Aide alimentaire : un financement suffisant mais une stratégie à repenser, selon la Cour des comptes
Par Lucile Bonnin
5,6 millions de personnes sont inscrites à l’aide alimentaire en France, estime la Cour des comptes. Les crises successives du covid et de l’inflation ont augmenté le nombre de personnes devant recourir à l’aide alimentaire. Selon une étude de l’Insee par exemple, la crise sanitaire de 2020 a forcé 200 000 à 400 000 personnes à recourir à l'aide alimentaire. La baisse des dons à cause de l’inflation a également pu conduire certaines associations à se trouver au bord de la rupture. En 2023 par exemple, les Restos du Cœur ont été contraints de baisser le seuil du « reste à vivre » à ne pas dépasser pour être éligible à leur aide.
Face à ces nombreux défis, la Cour des comptes analyse l’aide alimentaire financée par l’État et donne des pistes pour mettre notamment en place des « outils renouvelés de connaissance de l’offre et de la demande. »
Une hausse du soutien de l’État
La Cour des comptes observe d’abord sans surprise que l’aide alimentaire est en premier lieu « déterminée et mise en œuvre par le tissu associatif, et n’est financée que de manière minoritaire par l’État et les fonds européens. »
En effet, les premières ressources des associations d’aide alimentaire sont les dons (en nature ou donnant lieu à l’achat de denrées, estimés à 540 millions d’euros en 2022) et le bénévolat (dont la valorisation a été estimée en 2018 par le Sénat à 500 millions d’euros). Viennent ensuite les dépenses fiscales sur les dons (317 millions d’euros en 2022) et les financements des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS et CIAS, entre 200 et 260 millions d’euros, selon une estimation Igas de 2020). Le soutien de l’État par année, en moyenne, s’élève quant à lui à 115 millions d’euros sur la période 2019-2023 et les fonds européens sont estimés à 69 millions d’euros par an entre 2014-2021.
Pour les magistrats, « cette position non majoritaire de l’État est cohérente avec le fait que l’histoire des États-providence modernes est précisément marquée par la mise en place de droits à prestations monétaires par les pouvoirs publics, plutôt que de distributions charitables d’initiative privée. »
Cependant, la Cour des comptes pointe une hausse forte du soutien de l’État pendant la complexe période 2019-2023 : « Les crédits du budget de l’État consacrés à l’aide alimentaire ont connu une forte hausse depuis 2019 passant de 58,7 M€ en 2019 à 159,9 M€ en 2023, soit une hausse de 172 % des crédits », peut-on lire dans le rapport.
Au-delà de cette hausse conjoncturelle, les magistrats de la rue Cambon estiment que le maintien d’un soutien de l’État à l’aide alimentaire se justifie à cause de « la persistance de situations de grande détresse malgré la mise en place de prestations monétaires » et parce que « les réseaux de distribution assurent, pour des bénéficiaires souvent éloignés des services sociaux, un premier accompagnement vers l’entrée dans un parcours d’insertion. »
Cartographie et chèque alimentaire
Pour les magistrats financiers, « l’État doit se doter des outils permettant de progresser vers une meilleure connaissance, tant de l’offre que de la demande » . Car s’ils estiment que le financement de la part de l’État est suffisant, ils considèrent cependant que « l’absence de vision globale sur un territoire de l’offre présente, ainsi qu’une absence de prévisibilité de l’offre pour le bénéficiaire » entrainent « une utilisation des crédits non optimisée. »
A cet égard, la Cour épingle la mise en œuvre du programme Mieux manger pour tous, dont elle recommande « d’interroger dès 2025 la pérennité ». L’approche serait, « trop complexe » et surtout « trop générale pour son volet local finançant en pratique une multitude de projets et d’expérimentations, et poursuivant des objectifs trop nombreux ».
Enfin, et surtout, il apparaît que l’État doit faire en sorte de se doter de nouveaux outils. « Les améliorations du système d’information ne doivent pas seulement concerner les bénéficiaires mais aussi la cartographie de l’offre, en particulier des zones blanches. Une connaissance plus fine des grands réseaux associatifs, de leurs capacités réelles à monter en charge, est aussi un prérequis » , peut-on lire dans le rapport.
Si au plan local des cartographies ont été élaborées sur certains territoires, financées par l’État et/ou les collectivités locales, il n’en n’existe pas au plan national. Il est donc recommandé d’intégrer un volet précarité alimentaire dans les stratégies départementales de lutte contre la pauvreté, contenant une cartographie de la demande et de l’offre.
Le chèque alimentaire peut aussi être considéré comme un outil pertinent au niveau national. Il a d’ailleurs déjà « été adopté par plusieurs collectivités locales depuis la fin des années 1990, principalement sous forme de chèques emploi service universel (Cesu) et de chèques d'accompagnement personnalisé (CAP) » . La Cour préconise de tirer les enseignements des expérimentations qui sont menées par les collectivités territoriales des expériences étrangères de chèques alimentaires pour que l’État puisse mener à l’avenir « une réflexion sur les modalités de l’aide apportée. »
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2
Simplification du droit de l'urbanisme : ce qu'il faut retenir du compromis trouvé en CMP
Climat : les dépenses « brunes » des collectivités en recul de 9 % ces dernières années
MaPrimeRénov' rouvrira fin septembre, de façon limitée et avec des règles beaucoup plus strictes
En 2023, le salaire net des agents territoriaux s'élevait à 2 254 euros par mois








