Éducation sexuelle à l'école : un nouveau programme présenté sur fond de polémiques
Par Lucile Bonnin
C’était en juin 2023 que l’ex-ministre de l’Éducation Pap Ndiaye annonçait dans un communiqué « l’élaboration d’un programme et d’un plan de formation pour les personnels » concernant l’éducation sexuelle dans les établissements scolaires. Depuis, les textes ont tardé à être présenté notamment à cause du contexte politique instable depuis la dissolution de l’Assemblée nationale.
La semaine dernière enfin, la publication au Bulletin officiel de l’Éducation nationale du programme de l’éducation à la vie affective et relationnelle (dans les écoles) et de l’éducation à la vie affective et relationnelle, et à la sexualité (dans les collèges et les lycées) a mis un terme à ce long feuilleton.
Maire info fait le point sur ce que contient finalement ce programme et sur les détails de sa mise en œuvre, dans un contexte où de nombreuses rumeurs et fausses nouvelles ont été diffusées par ses détracteurs.
Rappelons qu’actuellement moins de 15 % des élèves en France bénéficient de séances d’éducation sexuelle pendant l’année scolaire en école et moins de 20 % au collège, selon l’Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche. C'est pourtant une obligation depuis 2003 : les élèves des écoles, collèges et lycées doivent suivre trois séances annuelles d’éducation à la sexualité. Au-delà du besoin de sensibiliser davantage les élèves au sujet, ce nouveau programme vise indirectement à corriger le défaut de mise en œuvre d’une éducation à la sexualité effective sur l’ensemble du territoire national. Trois séances annuelles par niveau devront donc désormais être mises en place, selon les modalités publiées la semaine dernière.
Ce programme suit trois grandes thématiques qui sont les mêmes pour la maternelle, la primaire et même le collège et le lycée : « Se connaître, vivre et grandir avec son corps », « Rencontrer les autres et construire des relations, s’y épanouir » et « Trouver sa place dans la société, y être libre et responsable ».
De la maternelle à l’école primaire
Dans le premier degré (école maternelle et élémentaire), le programme « prend la forme d’une éducation à la vie affective et relationnelle axée sur le développement de l’enfant et des relations sociales », peut-on lire dans la présentation.
En maternelle, des objectifs d’apprentissage par axe du programme et par niveau ont été fixés. Avant 4 ans par exemple, un des objectifs est d’apprendre à l’enfant à « connaître son corps et comprendre ce qu’est l’intimité » . Des propositions de démarches sont formulées pour les enseignants. Ainsi, pour atteindre cet objectif, le programme conseille à l’enseignant de faire connaître « la notion d’intimité à partir de différentes situations de la vie quotidienne, relatives par exemple à l’habillage-déshabillage (toilette, consultation médicale, à l’école) ou dans des albums traitant de ces situations. » Les objectifs du programme sont détaillés pour chaque tranche d’âge, allant d’ « avant 4 ans » à « à partir de 5 ans ».
Du côté de l’école primaire, le principe est le même : chaque niveau va aborder trois thématiques différentes en trois séances et avec trois sujets à aborder dans l’année. En CE2 par exemple, l’enseignant abordera la question du bien-être dans le but de « comprendre que la bonne santé concerne la santé physique, la santé mentale et la santé sociale (relations avec les autres) » . La question du droit des enfants sera aussi abordée dès le CE2, avant d’aborder le thème de la puberté en CM1 et celui des violences sexistes et sexuelles en CM2.
Rappelons que ce programme n’a pas été construit au hasard. Après des mois de concertation intense, le Conseil supérieur de l'éducation (CSE) a voté fin janvier à l'unanimité (60 voix pour et 0 contre) en faveur de ce programme.
Du collège au lycée
« Dans le second degré (collège et lycée), l’éducation à la sexualité, qui vient en complément de la vie affective et relationnelle, apporte des informations adaptées à l’âge des élèves sur leur santé, leurs droits, et les comportements ou relations responsables » , peut-on lire dans la présentation.
