Report des élections : hésitations et confusion au gouvernement
Par Franck Lemarc
Votera, votera pas ? Bien malin qui pourrait dire ce matin ce que le gouvernement va finalement décider à propos du double scrutin de juin : alors que, le 1er avril, Jean Castex expliquait aux sénateurs que le maintien du scrutin était « l’hypothèse privilégiée », la position de l’exécutif a, semble-t-il, évolué les jours suivants. Et la prise de position de deux très proches du chef de l’État – Richard Ferrand et François Bayrou – en faveur d’un report des scrutins donne un indice supplémentaire de la volonté de l’Élysée en la matière.
Une méthode qui interroge
Nouveau coup de théâtre vendredi 9 avril au soir : on apprenait alors que les préfets avaient reçu la consigne de mener une consultation éclair des maires : par mail, il a été demandé à chaque maire, vers 19 h vendredi, de répondre avant ce lundi midi, « par oui ou par non », à la question de savoir si le scrutin doit être reporté ou pas. Avec beaucoup de surprise, les maires ont même reçu une relance des préfets, dimanche, par sms, via le canal qui sert normalement pour avertir des urgences météo ! « Mmes et MM. les maires, le gouvernement vous consulte sur la date des prochaines élections. Je vous invite à répondre avant lundi 12 h au mail envoyé vendredi en mairie. »
C’est peu dire que cette opération a surpris beaucoup de maires, de parlementaires et plus encore les associations d’élus. D’abord sur la méthode, beaucoup d’élus rappelant que les mairies de petites communes ne sont pas ouvertes tous les jours et encore moins le week-end. Ensuite, sur le fond : certains dénoncent une « manœuvre politicienne », estimant que le gouvernement espère pouvoir s’appuyer sur l’avis des maires pour justifier le report du scrutin, ce qui apparaît comme « une défausse » pour le sénateur LR Philippe Bas. Même avis de l’autre côté de l’échiquier politique, la sénatrice communiste Cécile Cukierman jugeant qu’on « ne peut pas consulter les maires uniquement quand cela arrange le gouvernement, alors qu’ils n’ont pas été consultés ni sur la réouverture des écoles le 11 mai 2020, ni sur le port du masque, ni sur la notion de commerces essentiels ».
Sur twitter, dès vendredi soir, les critiques ont fusé de la part de nombreux élus : « Le gouvernement chercherait-il à fuir ses responsabilités et obtenir le report d’une élection qu’il redoute ? », demande le maire d’Antibes Jean Leonetti. « Vulgaire manœuvre politicienne », pour le député des Alpes-Maritimes Éric Ciotti, la consultation est une « parodie démocratique » et une « sombre manœuvre » pour André Laignel, maire d’Issoudun et premier vice-président délégué de l’AMF. Le président de l’union des 13 associations départementales des maires d’Occitanie, Jean-Marc Vayssouze-Faure (maire de Cahors), a également dénoncé hier une méthode « pas acceptable » : « Si les maires sont mobilisés pour assurer l’indispensable expression démocratique dans le respect des préconisations du Conseil scientifique, ils ne sauraient en aucun cas servir de caution pour une décision de maintien ou de report que l’État, et l’État seul, a la responsabilité de prendre. »
Le président du Sénat, Gérard Larcher, a lui aussi « dénoncé » la méthode du gouvernement, consistant à « solliciter les maires dans la précipitation alors que l’association qui les représente a déjà rendu son avis. »
Quelques voix se sont aussi élevées dans le sens inverse, pour saluer cette initiative. Si elles émanent essentiellement des rangs de La République en marche, des maires d’autres tendance ont également soutenu la démarche. C’est notamment le cas de Christian Estrosi, le maire de Nice, qui a déclaré ce week-end : « J’approuve cette méthode qui consiste à faire confiance aux maires. [Elle est] d’une totale légitimité. » Plus polémique, le maire de Nice demande « quelle consultation a lancé l’AMF ? ». Dans la même veine, l’ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a déclaré ce week-end : « Quand l’AMF reproche au gouvernement de consulter les maires, on est franchement chez les fous ! » Enfonçant encore un peu plus le clou, le patron des députés LaREM twittait hier : « L’association censée représenter les maires de France ne leur avait pas demandé leur avis… puis s’étonne que l’État le fasse. »
La position de l’AMF
Mais qu’a dit l’AMF sur ce sujet ? Dès vendredi soir, l’association a clairement pris position, dans un communiqué signé de ses trois principaux responsables, François Baroin, André Laignel et Philippe Laurent. A-t-elle « reproché au gouvernement de consulter les maires », comme le dit Christophe Castaner ? Nullement : « Il est toujours légitime que l’État prenne l’avis des maires », écrivent au contraire les trois élus. C’est le caractère « précipité » de cette consultation qui choque les responsables de l’AMF, et la crainte, là encore, d’une manœuvre : l’association refuse que cette situation « fasse porter aux maires la responsabilité d’une décision qui relève entièrement de celle de l’État ». Rappelant en effet que l’AMF s’est prononcée pour le maintien du scrutin, les trois élus estiment que c’est maintenant à l’État « d’offrir la protection sanitaire qui permette de tenir les bureaux de vote et aux citoyens de voter en toute sécurité ». « Cette consultation précipitée, du vendredi soir pour le lundi matin, ne nous paraît pas être une méthode appropriée pour traiter une question de cette importance. »
