Maire-info
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Édition du lundi 18 mars 2024
Éducation

Groupes de niveau, redoublement : le gouvernement passe en force malgré l'hostilité de la communauté éducative

Toute une batterie de textes concernant l'école a été publiée au Journal officiel du dimanche 17 mars, mettant en musique les décisions du Premier ministre sur les groupes de niveau et le redoublement, notamment. Ces textes ont pourtant été unanimement rejetés par l'instance consultative de l'éducation. Explications.

Par Franck Lemarc

Après quelques semaines d’incertitude, la ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, a rendu les armes : alors qu’elle était plutôt réservée sur l’instauration des « groupes de niveau »  voulus par Gabriel Attal mais très largement rejetés par la communauté éducative, elle a signé le 16 mars un arrêté mettant en œuvre ce dispositif. Et elle devra l’assumer pleinement : alors qu’un arrêté publié le même jour sur le redoublement est co-signé par la ministre de l’Éducation nationale et le Premier ministre, l’arrêté sur les groupes de niveau ne porte pas la signature de Gabriel Attal. 

Un dispositif largement rejeté

Les enseignants qui s’étaient régulièrement mis en grève depuis le mois de décembre contre ce dispositif, notamment en Seine-Saint-Denis, croyaient pourtant avoir eu gain de cause : le 7 mars, Nicole Belloubet semblait reculer et enterrer en partie les « groupes de niveau »  souhaités par Gabriel Attal, lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale, dans le cadre de la réforme dite « Choc des savoirs ». 

De quoi s’agit-il ? C’est le 5 décembre dernier que Gabriel Attal annonçait la mise en place, dès la rentrée prochaine, de groupes de niveau en français et en mathématiques, pour les 6e et les 5e, et l’année suivante pour les 4e et les 3e. L’idée est simple : regrouper les élèves selon leur niveau, par groupes réduits, de façon, expliquait le ministre, à ce que la progression des meilleurs élèves ne soit pas freinée par les moins bons, et que les élèves les plus en difficulté puissent bénéficier de plus de temps et d’attention de leurs professeurs. 

Cette réforme a été unanimement décriée par les syndicats enseignants, pour des raisons à la fois organisationnelles et pédagogiques. 

Organisationnelles, parce que mathématiquement, la division d’une classe en trois niveaux suppose trois fois plus de « temps-enseignants ». Or il n’y a déjà pas assez d’enseignants pour assurer toutes les heures sans scinder les classes. Les professeurs voient mal, dès lors, où le ministère de l’Éducation nationale va trouver les moyens humains permettant d’assurer ce temps supplémentaire. Dans de nombreux collèges, on craint que la seule solution soit de supprimer des options pour dégager du temps aux enseignants, et de recourir encore et toujours plus aux vacataires. 

Sur le plan pédagogique, la réforme est également décriée par les syndicats enseignants qui parlent de « ségrégation sociale » : les moins bons élèves seront laissés entre eux, et de fait stigmatisés d’être relégués dans ce que les élèves appellent déjà « le groupe des nuls ». De nombreux témoignages de professeurs compilés par le site spécialisé Café pédagogique donnent la mesure d’une véritable détresse chez les enseignants à l’annonce de cette réforme : « Le déploiement des groupes de niveau annoncé à la rentrée prochaine signera la mort de tout ce en quoi je crois, de tout ce que j’ai mis des années à construire », écrit par exemple une enseignante de Gironde. « On cherche constamment réfléchir à des manières, à des dispositifs pour ‘’parler à tout le monde en même temps’’, écrit une autre, en Seine-Saint-Denis. Là, on nous impose de cloisonner, de ségréguer, d’avancer sans scrupule avec les plus étayés de nos élèves. Personne n’en veut, absolument personne. C’est le contraire de notre métier. » 

Les groupes seront « la règle » 

Mais le Premier ministre a tenu bon. Le 13 mars, quelques jours après ce qui ressemblait à une reculade de sa ministre, Gabriel Attal annonçait dans un entretien à la presse que les groupes de niveau seraient « la règle »  dès la rentrée prochaine : « Je pense que sur les trois quarts de l’année au moins, il faut que les élèves suivent leurs enseignements en français et en mathématiques dans les groupes de niveau. Donc la règle, c’est le groupe, et l’exception, très encadrée, c’est la classe. » 

Une semaine plus tard, donc, l’arrêté mettant en place les groupes de niveau a été publié. On peut dire que ce texte fait pourtant clairement l’unanimité contre lui dans la communauté éducative : au Conseil supérieur de l’Éducation, où il a été présenté le 8 février dernier, ce texte a recueilli … 67 voix contre sur 68 votants (la 68e étant une abstention). 