Le principe est le même que pour le premier degré mais les objectifs sont différents. Au collège, les compétences visées sont larges, allant du développement des liens sociaux en sixième, jusqu’au principe de « respect et d’égalité concernant le sexe, le genre et l’orientation sexuelle. » D’ailleurs, notons que si le terme « genre », qui fait frémir de nombreux collectifs conservateurs, est bien présent dans la version finale du programme, l’homosexualité n’est abordée qu’à partir de la classe de troisième par une approche historique et juridique, notamment pour lutter contre les discriminations. De même, aucune trace du mot « transgenre » redouté par un certain nombre d'associations de parents d'élèves. Le programme vise plutôt à mettre en avant des « principes de neutralité, de laïcité, de la liberté des élèves et de la prise en compte de la singularité de leur parcours de vie. »
Au lycée, des thématiques plus variées seront abordées notamment : « l’intimité à l’ère des réseaux sociaux » ou encore la santé sexuelle. Malgré les très nombreuses polémiques, la notion d’identité de genre sera bel et bien être abordée dans le but de « reconnaître la diversité humaine dans son ensemble, en considérant la variété des orientations sexuelles et des identités de genre » en troisième, seconde, première et terminale. Le gouvernement, par la voix d’Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale, défend, malgré « les critiques » , ce programme, qu’il estime « absolument indispensable » et réfute l’accusation principale estimant que ce dernier promeut une « théorie du genre » . Cette expression polémique est le plus souvent utilisée pour parler d'une idéologie qui ferait la promotion des minorités sexuelles et de genre (LGBT).
Mise en œuvre encadrée, concertation avec les parents
Les fondamentaux sont là. Désormais il ne manque plus que la mise en application du programme, ce qui risque, à l'image de son élaboration, de ne pas être facile. Ainsi, une circulaire a également été diffusée pour assurer une mise en œuvre dès la rentrée prochaine.
Ce sont « les équipes académiques de pilotage de l’éducation à la sexualité, pluricatégorielles et interdegrés », qui auront « vocation à impulser des projets dans les écoles et établissements, à accompagner leur mise en œuvre, à concevoir un dispositif de sensibilisation et de formation au sein du programme académique de formation, à être un appui aux acteurs et à répondre à tout questionnement des personnels pédagogiques et éducatifs sur le sujet. » Le ministère précise, étant donné le climat politique dans lequel s’est construit ce programme, que « chaque difficulté doit systématiquement faire l’objet d’un signalement. Tout agent qui se verrait menacé en raison de l’animation de ces séances doit être protégé par l’administration, en particulier par l’octroi de la protection fonctionnelle. »
Concernant l’organisation de ces trois séances annuelles par niveau, « dans le premier degré, le programme est mis en œuvre selon une organisation laissée à l’initiative du professeur de la classe, selon les modalités collectivement construites en conseil des maîtres ou conseil de cycle. » Au collège et lycée, des créneaux de deux heures pourront être identifiés dans l’emploi du temps des élèves. « Les objectifs d’apprentissage de ces séances spécifiques sont déclinés dans le programme. Ces séances sont complétées par des temps intégrés aux séances disciplinaires en cohérence avec les programmes d’enseignement. » La circulaire précise que des « partenaires extérieurs, ainsi que des associations spécialisées dont les compétences sont dûment reconnues et agréées, peuvent être associés aux personnels de l’éducation nationale responsables de ces séances ».
Enfin, il est indiqué que « les parents d’élèves sont informés des objectifs d’apprentissage annuels de cette éducation selon des modalités laissées à l’initiative de chaque école et établissement. » Comme le rapporte Le Monde, « la place des parents a fait débat jusqu’à l’ultime version ». Les associations conservatrices demandaient en effet à ce qu’il y ait une obligation pour les établissements scolaires d'informer les parents avant chaque séance d'éducation sexuelle, à l’instar du Syndicat de la famille, anciennement connu sous le nom de La Manif pour tous.
Même s’il a été publié, ce programme continue de faire l’objet de fantasmes et de critiques acerbes. L’acceptation de ces séances obligatoires sera un nouveau défi pour l’Éducation nationale dans un contexte où, déjà, la pénurie d’enseignants inquiète et les faibles moyens qui leur sont attribués interrogent. Selon les informations du Monde, « le ministère de l’Éducation nationale doit proposer des ateliers de formation dans les académies pour deux à trois professeurs des écoles par circonscription et un professeur par collège et lycée d’ici à septembre. Des ressources pédagogiques sont aussi en cours d’élaboration pour donner des exemples de séances à proposer selon les âges » . Affaire à suivre…
Télécharger la présentation du programme.
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