Quant aux accusations sur le fait que l’AMF aurait tranché sans « consulter sa base », elles révoltent André Laignel, joint ce matin par Maire info : « C’est un mauvais procès au service d’une mauvaise cause. Nous avons multiplié ces dernières semaines les réunions du bureau exécutif et du comité directeur de l’AMF, dont je rappelle qu’il est constitué de 100 maires élus par le congrès et des 100 présidents d’associations départementales, lesquelles associations départementales organisent des consultations permanentes avec les élus. La vie démocratique de l’AMF est active et particulièrement intense ! Je trouve un peu fort que ceux-là même qui veulent remettre en cause les échéances démocratiques nous fassent un procès pour une entorse à la démocratie que nous n’avons pas commise. Alors consulter les maires, oui ! Nous ne demandons que ça. Mais en l’espèce ce n’est pas une consultation, c’est une prise d’otages. J’ajoute enfin que demander aux maires de prendre une décision à la place des régions et des départements, qui sont tout de même les premiers concernés, représente tout de même un étrange détournement de procédure. »
Quant à Philipe Laurent, secrétaire général de l’association, il estime ce matin que s’il y avait une question intéressante à poser aux maires, « ce n’est pas celle du maintien des élections mais ce qu’ils envisagent pour que les scrutins se passent dans les meilleures conditions possibles ». « Interroger les maires sur l’opportunité des élections, c’est leur demander s’ils sont pour ou contre la démocratie ! Cela n’a pas de sens. Les maires sont agents de l’État pour organiser le scrutin, interrogeons-les là-dessus, plutôt ! ».
Les maires très divisés
Reste à savoir ce que vont répondre les maires à la consultation du gouvernement – et l’on est d’ailleurs curieux, à cette heure, de savoir sous quelle forme le gouvernement va rendre compte de ces réponses. Les avis semblent extrêmement partagés, y compris au sein de mêmes familles politiques : témoin les Républicains, par exemple, chez lesquels au moins deux voix d’importance se sont exprimées ce week-end pour un report : celle de Christian Estrosi, à Nice, et de Arnaud Robinet, maire de Reims. À la différence du maire LR de Cannes, David Lisnard, qui prône le maintien.
Si les maires d’Île-de-France sont « majoritairement pour le maintien », selon Valérie Précresse, présidente de la région, qui dit les avoir consultés ce week-end, le président des maires de La Réunion juge la tenue des élections « très difficile, voire impossible », dans une lettre ouverte au président de la République. Le maire de Lempdes (Puy-de-Dôme), Henri Gisselbrecht, considère sur twitter qu’il est « impossible d’organiser les élections dans de bonnes conditions en juin », tandis que celle de Poitiers, Léonore Moncond’huy, dit « totalement rejoindre l’avis de l’AMF » … Les avis se comptent par centaines sur les réseaux sociaux.
Les associations d’élus favorables au maintien
Rappelons que Territoires unis, structure qui regroupe l’AMF, Régions de France et l’ADF, a pris position la semaine dernière, dans un courrier au Premier ministre, pour la tenue des scrutins en juin, estimant que « le report d’une échéance démocratique ne peut se justifier que par des motifs impérieux, non partisans et sur la base d’un diagnostic partagé ». Tout en admettant que la situation pourrait être « réévaluée à la mi-mai », en fonction de l’évolution de l’épidémie, les trois associations estiment que « le suffrage universel doit pouvoir s’exprimer en toutes circonstances ». Dans un communiqué publié ce matin, Territoires unis affirme que le gouvernement « n'a pas peur de l'épidémie ni de la capacité des maires à relever les défis : ce dont il a peur, c'est verdict des urnes. »
Du côté de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), on est aussi pour un maintien. Dans un courrier adressé au Premier ministre, que Maire info a pu consulter, le président de l’association, Michel Fournier, « exprime le souhait que [les élections] puissent se dérouler selon le calendrier prévu ». En revanche, l’AMRF émet beaucoup de réserves sur les conditions envisagées d’organisation du scrutin, selon les recommandations du Conseil scientifique. En particulier, l’idée de « privilégier des membres du bureau de vote qui soient vaccinés ou testés » paraît « inacceptable » à l’association, qui juge que « reprises telles quelles, [ces conditions] sont pour beaucoup de nos collègues impossibles à mettre en œuvre ».
Le débat continue. On attend maintenant les résultats de la « consultation » surprise des maires, et le débat qui va se dérouler à l’Assemblée nationale mardi et au Sénat mercredi. L’occasion, sans doute, pour le gouvernement, de sortir du bois et de rendre enfin publique une position claire.
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