Le Sénat se prononce (par erreur) pour l'introduction de la proportionnelle aux élections législatives
Par Franck Lemarc
« Il faut que chacun puisse trouver sa place au sein de la représentation nationale, à proportion des votes qu’il a reçus. (…) Je propose que nous avancions sur la réforme du scrutin législatif. (…) Mon opinion est que le mode de scrutin doit être enraciné dans les territoires. » François Bayrou, le 14 janvier dernier, avait clairement dit sa volonté de lancer une réflexion sur l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives, en même temps qu’il affirmait vouloir reposer la question du non-cumul des mandats.
Jeudi 30 janvier, au Sénat, une proposition de résolution sur ce sujet a été examiné, qui a au moins permis à chaque courant politique de s’exprimer.
Résolution des Écologistes
La proposition de résolution a été déposée par le groupe écologiste. Elle part du constat que « 26 % seulement des Français estiment que le système politique actuel permet que leurs opinions soient prises en compte » et que le scrutin proportionnel « réduit considérablement le nombre de voix qui ne sont pas effectivement représentées à l’Assemblée nationale ». La sénatrice Mélanie Vogel, qui a porté cette proposition de résolution, s’appuie également sur le constat que le nombre de femmes élues à l’Assemblée nationale a reculé de façon « inédite », et rappelle que le mode de scrutin proportionnel permet de garantir une place égale pour les femmes et les hommes. Elle rappelle que la proportionnelle est déjà largement utilisée en France, notamment pour les élections municipales, sénatoriales et européennes.
La résolution dispose donc que le Sénat est « favorable à une réforme du mode de scrutin pour les élections législatives afin d’introduire le scrutin proportionnel » et demande au gouvernement d’ouvrir le débat dans ce sens afin que les prochaines élections législatives puissent se tenir à la proportionnelle.
La gauche et le centre favorables
Les débats qui ont suivi montrent un clivage on ne peut plus clair : pour résumer, la gauche et le centre sont pour, la droite est contre. Il faut tenir compte du fait que le Rassemblement national, qui n’est quasiment pas représenté au Sénat et n’a donc pas pu s’y exprimer, est très favorable à la proportionnelle.
À gauche, les sénateurs ont défendu l’idée que la proportionnelle permet une plus juste représentation de chaque courant, dans la mesure où le scrutin uninominal à deux tours qui prévaut aujourd’hui rend les oppositions invisibles : ainsi en Seine-Saint-Denis, 100 % des députés élus sont de gauche, bien que la droite ne soit, naturellement, pas inexistante dans le département. « La proportionnelle n'éloigne pas des territoires. Elle est au contraire le seul système qui garantit la juste représentation des différentes opinions politiques sur l'ensemble des territoires », a plaidé Mélanie Vogel. « Dans le scrutin majoritaire, la voix de l'électeur minoritaire perd toute valeur, puisque le candidat arrivé premier au second tour, même à quelques voix près, gagnera l'élection. Cette règle qui agit comme un couperet frustre les électeurs minoritaires et les pousse à s'abstenir ou à voter de manière purement stratégique », a renchéri la centriste Isabelle Florennes.
Éric Kerrouche, pour le PS, a souhaité battre en brèche l’idée selon laquelle le scrutin majoritaire est le seul à pouvoir assurer « de la stabilité », prenant en exemple la situation plus qu’instable de l’actuelle Assemblée nationale sans majorité. Il a longuement insisté sur les dysfonctionnements du système majoritaire, qui « écrase » les oppositions, prive les petits partis de toute représentation et favorise le « vote utile » où les électeurs « finissent par voter davantage ‘’contre’’ que ‘’pour’’ ».
Pour les Indépendants, Pierre-Jean Verzelen s’est montré nettement plus nuancé, et a fait remarquer non sans raison qu’au-delà du débat pour ou contre la proportionnelle, la proposition de résolution n’aborde pas la question de « quelle proportionnelle » il faudrait introduire : « Serait-elle départementale ? régionale ? à un tour ou deux tours ? avec un effet majoritaire ou pas ? ».
Au nom des sénateurs macronistes, Nadège Havet s’est dite « favorable » à ce que le débat se tienne sur ce sujet au Parlement, sans prêter à la proportionnelle des vertus miraculeuses, notamment parce que ce mode de scrutin « donne un poids important aux groupes minoritaires ».
Les Républicains farouchement contre la proportionnelle
Chez Les Républicains, la question est tranchée : c’est un non franc et massif. Roger Karoutchi a remarqué que « la crise de la démocratie » touche tous les pays, quel que soit leur mode de scrutin, et estimé illusoire de croire que changer le mode de scrutin permettrait, d’un coup de baguette magique, de redonner confiance aux citoyens dans la vie politique. « Ce n'est pas le mode de scrutin qui change la donne, mais la force des partis et leur capacité à convaincre », a estimé le sénateur.
Un autre orateur Républicain, Olivier Paccaud, s’est montré particulièrement virulent contre la proportionnelle, estimant que ce mode de scrutin, « c’est le régime des partis, des copains et des coquins, c’est le règne des apparatchiks, c’est la recentralisation électorale, c’est une pluie de parachutés médiocres ! ». Et de conclure : face à « la République qui vacille » et aux désillusions des électeurs, « l'antidote miracle n'existe pas et la proportionnelle n'est qu'un placebo aux effets secondaires ravageurs ».
Au nom du gouvernement enfin, le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Patrick Mignola, s’est naturellement dit favorable à ce que le débat ait lieu, dans la mesure où c’est la volonté de son Premier ministre. Il n’a toutefois pas montré un enthousiasme excessif pour cette solution. Donnant quelques arguments en faveur de la proportionnelle – dont une meilleure « acceptabilité » par les citoyens des décisions prises par une assemblée ainsi élue –, il a surtout appelé à une réflexion « plus large » sur les institutions démocratiques et les modes de scrutin, reposant la question du non-cumul des mandats mais aussi du vote électronique et du vote par correspondance.
Adoption par erreur
Finalement, la proposition de résolution a été adoptée par le Sénat, de justesse (162 voix pour et 152 contre). Cela a de quoi surprendre dans la mesure où la droite est largement majoritaire à la Chambre haute. En fin de journée, jeudi, une « mise au point » au sujet des votes sur cette proposition de résolution est venue éclaircir ce mystère : une dizaine de sénateurs LR a apparemment voté par erreur pour cette résolution alors qu’ils « souhaitaient voter contre », et quatre autres sénateurs ont voté pour alors qu’ils souhaitaient s’abstenir. Ces mises au point ne peuvent modifier le résultat du vote, qui a été enregistré, mais si ces erreurs n’avaient pas eu lieu, la proposition de résolution aurait été rejetée.
Quoi qu’il en soit, cela ne change pas grand-chose : les résolutions votées par le Sénat n’ont aucun caractère contraignant – elles ne sont que des vœux. Ce débat a montré qu’il n’existe aucun consensus dans la classe politique sur ce sujet. Mais lorsque la question arrivera à l’Assemblée nationale, les résultats pourraient être différents, dans la mesure où la gauche et le RN, tous deux favorables à la proportionnelle, sont susceptibles de former une majorité au Palais-Bourbon.
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