Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 25 juin 2025
Environnement

Algues vertes : jugé responsable du décès d'un joggeur, l'État condamné par la justice

C'est la première fois que la justice reconnaît qu'un homme est mort à cause de l'inhalation du gaz issu de la décomposition des algues vertes... et que l'État en est pour partie responsable. Étant la « cause principale » de leur prolifération, les élevages sont aussi pointés du doigt.

Par A.W.

Neuf ans après le décès de Jean-René Auffray, la cour administrative d’appel de Nantes vient de reconnaître, hier, l’État responsable de la mort de ce joggeur de 50 ans, en 2016, dans l’estuaire du Gouessant (Côtes-d'Armor), qui était envahi par les algues vertes.

C’est la première fois que la justice reconnaît que la mort d’un homme a été causée par l’inhalation d’un gaz incolore, mais très toxique, causé par la décomposition de ces algues. 

Carences dans la protection des eaux

Selon les juges nantais, le décès de la victime ne peut ainsi « s’expliquer autrement que par une intoxication mortelle par inhalation d’hydrogène sulfuré à des taux de concentration très élevés ».

Reconnaissant pour la première fois le lien entre le décès d'un humain et ces algues causées par l'élevage industriel, la cour a retenu « la responsabilité pour faute de l’État, en raison de ses carences dans la mise en œuvre de la réglementation européenne et nationale destinée à protéger les eaux de toute pollution d'origine agricole », celle-ci précisant que les « programmes successifs d’actions »  ont été « insuffisants »  et n’ont pas été « de nature à atténuer cette responsabilité ».

Cependant, « la victime, qui avait l’habitude de pratiquer la course à pied dans cette portion du littoral, connaissait les dangers de l’estuaire du Gouessant », ont estimé les juges, considérant ainsi que le joggeur a « pris des risques en allant dans ce secteur ».

Celle-ci rappelle qu’il « n’avait pas pour habitude de traverser la filière du Gouessant dans la mesure où il connaissait les risques d’envasement et d’intoxication à l’hydrogène sulfuré liés à la présence d’algues ». La victime a donc « fait preuve d’une imprudence de nature à atténuer la responsabilité de l’État », selon la cour.

Cette dernière a, toutefois, considéré que l’État n’a pas commis une faute en matière d’information sur les risques encourus bien qu’il n’ait « pas permis au public d’être suffisamment informé du danger que représente la prolifération des algues vertes sur le littoral ». Sur ce point, la cour estime que « la presse locale s’est [suffisamment] fait l’écho, à plusieurs reprises, des accidents survenus sur le littoral ».

L’État condamné « à 60 % » 

En imputant donc à la victime une partie de la responsabilité, la cour a jugé que l’État n’était finalement responsable qu’« à hauteur de 60 % seulement des conséquences dommageables du décès ». 

Résultat, le préjudice subi par la famille du défunt ne sera que partiellement indemnisé. La cour a ainsi condamné l’État à réparer, dans cette proportion de 60 % uniquement, les « préjudices d’affection, économique et frais d’obsèques »  des proches de la victime.

Concrètement, l’État devra donc verser à l'épouse du joggeur la somme de 277 343 euros, assortie d'intérêts, aux trois enfants de la victime 15 000 euros chacun et 9 000 euros à son frère. 

En novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes avait, lui, refusé de faire le lien entre le décès de Jean-René Auffray et les algues vertes, rejetant les demandes d'indemnisation de la famille. Selon ce dernier, le « lien de causalité »  entre la présence de ces algues et la mort du joggeur « ne (pouvait) être établi ». 

Initialement, la famille avait saisi la justice administrative pour demander réparation auprès de l’État, mais aussi de la commune d'Hillion (dont dépend l’estuaire du Gouessant), de l'agglomération de Saint-Brieuc, celle-ci réclamant près de 600 000 euros d'indemnisation.

Élevage intensif et loi Duplomb

« En plein débat sur la Loi Duplomb qui risque d’affaiblir encore un peu plus le contrôle de l’industrie de l’élevage [et qui sera examinée en commission mixte paritaire à la fin du mois], cette décision de justice vient rappeler à nos élus […] que c’est bien le modèle productiviste agricole qui s’oppose au développement de la Bretagne et à la santé de ses habitants et non l’inverse », a commenté l’association Eau et rivières de Bretagne, celle-ci n’étant, cependant, pas partie prenante dans ce contentieux.

« La pollution par les nitrates présents dans les engrais et dans les déjections animales issues de l’élevage constitue en effet la cause principale de la prolifération des algues vertes en Bretagne, ces nitrates comportant des nutriments dont les algues se nourrissent », a rappelé la cour administrative d'appel de Nantes. 

En 2021, la Cour des comptes avait également estimé que la prolifération d'algues vertes en Bretagne est « à plus de 90 % d'origine agricole », le recours aux engrais azotés y ayant fortement progressé depuis les années 1960.

D’autant que la région concentre plus de la moitié du cheptel porcin français avec quelque 4 000 exploitations et reste la première de l’Hexagone pour la production de volailles de chair et fournit toujours le tiers de la production nationale. 

Hasard du calendrier, un collectif de journalistes (Agtivist) vient de cartographier l’ampleur de l’élevage intensif en Europe – dont les élevages sont de plus en plus grands et de plus en plus nombreux. La concentration de ces fermes en Bretagne y est particulièrement visible.

Série de condamnations

Depuis plusieurs années, de nombreuses morts suspectes d’animaux et d’humains en lien avec les algues vertes ont été constatées. Outre le décès du joggeur en 2016, on peut également rappeler la mort en 2009 de Thierry Morfoisse, décédé sur son lieu de travail. Le lien entre l’activité de cet employé chargé de transporter des algues vertes et sa mort n’a, toutefois, pas été reconnu par la justice

À l’été 2011, 36 sangliers avaient été retrouvés morts dans l’estuaire du Gouessant, près de Saint-Brieuc. En juillet 2014, le tribunal administratif de Nantes avait également reconnu la responsabilité de l’État dans la mort d’un cheval enlisé dans une vasière et asphyxié par les émanations de sulfure d’hydrogène issues des algues vertes.

L’État a également été condamné, à plusieurs reprises, à rembourser les collectivités pour les frais de nettoyage conséquents, et notamment la communauté d’agglomération de Saint Brieuc

Reste que la décision d’hier fait suite à celle du mois de mars dernier qui a ordonné à l’État de réduire la pollution aux nitrates. Saisi par Eau et rivières de Bretagne, le tribunal administratif de Rennes a ainsi jugé que les mesures mises en œuvre par les autorités pour réduire la pollution ont, jusqu’ici, été insuffisantes. 

Consulter la décision de justice. 

 

Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2