Mode d'élection à Paris, Lyon et Marseille : le gouvernement va-t-il passer en force ?
Par Franck Lemarc

Il n’est pas fréquent que le clivage entre députés et sénateurs soit si profond. La proposition de loi visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille a été largement adoptée à l’Assemblée nationale mais rejetée dans son ensemble par le Sénat, ce qui a conduit à la convocation d’une commission mixte paritaire (CMP), avant-hier. Mais avant même la tenue de celle-ci, les deux rapporteurs du texte à l’Assemblée nationale et au Sénat n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur des propositions communes, et la CMP a tourné court.
Une réforme qui pose de multiples questions
Pour rappel, cette proposition de loi vise à mettre fin à l’exception que connaissent les trois plus grandes villes du pays, où le conseil municipal est élu au suffrage indirect : à Paris, Lyon et Marseille, les électeurs élisent des conseillers par arrondissement, et seuls les premiers élus de chaque arrondissement siègent au conseil municipal, à Lyon et Marseille, ou au conseil de Paris, dans la capitale – assemblée où sera élu le maire.
Le parti macroniste, à l’origine de ce texte, ne se lasse pas de répéter qu’après avoir adopté la réforme du mode de scrutin dans les communes de moins de 1000 habitants, il faut poursuivre sur le chemin de l’harmonisation, et mettre fin à l’exception qui touche ces trois villes seulement. Parmi les opposants à ce texte, en revanche, on murmure que le gouvernement est moins motivé par l’harmonisation des modes de scrutin que par la perspective de faire élire une de ses ministres à la mairie de Paris, ce que la réforme envisagée pourrait faciliter.
Quoi qu’il en soit, l’AMF elle-même s’est montrée plus que réservée sur cette réforme, qui induirait des difficultés logistiques et financières considérables. En effet, le texte envisagé ne propose pas d’abolir les conseils d’arrondissement, mais de mettre en place un double scrutin, le même jour : l’un pour élire les conseils d’arrondissement, l’autre pour élire le conseil municipal, sur une circonscription unique. À Lyon, il faudrait même organiser, le même jour, un troisième scrutin : l’élection des conseillers métropolitains. Il faudrait donc dédoubler – voire tripler – les bureaux de vote, les bulletins de vote, la propagande électorale, et, dernier problème mais certainement pas le moindre, trouver deux ou trois fois plus d’assesseurs que d’habitude, quand il est déjà fort difficile aux maires d’en trouver suffisamment pour compléter un seul bureau.
Autre problème soulevé par la réforme : celle-ci conduirait à passer la « prime majoritaire » à 25 % dans ces trois villes. Pour rappel, dans le scrutin de liste proportionnel à deux tours, la liste arrivée en tête obtient automatiquement 50 % des sièges, puis un nombre de sièges supplémentaires proportionnel à son score. Pour éviter un « écrasement » du conseil municipal par le groupe majoritaire, il est donc proposé de passer la prime à 25 % des sièges à Paris, Lyon et Marseille. Ce qui pourrait conduire à des situations de majorité relative dans les conseils municipaux de ces trois villes – comme c’est le cas à l’Assemblée nationale depuis trois ans, avec le succès que l’on sait.
Toutes ces difficultés ont conduit le Sénat à rejeter très largement cette proposition de loi, estimant qu’elle avait été conçue de façon « précipitée », qu’elle générerait une « instabilité politique » et qu’elle était, de toute façon, « fragile sur le plan juridique, impossible à mettre en œuvre sur le plan pratique et au coût particulièrement élevé ».
Rappelons qu’à l’Assemblée nationale, le texte avait été voté essentiellement… par les partis qui estimaient qu’ils y gagneraient sur le plan électoral, à savoir les macronistes, LFI et le RN.
CMP non conclusive
La commission mixte paritaire n’a pu que constater le désaccord de fond entre les deux chambres. Le rapporteur de l’Assemblée nationale, Jean-Paul Mattei, a certes proposé « des évolutions substantielles » pour répondre aux préoccupations de sénateurs. Il a par exemple proposé que les maires d’arrondissement siègent, de droit, dans les conseils municipaux, « afin d’assurer une représentation directe des arrondissements au sein de l’organe délibérant central ». Ou encore de sortir éventuellement la ville de Lyon du périmètre de la réforme, pour éviter le triple scrutin.
