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Édition du jeudi 12 septembre 2024
Éducation

Éducation à la sexualité à l'école et dans les lieux d'accueil : une politique publique qui peine à s'installer

Si depuis 2001, trois séances annuelles d'éducation à la sexualité sont obligatoires pour chaque niveau scolaire, moins de 15 % des élèves en bénéficient réellement, d'après le Conseil économique, social et environnemental (Cese). L'organisme consultatif estime, dans un avis publié hier, que tous les espaces accueillant des jeunes doivent davantage investir la question.

Par Lucile Bonnin

« Éducation sexuelle »  est un terme trop réducteur, selon le Conseil économique, social et environnemental (Cese) qui rappelle dans son avis que l’éducation à la sexualité « comporte trois volets égaux dans leur importance : la dimension affective, la dimension relationnelle et la dimension sexuelle. »  La notion d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) paraît donc plus complète pour les auteurs du document publié hier.

Selon le Cese, moins de 15 % des élèves (primaire, collège, lycée) bénéficient d’éducation à la sexuelle lors de leur parcours scolaire. Le Haut Conseil à l’égalité femmes-hommes relève en 2016 que 25 % des écoles élémentaires, 4 % des collèges et 11,3 % des lycées n’ont mis en place aucune action d’éducation sexuelle. « Pourtant, les jeunes sont en demande de cette éducation », pointe le Cese qui regrette que les politiques publiques en matière d’Evars restent fragiles et qu’elles « manquent surtout d’un portage clair et d’une dynamique qui inciteraient les institutions à s’en emparer » . Pourtant, selon les auteurs du rapport, cette éducation est une condition sine qua non pour que tous les jeunes puissent « vivre des relations saines et une sexualité épanouie, sans violence ni contrainte. » 

Des préconisations qui concernent les collectivités 

Dans ce rapport de plus de 300 pages, les collectivités sont mentionnées à plusieurs reprises. Ces dernières peuvent en effet contribuer à permettre aux jeunes d’accéder plus facilement à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars). 

Par exemple, le Cese préconise de « renforcer et généraliser les Espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle et de pérenniser leur financement dans tous les départements et bassins de vie ». On en compte 150 à ce jour. Le Cese préconise aussi la tenue de permanences régulières dans les endroits fréquentés par les jeunes, dont l’école, le collège, le lycée et le CFA.

Aussi, il apparaît logique que « toute personne en contact avec les enfants soit formée »  sur ces questions notamment « car l’Evars ne s’improvise pas ». Ainsi, le Cese propose que « dans chaque structure accueillant du public ou dans chaque département, [soient désigné] des référentes et référents formés, en charge du déploiement de l’Evars et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Au niveau départemental, la personne référente serait chargée de coordonner les différents dispositifs d’Evars au sein des structures. » 

Enfin, dans le domaine associatif et notamment sportif, les auteurs du rapport encouragent toutes les collectivités territoriales à « conditionner leurs subventions aux actions de prévention des violences sexistes et sexuelles et d’Evars des structures subventionnées. »  Concrètement, certaines métropoles comme celle de Lyon mettent en œuvre « des politiques publiques efficaces et innovantes » : « Dans les clauses de subvention figure l’obligation de formation à l’égalité entre les filles et les garçons et/ou à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Les financements de la métropole peuvent aussi être complémentaires à ceux de la ville de Lyon qui a posé cette même conditionnalité. Le tissu associatif reposant sur des bénévoles, une offre gratuite de formation est proposée. » 

Une politique publique qui doit être consacrée dans tous les espaces 

Le Cese plaide surtout pour que l’Evars puisse faire « l’objet de politiques publiques cohérentes interministérielles impliquant un grand nombre d’administrations, et au premier chef le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse » .  Un manque de coordination, une hétérogénéité des pratiques selon les territoires et une implication trop faible de la part de l’État sont pointés du doigt. 

Concrètement, le Cese relève qu’il n’existe pas « de circulaire spécifique ou de stratégie spécifique sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle dans le secteur de la protection de l’enfance alors que les mineures et mineurs ont souvent été exposés à de la violence sexuelle ou à une rupture de liens affectifs. L’approche se fait essentiellement sous le prisme global de la santé. » 

Concernant les accueils collectifs de mineurs (ACM) avec ou sans hébergement  – dont une commune sur trois est dotée – le Cese indique que la responsabilité de ces structures sur ces questions est triple : « Prévenir les situations de violences sexistes et sexuelles qui pourraient émerger en son sein ; détecter les situations de violences sexistes et sexuelles dont pourrait être victime l’enfant, en interne ou à l’extérieur ; et éduquer l’enfant à une vie affective et relationnelle et à une sexualité saine, équilibrée et respectueuse de soi et des autres. »  Or les structures rencontrées par les auteurs du rapport regrettent « le manque de coopération avec les pouvoirs publics qui ne prennent pas leur rôle de leadership sur le sujet. Ils mettent en avant le manque de politique claire, concertée et engagée ». 

Le Cese indique donc dans son avis que la gouvernance de cette politique publique doit être mieux définie et que les enjeux sectoriels doivent être identifiés et pris en compte que cela soit dans les écoles, les clubs sportifs ou encore les ACM. 

Le rapport souligne au passage le manque de transparence dont fait parfois preuve l’État et les conséquences auxquelles cette négligence peut mener. « Les contrôles restent à la discrétion de l’État et semblent organisés de manière très ponctuelle et non systématique, écrivent les auteurs. De surcroit, ces contrôles aboutissent rarement à des sanctions. