Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 10 novembre 2025
Services publics

Accès aux services publics : des inégalités qui vont « au-delà des fractures territoriales »

Le collectif Nos services publics publie son troisième rapport annuel sur l'état des services publics. Il pointe les limites du modèle politique et économique actuel des services publics dans tous les territoires.

Par Lucile Bonnin

« Dans les 40 dernières années, un recul important de l’implantation des services publics historiques a été constaté sur l’ensemble du territoire. Par son caractère immédiatement visible dans les territoires peu denses, il nourrit l’idée d’un abandon de la France rurale au détriment de la France urbaine. » 

En réalité, les inégalités face aux services publics dépassent cette question de différenciation territoriale. C’est ce que montre cette nouvelle étude du collectif Nos services publics qui mêle données statistiques, analyses juridiques et témoignages de terrain.

La relative efficacité des espaces France services 

La présence de guichets pour l’accès aux services publics a fait l’objet d’une recomposition « dans un contexte de contraintes budgétaires fortes, où la fermeture de points d’accueil traditionnels et la numérisation des démarches s’opposent à un besoin d’accompagnement humain dans l’accès aux droits ». Aussi, on observe « depuis une décennie »  que de nombreuses agences et acteurs publics réduisent leur nombre de guichets spécifiques (trésorerie, centre des impôts, agence Pôle emploi devenue France travail, Mutualité sociale agricole, caisses d’allocations familiales, etc.)

Pour « compenser »  cette dynamique de retraits, depuis 2020, 2 800 maisons France services ont été déployées sur l’ensemble du territoire, où chaque mois près d’un million de personnes sont accompagnées. Selon Nos services publics, si cette initiative « permet un retour de l’accompagnement humain »  elle souffre cependant « de limites réelles et en particulier pour les publics les plus vulnérables » . Par exemple, le phénomène de non-recours reste élevé (environ 34 % pour le RSA) et touche toujours les populations les plus fragiles, ce qui traduit un écart entre les dispositifs déployés et leur utilisation réelle. Ainsi « l’implantation territoriale ne suffit pas à garantir l’accès aux services publics, et l’accès aux services n’est qu’une dimension de l’accès effectif aux droits. » 

Le fonctionnement du service public révèle aussi selon le collectif « un cumul des inégalités territoriales et institutionnelles ». En effet, le « développement des espaces France services implique un coût important pour les collectivités territoriales – le fonctionnement d’un espace avoisine 100 000 euros annuels, alors que la subvention étatique ne représentera que 50 000 euros en 2026. » 

Ainsi, les auteurs du rapport estiment que les « collectivités les mieux dotées financièrement et politiquement captent plus aisément les subventions et les financements par projet, tandis que les communes économiquement fragiles restent en marge du maillage territorial, avec un pouvoir de négociation affaibli face à l’État et aux opérateurs historiques. » 

Des mécanismes institutionnels qui aggravent les inégalités

L’analyse proposée par Nos services publics montre que si l’Outre-mer, les territoires ruraux enclavés ou les quartiers populaires sont « tendanciellement délaissés, les fractures sociales analysées ne recoupent pas la distinction schématique ''rural / urbain'', mais laissent plutôt place à une multiplication des clivages et exclusions. » 

Toujours en défendant cette idée que « l’ineffectivité des droits dépasse largement la question de l’accès physique » , le collectif prend plusieurs exemples qui tendent à démontrer que les difficultés d’accès aux services publics s’enracinent aussi « des dispositifs institutionnels, des arbitrages budgétaires et des rapports de force qui favorisent les groupes les mieux dotés. » 

En matière d’éducation par exemple, dans l’enseignement primaire et secondaire, la répartition des professionnels renforce les inégalités de traitement des élèves, selon les auteurs. Concrètement, « les académies concentrant les établissements qui accueillent les plus grandes parts d’élèves issus de familles défavorisées — comme Créteil, Versailles ou la Guyane — sont celles où le manque d’enseignants est le plus criant et où le recours aux contractuels est le plus massif ».

Le rapport soulève enfin une idée intéressante concernant l’impact de la mauvaise image que peuvent avoir les citoyens des services publics. En 2023, le collectif avait identifié une montée en puissance des services privés (lire Maire info du 18 septembre 2023) notamment dans la santé, l’éducation et l’enseignement supérieur. « Face aux faiblesses réelles ou supposées des services publics, les usagers les plus aisés choisissent soit de faire appel au secteur privé soit de faire pression pour s’assurer d’accéder aux meilleures ressources publiques au détriment des usagers plus précaires » . Autre exemple : concernant l’accès à l’eau potable, les analyses réalisées par le collectif montrent qu’il existe un « phénomène de non-recours au service de la part des abonnés les moins favorisés »  qui s’expliquerait en grande partie par « un manque de confiance dans le service » . Résultat : « ces foyers ont très souvent recours à l’eau en bouteille, pourtant plus chère et plus contraignante d’accès » .

La dématérialisation de la plupart des démarches accentue cette représentation négative des services publics. C’est notamment ce que montre un rapport d’information du Sénat publié en septembre qui dépeint des relations fastidieuses – quasi kafkaïennes – avec les services publics et davantage encore en ligne où « l'image du ''parcours du combattant'' vient spontanément à l'esprit »  des citoyens sondés.

Rappelons d’ailleurs que les Français peuvent interpeller directement leurs services publics du quotidien sur le site Services Publics + (rubrique « Je donne mon avis »  ) pour partager une expérience, bonne ou mauvaise.

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