Maire-info
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Édition du jeudi 27 avril 2023
Aménagement numérique du territoire

Fibre optique : la proposition de loi Chaize veut encadrer l'organisation des opérateurs pour les raccordements

Mardi prochain va être discutée en séance publique la proposition de loi, déposée par Patrick Chaize en juillet 2022, visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique.

Par Lucile Bonnin

L’exaspération est réelle chez les élus locaux et les usagers face aux « désordres persistants »  dans le raccordement à la fibre. En tant que président de l’Avicca, Patrick Chaize, ne connaît que trop bien cette situation qui dure et qui ne s’améliore pas avec le temps. 

En juillet dernier, pour mettre fin à cette impasse et « apporter des solutions aux dysfonctionnements qui surviennent dans le raccordement à la fibre d’utilisateurs finals (débranchements, câbles emmêlés, etc.) » , le sénateur de l’Ain a déposé une proposition de loi ayant pour ambition de « contraindre les opérateurs à réaliser les raccordements à la fibre optique dans les règles de l'art et de sécurité »  et de « garantir aux consommateurs une connexion Internet de qualité (lire Maire info du 22 juillet) ». 

Selon plusieurs acteurs entendus par la rapporteure Patricia Demas, « l’annonce de nouveaux engagements en septembre 2022 aurait été motivée par le dépôt de la proposition de loi deux mois plus tôt. Néanmoins, compte tenu des résultats mitigés des mesures mises en œuvre depuis 2020 et alors que la fermeture du réseau cuivre est imminente, le Sénat a estimé que le temps était désormais aux actes concrets ».

Après un examen en mars dernier par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, le texte va être examiné le 2 mai en séance publique. Il prévoit de fixer un cadre à la mise en œuvre du mode « Stoc »  et de clarifier la répartition des responsabilités, de renforcer les contrôles sur la qualité du raccordement à la fibre et enfin de protéger les droits des usagers notamment en cas d’interruption du service d’accès à internet. 

Encadrer le mode Stoc 

Comme le rappelle Patricia Demas dans son rapport déposé le 12 avril dernier, « le mode Stoc désigne le mode de raccordement des utilisateurs finals à la fibre par lequel l’opérateur d’infrastructure (OI), responsable du réseau, délègue le déploiement des derniers mètres à un opérateur commercial (OC) ».

Et c’est cette manière d’opérer qui est, depuis le début, largement dénoncée, notamment par l’Avicca. La sous-traitance en cascade serait à l’origine de nombreuses malfaçons constatées dans les communes. En 2020, les opérateurs se sont engagés à limiter la sous-traitance à deux rangs. Mais force est de constater que ces nouveaux contrats appelés Stoc V2 « n’ont pas été généralisés sur l’ensemble des réseaux »  et que, même lorsqu’ils sont appliqués, il est quasiment impossible de pouvoir identifier un responsable en cas de dysfonctionnement. 

La proposition de loi vise donc à encadrer cette sous-traitance. Comme l’a précisé Patrick Chaize il y a quelques jours au ministre Jean-Noël Barrot (lire Maire info du 17 avril), « la proposition de loi ne remet pas en cause le mode Stoc » . Cependant, l’article 3 de la proposition de loi prévoit une interdiction du mode Stoc dans les « zones fibrées »  – c’est-à-dire les zones dans lesquelles 100 % des locaux sont déjà raccordables à la fibre. Un amendement déposé en commission sur cet article prévoit d’étendre également l’interdiction du recours au mode Stoc aux communes dans lesquelles la fermeture du réseau cuivre d’Orange a été engagée, mais uniquement pour les raccordements longs et complexes. Autre disposition prise par amendement : si un abonné demande à changer d’opérateur, le raccordement devra se faire directement par l’opérateur d’infrastructures. 

D’ailleurs, cet encadrement du mode Stoc redonne largement la main à l’opérateur d’infrastructures. L’article 1er « rappelle la responsabilité de l’opérateur d’infrastructures (OI) dans le choix du mode de réalisation des raccordements à la fibre sur son réseau (mode « Stoc »  ou mode « OI » ) et son rôle de garant de la qualité des travaux. »  Le texte prévoit l’instauration par l’opérateur d’un guichet unique qui servirait à prendre en charge les problèmes de raccordements signalés par les utilisateurs. Un amendement déposé en commission propose d’imposer « un délai de résolution de la difficulté ne pouvant excéder dix jours ». 

