Hausse des prix alimentaires : 15 % de hausse des budgets pour les cantines
Par Emmanuel Guillemain d'Echon
Crise de l’énergie, grippe aviaire, peste porcine, guerre en Ukraine, pénuries et effets de la spéculation : la tension sur les budgets alimentaires des particuliers comme des collectivités est inédite et pose de plus en plus de problèmes aux communes, notamment pour l’approvisionnement de leurs cantines scolaires.
« À ce jour, nous estimons à 15 % la hausse moyenne des budgets d’achats de denrées alimentaires chez nos adhérents », a déclaré Sylvestre Nivet, vice-président de l’association de gestionnaires de cantines scolaires, Agores. « Et nous ne sommes pas à l’abri d’une deuxième vague ».
Pour le directeur de la restauration scolaire de la ville de Poitiers, cela fait déjà quelques années que lui et ses collègues ont appris à faire face à la volatilité des cours de l’alimentation : surproduction ici ou là, épisodes de grippe aviaire… « D’autres familles de produits permettaient d’équilibrer les budgets. Mais là, nous sommes inquiets car ce sont toutes les catégories qui augmentent en même temps », poursuit Sylvestre Nivet.
La raison ? La hausse des prix de l’énergie bien sûr : le gazole a pris 134 % en un an (avril 2021 à avril 2022) selon l’Insee, et le prix du baril de pétrole brut (Brent) a quasiment sextuplé en deux ans, avec des impacts sur le prix des engrais, aliments pour animaux, la transformation des produits (notamment l’épicerie, les gâteaux, les huiles), etc. S’y ajoutent plusieurs éléments qui coïncident : une épidémie de grippe aviaire sans précédent (seize millions de volailles abattues en France depuis novembre dernier), la peste porcine en Afrique, l’impact de la crise du covid-19 qui a toujours des conséquences sur l’approvisionnement en bois, métaux, et bien sûr la guerre en Ukraine, premier producteur mondial d’huile de tournesol, qui n’arrive plus à assurer ses exportations, ses ports étant bloqués par l’armée russe. « On parle également d’une pénurie de lait à venir », ajoute Sylvestre Nivet.
En France, les prix agricoles à la production ont augmenté de 26,8 % entre mars 2021 et mars 2022, avec + 68,6 % pour les céréales et + 70,8 % pour les oléagineux (tournesol, colza).
Relocalisation et spéculation
Pour autant, cela n’explique pas tout : dans un contexte d’inquiétude – le pire étant probablement à venir, puisqu’il est impossible de savoir dans quelle mesure l’Ukraine pourra assurer le semis, la récolte et l’exportation de ses céréales et oléagineux, tandis que la Russie exporte moins en raison des sanctions –, certains industriels en profitent pour spéculer, selon Sylvestre Nivet.
« Par exemple, les lentilles augmentent aussi, alors que l’on sait très bien qu’elles ont été récoltées l’an dernier [et que l’Ukraine en produit très peu, ndlr] ; il y a une part de spéculation ou d’anticipation des hausses à venir », explique le gestionnaire.
C’est d’autant plus visible que nombre de cantines ont entrepris une relocalisation progressive de leurs approvisionnements : « Nous nous fournissons auprès d’un producteur de lentilles qui est à quinze kilomètres de Poitiers ; il a demandé une hausse de 10 %, alors qu’un gros distributeur dont je ne citerai pas le nom réclame 70 %. » Un autre petit producteur local d’huile de tournesol souhaite aussi une hausse de 10 %, quand l’huile venue d’Ukraine a augmenté de 300 %.
Pour Sylvestre Nivet et Agores, cette crise est d’ailleurs l’occasion « de reposer un certain nombre de questions sur notre mode de fonctionnement », par exemple sur la relocalisation de l’alimentation : « On s’aperçoit, à l’épreuve des faits, que la relocalisation gomme énormément les effets de la spéculation et des grandes tendances internationales – sachant que le prix du blé est basé sur les cours de la bourse de Chicago ! »
Poursuivre les transformations de la restauration collective
Mais il y a aussi d’autres sujets à reconsidérer, que ce soit sur la part de viande dans les repas (et les budgets), ou le gaspillage alimentaire, qui représente toujours « entre 80 et 100 grammes par repas » en moyenne. « Il y a la question de l’accès à la cantine. Au Conseil national de la restauration collective (CNRC), nous expérimentons la réservation quotidienne des repas, qui pourrait être une solution pour limiter le gaspillage », ajoute Sylvestre Nivet.
Pas question pour l’instant de toucher au prix des repas pour les parents d’élèves, comme le suggèrent certains fournisseurs, rapporte Virgine Lanlo, élue à Meudon et co-présidente du groupe de travail sur la restauration scolaire à l’AMF.
« Ce n’est pas si simple que ça de répercuter les hausses sur les tarifs aux familles. Car cela touche à leur pouvoir d’achat qui est aussi sous tension, et nous devons pouvoir assurer leur accès à la cantine », explique l’adjointe au maire à l’éducation, qui, dans sa ville, n’a pas encore subi les effets des hausses de prix, car la restauration scolaire est assurée en délégation de service public par un prestataire.
« Chaque année en août, il y a une revalorisation des prix ; nous nous attendons à une répercussion sans en connaître l’ampleur pour l’instant », explique Virginie Lanlo. La négociation s’annonce serrée, d’autant que l’État demande aux collectivités de supporter unilatéralement les surcoûts en s’appuyant sur la théorie de l’imprévision (lire Maire info du 4 avril).
« On est prêts à mettre la main à la poche pour soutenir les fournisseurs, mais cela sera compliqué si l’État ne nous aide pas à compenser ces hausses », argumente l’élue. Ce qui ne semble pas à l’ordre du jour pour l’instant.
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