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Édition du mardi 12 novembre 2024
Aménagement numérique du territoire

Fibre : un dispositif expérimental pour les raccordements complexes prévu dans le projet de loi de finances 2025

Une ligne budgétaire a été prévue dans le projet de loi de finances 2025 pour expérimenter à hauteur de 16,1 millions d'euros un dispositif expérimental de financement des raccordements complexes privés. C'est une recommandation d'un rapport du Conseil général de l'économie (CGE), rendu public il y a quelques jours.

Par Lucile Bonnin

Alors que le chantier de déploiement de la fibre avance et que l’objectif du 100 % fibre devait être atteint en 2025, les raccordements restants sont complexes et plus coûteux, plus longs et plus difficile à déployer. Dans certaines communes, les derniers mètres pour amener la fibre jusqu'aux habitations ne sont en effet pas si simples. Des travaux chez les particuliers sont parfois nécessaires et ils peuvent être particulièrement coûteux, allant jusqu’à plusieurs milliers d’euros parfois – la charge financière totale revenant au particulier. 

Pour apporter une réponse à ce problème des raccordements complexes dans le domaine privatif, le gouvernement a inscrit dans le projet de loi de finances pour 2025 16,1 millions d'euros pour soutenir le lancement d’un dispositif expérimental de soutien au financement des raccordements complexes en domaine privé. 

La question des raccordements complexes sur un domaine privé a fait l’objet d’un rapport spécifique du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGE) réalisé en avril dernier mais publié la semaine dernière. Ce dernier prévoit notamment la mise en place de ce dispositif de soutien. 

Jusqu’à 1,8 million de raccordements complexes à réaliser

Dans ce rapport, le CGE a mené une évaluation du nombre et du coût des raccordements complexes en domaine privé restant à réaliser. Les auteurs rappellent d’abord que l’évaluation du nombre de raccordements complexes en domaine privé présente des difficultés notamment car « les raccordements complexes ne peuvent pas être identifiés a priori »  et « le sont uniquement lorsque le technicien chargé de réaliser le raccordement rencontre un obstacle pour installer la fibre optique sur le domaine privé et que ceci se traduit par un échec de l’opération de raccordement ». 

Cependant, à partir des données des opérateurs, le CGE estime que ces raccordements complexes chez les particuliers représenteraient « un total de 1,4 à 1,8 million de raccordements complexes »  soit 6 % à 8 % des locaux privés.

Concernant le coût de ces travaux, selon le CGE, environ la moitié de ces raccordements complexes « correspond à des travaux légers d’un coût inférieur à 200 euros ». Dans la plupart des cas, l’intervention est simple : « Il s’agit typiquement de nettoyer une gaine obstruée pour permettre le passage de la fibre optique ». « La plus grande partie du reste concerne des travaux d’importance limitée, pour un coût de l’ordre de 300 à 600 euros, mais pouvant atteindre des montants plus élevés – de l’ordre de 1 000 € voire plus – selon la configuration du terrain et la nature des opérations à effectuer. Il s’agit, par exemple, une fois le point de blocage localisé, de procéder à une fouille sur quelques mètres pour réparer une gaine endommagée. »  Enfin, « les travaux très coûteux, impliquant la création de génie civil, sont très minoritaires »  et ne concerneraient que 2 à 3 % des raccordements. 

L’évaluation du coût total des raccordements complexes au très haut débit à réaliser est donc comprise entre 640 millions d’euros et 1,05 milliard d’euros. Ainsi, les 16,1 millions d'euros débloqués par l‘État pour 2025 paraissent anecdotiques. 

Une aide particulièrement restrictive 

Dans son rapport, le CGE considère que « l’État ne doit pas s’abstenir d’agir »  et propose que soit élaboré un dispositif prenant en compte la capacité des personnes concernées à payer les travaux (enjeu des foyers à faibles revenus), à travers des conditions de ressources, et un système de plafonnement du soutien complet à un référentiel de prestation à soutenir.

A l’occasion d’une réunion de la commission des affaires économiques, Jérôme Nury, rapporteur pour avis sur les crédits du programme « Communications électroniques et économie numérique », a précisé que si le « dispositif prévu dans le présent projet de loi de finances pourrait paraître insuffisant, le montant budgété n’étant que de 16 millions d’euros ; il [lui] semble au contraire adapté, dans la mesure où il est expérimental et où il ne revient sans doute pas à l’État d’absorber la totalité du surcoût dans le domaine privé. » 

Si le dispositif n’est pas encore détaillé par le gouvernement, le rapport du CGE préconise lui que les raccordements inférieurs à 200 euros soient tout bonnement pris en charge par les opérateurs et que l’aide de l’État soit subordonnée « à des conditions de ressources »  pour « limiter les effets d’aubaine, c’est-à-dire la prise en charge par un dispositif d’aide de dépenses qui auraient de toute façon été effectuées par les personnes concernées en l’absence de ce dispositif ». Le nombre de bénéficiaires du dispositif ou les travaux prix en charge seront dont particulièrement limités. Le CGE recommande également un « plafond d’aide fixé à 1 500 euros ». De même, les résidences secondaires pourraient être exclues de cette aide tout comme « les travaux en intérieur ». 

Si toutes les recommandations du CGE sont suivies par le gouvernement pour mettre en place cette aide, les surcoûts liés aux raccordements complexes pour les particuliers ne seront que partiellement pris en charge par l’État. 

Une réponse trop partielle du côté de l'État 

Pour le reste, le CGE compte largement sur l’implication des opérateurs et des collectivités, comme c’est le cas depuis plusieurs années déjà. 

Il faut rappeler qu’en mars 2024, une solution mutualisée, provisoirement nommée GCco, faisant office de péréquation, avait été annoncée « pour le portage des investissements nécessaires aux raccordements complexes »  en domaine public. Le gouvernement devait mettre en place une solution mutualisée de l’investissement en génie civil pour ces raccordements, grâce au soutien de la Caisse des dépôts. Finalement, cette solution n’a pas abouti « faute de consensus unanime et de portage politique du sujet ». La situation est donc figée et s’enlise depuis. Pourtant, le CGE compte sur cette solution GCco pour proposer une offre de pré-raccordement en domaine privé et pour prendre en charge la réalisation du génie civil nécessaire dans des zones où celui-ci n’existe pas.

Enfin, dans son rapport, le CGE propose aussi d’associer au dispositif d’aide aux raccordements complexes en zones privées les collectivités territoriales qui ont déployé des réseaux de fibre optique dits « d’initiative publique ». « Dans ce contexte, leur association au dispositif pourrait prendre la forme d’une participation financière, directe ou indirecte (via la fiscalité) »  et/ou « de la prise en charge d’une partie de l’information du public, avec lequel elles sont naturellement en contact ; ceci faciliterait notamment l’abondement du dispositif par les collectivités qui souhaiteraient le faire (par exemple dans le cadre de l’aide sociale) ».

Si cette piste était suivie par le gouvernement, elle ferait peser une énième charge sur les collectivités qui devront déjà encaisser les coupes budgétaires prévues dans le projet de loi de finances 2025 concernant le Plan France très haut débit, les crédits de paiement passant de 464 millions d'euros alloués en 2024 à 247 millions d’euros.

Concrètement, l’État, par le biais de ce dispositif, va subventionner une petite partie des raccordements complexes mais continue de se reposer largement sur les collectivités et les opérateurs. Un choix politique qui menace de fait l’égalité et la solidarité territoriale puisque les collectivités ne pourront pas gérer seules et de la même manière les problèmes de raccordement chez les particuliers.

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