Logement : sujets aux « erreurs en pagaille », les nouveaux DPE ne seraient « pas fiables »
Par A.W.
« Erreur de superficie, portes ou fenêtres oubliées, isolation mal prise en compte, chauffage et production d’eau chaude mal évalués… » Le tout nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) – auquel tout propriétaire qui veut louer ou vendre doit se soumettre et qui doit permettre d’en finir avec les passoires énergétiques – n’en finit pas de faire des vagues après les importantes anomalies signalées dès sa mise en œuvre, en juillet dernier.
Son premier bilan, réalisé à une petite échelle par le magazine 60 millions de consommateurs, apparaît comme tout sauf « flatteur » et mettrait en cause sa fiabilité. Alors que ses critères ont été entièrement refondus pour le rendre plus crédible que son prédécesseur (déjà jugé comme « pas fiable » par le journal en 2018), le nouveau DPE pourrait finalement entraîner « un important contentieux » devant les tribunaux, prévient la journaliste Fanny Guibert, à l’origine de ce dossier bâti sur une vingtaine de diagnostics (cinq DPE réalisés par des diagnostiqueurs différents dans quatre maisons).
Une même maison classée C, D et E
Résultat, des « erreurs en pagaille », explique le magazine édité par l'Institut national de la consommation, qui a relevé que, « pour une même maison, les cinq diagnostiqueurs n’aboutissent pas au même résultat ! Il y a toujours au moins deux lettres différentes, et parfois trois pour les étiquettes énergie ». Alors qu’elle devrait obtenir une évaluation similaire, « la même maison peut être cotée D, C ou E […] ce qui montre qu’il y a des problèmes » dans l’élaboration de ces DPE, a relaté la journaliste dans un entretien à Franceinfo.
Même sur la superficie, « il peut y avoir des erreurs ». « Ce qui est quand même assez grave », assure-t-elle, en rappelant qu’étant donné que « le diagnostic est fait à partir des mètres carrés, si vous en mettez plus, vous aurez une note plus favorable ». Dans l’un des DPE, une maison mesurant réellement 138 m² a ainsi été diagnostiquée « à 162 m² », ce qui représente un « écart énorme », indique Fanny Guibert, qui s’est dit « assez catastrophé[e] » par ces résultats lors d’une conférence de presse. « On est loin d'avoir une procédure harmonisée pour savoir si on a une maison D ou B », estime-t-elle.
Pour rappel, ce nouveau DPE doit désormais être établi par l’un des 8 000 professionnels agréés en se basant sur les caractéristiques techniques du bâtiment (et non plus sur les factures d’énergies), ceux-ci classifiant les logements de la meilleure note « A » à la moins bonne « G » (les biens classés « F » et « G » étant considéré comme des passoires énergétiques), en fonction de leur performance énergétique.
Risque de contentieux important
Les enjeux sont d’autant plus importants que les nouveaux DPE sont désormais opposables au vendeur et au bailleur. Une manière de rendre ces diagnostics « plus sérieux » … à condition qu’ils soient fiables. « Si vous avez une très bonne note, mais que l’acheteur s’aperçoit après [coup] qu’elle était surévaluée, il peut désormais y avoir des poursuites » et des réparations, rappelle la journaliste, qui prévient d’un risque important de contentieux au regard des résultats obtenus lors du test.
Des anomalies avaient pourtant déjà été signalées par les diagnostiqueurs et les agents immobiliers, dès l’été dernier, lors de la mise en place de la première mouture du nouveau DPE. Après l’avoir suspendu fin septembre, le gouvernement l’avait rapidement corrigé (de manière marginale) avec une nouvelle formule effective depuis novembre. Une première réforme qui pourrait donc être ratée, si ces résultats venaient à se confirmer.
D’autant que ce nouveau DPE va bientôt impliquer de nouvelles contraintes pour les propriétaires : à compter de fin août 2022, les loyers des logements classés F ou G (ceux considérés comme des « passoires thermiques » ) ne pourront plus être augmentés. Ces mêmes logements ne pourront également pas non plus être vendus sans audit énergétique à partir du 1er septembre prochain. Surtout, à partir de 2025, les logements classés G seront catégorisés comme indécents et ne pourront plus être loués, en attendant le tour de ceux classés F en 2028 puis E en 2034.
Un « immense défi » pour le gouvernement
En raison de ces enjeux, « tous les DPE doivent être fiables » explique le magazine qui estime que la formation des diagnostiqueurs doit « absolument être renforcée ».
« C'est un immense défi que je prends très au sérieux parce qu'on a pris l'engagement de rénover 700 000 logements par an », a répondu la nouvelle ministre de la Transition écologique, Amélie de Montchalin, interrogée, hier, à ce sujet sur France Inter.
« Oui, nous avons à mieux normer, à mieux encadrer, d'abord pour qu'il y ait moins de fraudes et moins d'arnaques, et nous avons fait un gros travail de normalisation et de contrôle », a-t-elle indiqué, en reconnaissant toutefois que « sur ce sujet, il faut effectivement qu'il y ait des pratiques beaucoup plus homogènes ». « Il faut que les diagnostics de performance énergétique soient de bonne qualité et soient encadrés », a-t-elle fait valoir.
Jusqu’à 40 % du parc immobilier « obsolète » ?
Autre conséquence préoccupante, le nombre de « passoires thermiques » évalué par le nouveau DPE pourrait être beaucoup plus élevé que les 4,8 millions de logements annoncés.
« En réalité, le nombre de passoires thermiques sera plutôt autour de 7 millions, soit près de 25 % du parc », estimait en décembre dernier Olivier Sidler, fondateur du bureau d’études Enertech et porte-parole de l’association NégaWatt, dans un article du quotidien Le Monde. S’il considérait que « le logiciel fonctionne bien », il jugeait les prévisions du ministère « fausses » puisqu’elles « surestiment la qualité des logements français ». D’autres études tablaient sur « au moins 30 % de passoires thermiques », selon lui.
Le président de la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim), Jean-Marc Torrollion, s’inquiétait même de voir le nouveau DPE « rendre 40 % du parc immobilier obsolète ». « Pouvons-nous nous le permettre ? », s’interrogeait-il.
D’autres acteurs ne cachent également plus leurs craintes qui s’accumulent concernant la spéculation sur le foncier. Elle est « déjà bien lancée », constatait lundi, comme le relatait Maire info, Éric Vuillemin, secrétaire général de l’association départementale des maires de l’Aube, alors que l’inquiétude monte chez les élus locaux sur la question du zéro artificialisation nette (ZAN). S’il est impossible de construire du logement accessible, en raison du ZAN et de la spéculation foncière, une crise majeure du logement pourraient s’annoncer, craignent plusieurs élus.
Alors que cette réforme ne semble pas encore bien absorbée par tous les acteurs, la Commission européenne propose déjà de durcir le cadre juridique dans sa nouvelle directive sur la performance énergétique des bâtiments, présentée en 2021, et qui était soumise à la consultation jusqu’au 1er avril dernier.
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