement.
Cinq ans plus tard, la coalition Renaissance, MoDem et Horizons n’a plus que 244 sièges au Palais-Bourbon.
Elle aura en face d’elle une opposition de gauche revigorée : la Nupes, qui réunit la France insoumise, le PS, le PCF et Europe Écologie-Les Verts, compte 127 sièges dans la nouvelle Assemblée, auxquels s’ajoutent 22 députés « divers gauche » ; soit 149 sièges pour la gauche, à comparer aux 72 obtenus en 2017 par l’ensemble de ces partis, alors séparés.
Le Rassemblement national, qui espérait au maximum obtenir 30 à 40 sièges, en obtient finalement 89, auxquels viendront peut-être s’ajouter ceux de la droite souverainiste (Nicolas Dupont-Aignan) ou « divers extrême droite » comme Emmanuelle Ménard, réélue dans la circonscription de Béziers avec presque 70 % des voix.
Reste le groupe des Républicains, qui obtient 61 sièges. C’est bien moins qu’en 2017, où il en avait 112, et le parti a subi une lourde érosion de ses voix en cinq ans : plus de 4 millions de voix au deuxième tour des législatives de 2017, contre 1,4 million hier.
Un résultat presque proportionnel
Ce résultat est d’autant plus inédit qu’il a en partie gommé les déformations habituellement provoquées par le scrutin uninominal à deux tours : les résultats sont finalement assez proches de ceux qui auraient été obtenus si le scrutin s’était déroulé à la proportionnelle : Ensemble, qui a obtenu 38,6 % des suffrages, obtient 42 % des sièges ; la Nupes, 38 % des sièges avec 31 % des voix ; le RN, 15 % des sièges avec 17,5 % des voix. Et Les Républicains, 11 % des sièges avec environ 7 % des suffrages.
Mais si ce résultat apparaît relativement conforme aux rapports de forces réels, il rend le pays difficilement gouvernable et pourrait ouvrir une période de très grande instabilité. Si, en effet, les oppositions se retrouvent à voter ensemble, elles ont la possibilité de mettre le gouvernement en minorité aussi souvent qu’elles le souhaitent.
Cas typique : le discours de politique générale, qui devrait avoir lieu le 4 juillet prochain, et à l’issue duquel le Premier ministre peut – ce n'est pas une obligation constitutionnelle – demander la confiance des députés. Si ce devait être le cas et que la Nupes, le RN et les LR n’accordaient pas leur confiance au gouvernement, celui-ci serait contraint de démissionner.
Il reste donc à savoir ce que va faire le camp d’Emmanuel Macron pour tenter de se gagner les bonnes grâces de LR, qui, malgré l’érosion de leurs voix, se trouvent de fait en position de force dans cette situation inédite : en additionnant les voix d’Ensemble et du groupe Les Républicains, une majorité absolue peut mathématiquement être trouvée.
Les jours qui viennent vont donc être décisifs, puisque l’on va rapidement savoir ce que vont décider, d’une part, le camp présidentiel, et, de l’autre, Les Républicains. Emmanuel Macron pourrait par exemple choisir de remplacer dès maintenant la Première ministre, Élisabeth Borne, venue de la gauche, par un Premier ministre issu des Républicains, pour donner des gages à la droite. Il peut tenter également de négocier un pacte de gouvernement avec les LR, en faisant des concessions programmatiques et/ou en faisant entrer des ministres LR dans le gouvernement (ou encore tenter, « en même temps », la même manœuvre avec les députés de gauche non membres de la Nupes).
Mais encore faut-il que le parti de Christian Jacob le veuille. Ce dernier a déclaré hier qu’il n’en était pas question, et que son parti « restera dans l’opposition ». Les LR semblent assez divisés sur ce point, entre ceux qui veulent rester un parti d’opposition de droite classique, ceux qui seraient tentés par une alliance avec Ensemble, et ceux qui pourraient envisager, au contraire, de se rapprocher du bloc RN.