Qualité des réseaux 

Une importante partie de cette proposition de loi consiste à renforcer les contrôles et à protéger davantage les droits des consommateurs. En plus de renforcer les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’Arcep (article 4), il est prévu à l’article 1er qu’un certificat soit remis après chaque intervention au client par l’intervenant pour attester de la conformité des travaux réalisés. 

Une mesure va aussi pouvoir soulager les collectivités : « Dans les réseaux d’initiative publique (RIP) dans lesquels les collectivités territoriales déploient les réseaux à travers des contrats passés dans le cadre de la commande publique, il est prévu que la remise de ce certificat soit une condition préalable au paiement des opérateurs (article 2). »  Un amendement a d’ailleurs été adopté pour rendre obligatoire « la transmission à la collectivité territoriale du calendrier hebdomadaire des interventions dans un délai de 48 heures, lorsqu’elle en fait la demande » . Ainsi, les élus pourront avoir plus de visibilité sur ce qui se passe dans leurs territoires en termes de déploiement. 

D’autres dispositions de la proposition de loi visent à acter et prolonger les engagements qui ont été pris par les opérateurs via un plan « qualité »  présenté il y a six mois par les acteurs de la filière. On retrouve notamment la systématisation du compte rendu d’intervention (CRI), mesure pour laquelle les opérateurs se sont d’ores et déjà engagés – mais avec des dispositions prévues par amendements allant plus loin. Par exemple, un amendement propose que le client puisse « consulter le contrat de sous-traitance et le CRI, pour être en mesure de vérifier la bonne réalisation du raccordement. » D’autres dispositions reprennent les engagements formulés par les opérateurs comme l’instauration d’une « obligation de labellisation de tout intervenant chargé de réaliser un raccordement à la fibre, selon un référentiel national » 

Réticences de la filière 

La principale inquiétude des opérateurs concerne le mode Stoc. Dans un communiqué commun, hier, InfraNum et la Fédération française des télécoms (FFT), ont regretté que ce mode Stoc « figure depuis longtemps sur le banc des accusés ». Les acteurs de la filière considèrent que « c’est autour de celui-ci [le mode Stoc] que la réglementation et la filière se sont articulées de façon à pouvoir produire un volume exceptionnel de raccordements chaque année. » 

Ils alertent sur le potentiel danger que fait peser la « refonte de tous les processus opérationnels et contractuels »  qui à terme « déstabiliserait l’ensemble de la filière »  et « provoquerait un arrêt brutal des raccordements. » 

Les opérateurs dénoncent aussi l’article 5 qui dispose qu’au-delà de dix jours consécutifs sans connexion, une indemnité soit offerte au client. Ils considèrent que ce « dispositif d’indemnisation (…) fait abstraction des solutions de dépannage et de remboursement systématiquement proposées par les opérateurs commerciaux. Cette charge nouvelle aurait l’effet contraire à celui recherché, au détriment des clients concernés ». 

Parmi les apports de la commission, pour protéger les opérateurs « contre d’éventuels abus des consommateurs »  dans ce cadre, le texte prévoit d’exempter l’opérateur « de sanction lorsque l’interruption prolongée du service d’accès à internet est directement imputable à un abonné (par exemple en cas de débranchement volontaire de la box internet) » . Pas sûr que cette mesure rassure les opérateurs qui appellent pour le moment à « la plus grande vigilance quant aux effets qu’une telle loi pourrait produire ».

Du côté du gouvernement, Jean-Noël Barrot semble partager l’avis des opérateurs. Auditionné il y a quelques jours par la commission des affaires économiques du Sénat, il avait alors indiqué partager « le constat porté par la proposition de loi du sénateur Patrick Chaize dont l’objectif est de résoudre les difficultés d’exploitation constatées sur les réseaux en fibre optique »  mais qu’il ne fallait pas « remettre en question le mode Stoc »  pour autant. 

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