Las : aucune de ces propositions n’a trouvé grâce aux yeux de Lauriane Josende, la rapporteure pour le Sénat. En CMP, celle-ci a notamment longuement argumenté sur la présence « de droit » des maires d’arrondissement dans le conseil municipal, qui soulèvent selon elle « des problèmes multiples » : faire participer au conseil municipal automatiquement des personnes non élues dans ce scrutin – puisque l’élection des conseillers d’arrondissement serait différenciée de celle des conseils municipaux – pose « un problème constitutionnel » ; et, par ailleurs, la présence des maires d’arrondissement, à voix égale, dans le conseil municipal, ne reflèterait pas la très grande diversité des arrondissements en terme de population – à Paris par exemple, il y a 14 fois plus d’habitants dans le 15e arrondissement que dans le 1er.
La rapporteure du Sénat est restée ferme sur les positions exprimées en séance : « La réforme envisagée a été élaborée dans la précipitation, sans concertation des acteurs concernés – au premier chef desquels les maires d’arrondissement – et surtout en se limitant à la seule question du mode de scrutin, sans aborder la question fondamentale des compétences et du fonctionnement institutionnel actuel de ces trois villes, avec leurs innombrables particularités. » Plus brièvement, a-t-elle conclu, elle était « mal emmanchée ». Lauriane Josende a toutefois précisé que le Sénat n’était pas, en soi, opposé à une réforme du mode de scrutin dans ces trois villes, mais qu’il ne jugeait, en l’espèce, ni la méthode ni le calendrier « satisfaisants ».
Les deux rapporteurs ont donc fait le constat de « l’impossibilité de proposer un texte commun », et la CMP s’en est tenue là.
Stop ou encore ?
Après l’échec d’une commission mixte paritaire, deux options sont possibles pour le gouvernement : ou bien abandonner la réforme, ou bien relancer une nouvelle navette parlementaire. Dans ce cas, le Sénat examinerait de nouveau le texte – et le rejetterait à nouveau. Puis l’Assemblée nationale s’en saisirait et aurait le dernier mot, avec une probable adoption du texte par le biais de cette étrange alliance Renaissance-LFI-RN. Une telle option, qui s’apparenterait à un passage en force du gouvernement, présente de multiples risques. D’abord, adopter un texte concernant les conseils municipaux en passant outre l’opposition formelle du Sénat, c’est-à-dire la chambre des collectivités, serait particulièrement mal vécu par les sénateurs et leur président Gérard Larcher. Ensuite, cela contribuerait à tendre fortement les relations entre le bloc central et Les Républicains, très opposés à cette réforme – et dont le président, rappelons-le, siège au gouvernement avec le rang de ministre d’État. Et ce alors que l’alliance entre le bloc central et les LR est à cette heure la seule chance de survie du gouvernement de François Bayou.
Pourtant, il semble bien que le gouvernement se prépare à choisir cette dangereuse option. Lors de la séance de questions au gouvernement, hier au Sénat, la sénatrice LR Muriel Jourda a demandé au gouvernement ses « intentions » : « Je lis dans les journaux que vous souhaiteriez poursuivre le processus législatif… ». Patrick Mignola, ministre chargé des Relations avec le Parlement, lui a répondu : « Les institutions, rien que les institutions, mais toutes les institutions ! (…) Il est possible qu'il y ait des différences de vues profondes entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Nos institutions prévoient qu’après l’échec d’une CMP, les deux chambres soient saisies en nouvelle lecture. »
Le ministre a omis de préciser que « les institutions » n’empêchent nullement qu’un texte qui fait l’objet d’un tel désaccord soit abandonné. Sa réponse semble donc confirmer les rumeurs selon lesquelles la navette va reprendre, dès la semaine prochaine, à l’occasion de la session extraordinaire qui commence mardi. Si c’est bien le choix qu’opère le gouvernement, il le fera à ses risques et périls.
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