Le Sénat vote l'interdiction du mariage pour les sans-papiers et ajoute de nouvelles prérogatives aux maires
Par Franck Lemarc
La discussion sur la proposition de loi Demilly visant initialement à « interdire un mariage en France lorsque l'un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire » a fait l’objet d’un coup de projecteur singulier parce qu’elle a été télescopée par l’actualité : la même semaine, le maire de Béziers, Robert Ménard, a été convoqué par la justice pour avoir, en 2023, refusé de marier un couple dont l’époux était sous OQTF. Il encourt pour cela une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison, une amende de 75 000 euros et une peine d'inéligibilité, un maire n’ayant pas le droit de refuser de célébrer un mariage.
Débat de constitutionnalité
Cette actualité a donné une grande publicité au débat qui a eu lieu, hier, en séance publique au Sénat – après que la commission des lois eut rejeté la proposition de loi, la jugeant inconstitutionnelle.
Celle-ci, dans sa version initiale, était aussi simple que brève : elle consistait à ajouter au Code civil un article disposant que « le mariage ne peut être contracté par une personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire national ».
Problème : par une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel a établi que le droit à se marier est un droit imprescriptible et garanti notamment par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les Sages ont ainsi estimé que « la liberté de mariage n’est pas conditionnée à la régularité du séjour », a rappelé la commission du Sénat avant de rejeter ce texte.
Rappelons aussi que l’an dernier, au moment de la discussion sur la loi Immigration, dans laquelle il avait été proposé d’ajouter des amendements de même nature, le ministre de l’Intérieur d’alors, Gérald Darmanin, avait expliqué que ces amendements étaient inconstitutionnels et seraient « à coup sûr » censurés par les Sages.
Entretemps, le ministre – devenu garde des Sceaux – a changé d’avis, et a demandé aux sénateurs de « trouver les moyens de rendre ce texte conforme à la Constitution ».
Demande au Conseil constitutionnel de « réviser sa position »
C’est à quoi s’est attelé le rapporteur de la commission des lois, Stéphane Le Rudelier (LR, Bouches-du-Rhône), qui a expliqué poursuivre un double objectif, « protéger les maires et renforcer la lutte contre les mariages arrangés ». La commission des lois, tout en reconnaissant le caractère inconstitutionnel du dispositif proposé par l’auteur de la proposition de loi, a donc proposé des amendements dans ce sens, amendements qui sont « détachables du dispositif initial » – ce qui a son importance, comme on le verra plus loin.
Ce texte a donc fait l’objet d’un double débat : celui sur l’interdiction du mariage aux personnes sans papiers, et celui sur des dispositifs permettant aux maires de mieux détecter des mariages qui seraient arrangés. Ce qui pose, en soi, un certain nombre de problèmes : car le fait qu’une personne soit en situation irrégulière n’induit pas automatiquement que le mariage soit arrangé – comme l’ont dit plusieurs sénateurs, on peut être en situation irrégulière et « amoureux ». Ce à quoi Gérald Darmanin a répliqué que « si des gens sont très amoureux, rien ne les empêche de se marier dans leur pays d’origine ».
Quoi qu’il en soit, le garde des Sceaux a assumé qu’il espérait voir changer la position des Sages sur cette question du mariage : « L'accès au mariage et aux nombreux droits qu'il offre ne se conçoit pas sans le respect de nos lois sur le séjour. (…) Nul ne méconnaît la jurisprudence du Conseil constitutionnel (…). Mais demander au Conseil constitutionnel de réexaminer sa position n'est pas un acte de défiance, mais de confiance dans sa capacité à s'adapter aux réalités du temps, c’est reconnaître qu'il lui appartient d'accompagner l'évolution de la société, d'entendre le consentement du peuple français qui a changé sur ce sujet. »
Modification des règles de saisine du procureur
En attendant de savoir si oui ou non le Conseil constitutionnel va faire évoluer sa doctrine sur ce sujet, il est intéressant de regarder les amendements qui ont été adoptés sur ce texte, et qui visent à donner aux maires, en leur qualité d’officiers de l’état civil, et aux procureurs de la République de nouveaux outils. Ces amendements avaient déjà été suggérés, la semaine dernière, par Gérald Darmanin lui-même, lors d’une séance de questions au gouvernement.