Certes, dans l’arrêté, le gouvernement a évité d’utiliser l’expression « groupe de niveau », mais le fond reste le même : « Les enseignements communs de français et de mathématiques, sur tout l'horaire, sont organisés en groupes pour l'ensemble des classes et des niveaux du collège. Les groupes sont constitués en fonction des besoins des élèves identifiés par les professeurs. Les groupes des élèves les plus en difficulté bénéficient d'effectifs réduits. Par dérogation, et afin de garantir la cohérence des progressions pédagogiques des différents groupes, les élèves peuvent être, pour une ou plusieurs périodes, une à dix semaines dans l'année, regroupés conformément à leur classe de référence pour ces enseignements. »  Comme l’avait annoncé Gabriel Attal, les groupes sont bien « la règle »  et la classe entière « l’exception ». Nicole Belloubet, qui souhaitait, plutôt qu’une règle stricte et uniforme, laisser « la plus grande souplesse »  aux chefs d’établissement en la matière, s’est rendue à la volonté de son Premier ministre. 

Il faut maintenant attendre une circulaire qui sera publiée au Bulletin officiel de l’Éducation nationale pour connaître les détails du dispositif.

Le retour du redoublement

Autre réforme assez mal vécue par le corps enseignant – le décret l’organisant a reçu 57 voix contre et 11 abstentions au Conseil supérieur de l’éducation du 8 février, pour seulement 3 voix pour : il s’agit du retour du redoublement décidé non par les parents mais par le corps enseignant. Presque totalement supprimé depuis notamment le passage de Najat Vallaud-Belkacem à l’Éducation nationale, le redoublement va faire son grand retour à partir de la rentrée prochaine. 

Le décret « relatif à l'accompagnement pédagogique des élèves et au redoublement » , lui aussi publié hier, dispose qu’à l’école élémentaire, le redoublement « peut être décidé »  par le conseil des maitres, alors que l’ancien dispositif utilisait le verbe « proposer ». Les parents peuvent toutefois, sous 15 jours, former un recours – et non plus « donner une réponse »  comme auparavant. 

Il est à noter que le redoublement reste impossible en maternelle, sauf cas exceptionnel lié au handicap d’un enfant.

Pour Gabriel Attal, ce dernier mot donné à l’équipe éducative plutôt qu’aux parents est « une lutte contre l’échec forcé », « des travaux scientifiques (indiquant) qu’une forme de redoublement peut favoriser la réussite scolaire ». Une affirmation, là encore, rejetée par le corps enseignant qui affirme, au contraire, que la grande majorité des études scientifiques disent exactement l’inverse – à savoir que le redoublement « a toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage »  (étude du Cnesco publiée en 2015). 

Enfin, un troisième texte publié hier lance une expérimentation sur l’instauration d’un « cycle préparatoire à la classe de seconde ». Cette classe préparatoire à la seconde serait ouverte – au volontariat – aux élèves n’ayant pas obtenu le brevet en fin de 3 », ce qui est désormais éliminatoire pour entrer en seconde. Chaque département devrait en compter au moins une. À l’issue de cette année intermédiaire, les élèves seront admis à poursuivre leur scolarité dans le lycée où ils auraient normalement dû être affectés. 

Cette réforme n’a pas rencontré plus de succès dans la communauté éducative : elle a également fait quasiment l’unanimité contre elle au Conseil supérieur de l’éducation. 

Le gouvernement a donc fait le choix de passage en force. Reste à savoir, maintenant, ce que sera la réaction du monde enseignant.  

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