Remaniement obligatoire
Quoi qu’il en soit, la première tâche d’Emmanuel Macron et d’Élisabeth Borne, si elle reste Première ministre, va être de remanier le gouvernement : trois ministres vont en effet devoir partir, à peine arrivés, parce qu’ils ont été battus hier. La secrétaire d’État chargée de la Mer, Justine Bénin. La ministre de la Santé et de la Prévention, Brigitte Bourguignon (battue d’extrême justesse par la candidate RN dans la 6e circonscription du Pas-de-Calais, avec seulement 56 voix d’écart !). Et, surtout, celle qui avait été mise à la tête d’un super-ministère chargé à la fois de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires (y inclus le logement, les transports, la co-tutelle du ministre délégué aux Collectivités territoriales…), Amélie de Montchalin, a été nettement battue dans la 6e circonscription de l’Essonne par le socialiste Jérôme Guedj.
En revanche, un bon nombre d’autres ministres ont été élus : la première d’entre elles, Élisabeth Borne, mais aussi le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, ainsi que Clément Beaune, Olivier Dussopt, Olivier Véran, Damien Abad, Stanislas Guerini, Gabriel Attal, Olivia Grégoire, Marc Fesneau, Franck Riester et Yaël Braun-Pivet. À noter, au passage, une petite particularité dans le règlement de l’Assemblée nationale qui ne va pas arranger les affaires de la majorité dans les premières semaines de la mandature : les ministres élus ne pouvant pas siéger, ils doivent être remplacés par leur suppléant, mais ce remplacement ne peut intervenir qu’un mois plus tard. Ce seront donc 12 voix de plus qui manqueront à la majorité au moment du discours de politique générale, le 4 juillet.
Indépendamment du remplacement des trois ministres battus, la Première ministre devrait également nommer un certain nombre de nouveaux ministres délégués et secrétaires d’État – notamment aux Transports et au Logement. C’est probablement déjà là que les grandes manœuvres vont débuter vis-à-vis des Républicains.
Ce sont ces grandes manœuvres qui décideront de l’avenir institutionnel du pays pour les mois et les années à venir : ou bien la majorité réussit à mettre en place un gouvernement de coalition lui permettant de gouverner avec le soutien d’autres partis ; ou bien chaque projet de loi fera l’objet de négociations et de compromis entre les forces en présence, et le gouvernement fera adopter ses textes en misant une fois sur la gauche, une fois sur la droite. Ou bien, ce qui serait le scénario le plus problématique, toutes les oppositions décident de faire obstruction et le gouvernement se retrouve paralysé, ce qui ne pourrait sans doute conduire, à terme, qu’à une dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation de nouvelles élections.
De nombreux maires élus
Il faut également signaler qu’un bon nombre de maires, y compris de grandes villes, ont été élus hier et devront donc abandonner leur écharpe. C’est le cas notamment de Frédéric Valletoux, maire de Fontainebleau élu hier sous l’étiquette Ensemble.
Karl Olive, maire de Poissy (Ensemble), a également été élu député hier, tout comme Nicolas Sansu (Nupes-PCF), maire de Vierzon, Alexandre Vincendet (LR), maire de Rilleux-la-Pape (Rhône), Marie-Agnès Poussier-Winsback (Ensemble), maire de Fécamp, Joris Hébrard, maire RN du Pontet (Vaucluse), Véronique Besse (divers droite), maire des Herbiers en Vendée, Éric Martineau (MoDem), maire de Chenu (Sarthe), François Guernigon (Ensemble-Hoizons), maire de Verrières-en-Anjou (Maine-et-Loire), Pascal Lecamp (Ensemble), maire de Civray dans la Vienne... Outre-mer, le maire du Prêcheur (Martinique), a été élu au Palais-Bourbon, tout comme Christian Baptiste en Guadeloupe, maire de Sainte-Anne qui a défait la secrétaire d’État Justine Bénin, ou Élie Califer, maire de Saint-Claude. Signalons que dans cette liste – loin d’être exhaustive –, Frédéric Valletoux, Karl Olive et Véronique Besse sont membres des instances de l'AMF.
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