Premièrement, il a été adopté le fait d’ajouter à la liste des pièces que les futurs époux doivent fournir à l’officier de l'état civil « tout élément lui permettant d’apprécier leur situation au regard du séjour ». Il s’agit, a expliqué le rapporteur, de donner des éléments supplémentaires pour constituer « un faisceau d’indices permettant à l’officier d’état civil de présumer qu’il fait face à un mariage arrangé ou simulé ». Pour le rapporteur, cette disposition est conforme à la décision du Conseil constitutionnel qui a indiqué, en 2003, que « le caractère irrégulier du séjour d’un étranger peut constituer dans certaines circonstances, rapproché à d’autres éléments, un indice sérieux laissant présumer que le mariage est envisagé dans un autre but que l’union matrimoniale » . Rappelons que, contrairement au séjour irrégulier, le caractère arrangé d’un mariage permet son interdiction par le procureur de la République.
Le deuxième amendement adopté concerne les règles de saisine du procureur par le maire, en cas de doute sur un mariage à célébrer. Actuellement, le procureur a 15 jours pour se prononcer, soit en faisant procéder au mariage, soit en s’y opposant, soit en décidant d’un sursis d’un mois au mariage, renouvelable une fois. L’amendement adopté double le délai de sursis, le faisant passer à deux mois renouvelables, afin de laisser au procureur davantage de temps pour mener son enquête. Par ailleurs, « afin de clarifier les règles procédurales », l’amendement pose explicitement qu’une absence de réponse du procureur « vaut désaccord », et conduit donc à surseoir au mariage.
Et maintenant ?
Le texte, ainsi amendé, a été adopté, la droite et le centre votant pour et la gauche votant contre. Et maintenant ? Il faut voir ce que l’Assemblée nationale fera de ce texte, mais les équilibres politiques qui y règnent laissent penser qu’il pourrait également y être adopté. Il restera ensuite au Conseil constitutionnel de se prononcer, la gauche ayant d’ores et déjà annoncé qu’elle le saisirait.
De deux choses l’une : ou le Conseil constitutionnel, comme l’espère Gérald Darmanin, fera évoluer sa position, et admettra que restreindre la liberté du mariage en fonction de critères de régularité de séjour est admissible, eu égard à l’évolution de la société ; ou il censurera cet article du texte. En revanche, il admettra peut-être les autres articles nés des amendements de la commission de lois du Sénat – c’est en cela que Stéphane Le Rudelier a pu dire qu’ils étaient « détachables » du reste du texte.
Il y a donc une possibilité de voir la loi évoluer sur ce point, comme l’a d’ailleurs souhaité l’AMF récemment, qui a écrit sur X, le 18 février : « L’obligation de marier les étrangers en situation irrégulière est une des nombreuses injonctions contradictoires que subissent les maires. Elle est d’autant plus inacceptable qu’elle peut conduire à engager leur responsabilité personnelle et qu’elle relève d’une défaillance de l’Etat dans l’exécution de ses propres décisions. À l’évidence, la loi doit être adaptée. »
On le voit, si l’AMF soutient une évolution de la loi, de manière à la rendre plus protectrice pour les maires, elle ne s’est pas prononcée sur le texte de Stéphane Demilly lui-même. Lorsque celui-ci s’est targué, à la tribune du Sénat, que son texte ait « le soutien de l’AMF », il a donc quelque peu exagéré. Reste que l’association souhaite, comme de très nombreux maires, qu’une solution juridique soit trouvée pour que les maires ne puissent plus être inquiétés dans ce type de situation.
Suite du débat à l’Assemblée nationale, à une date encore non fixée.
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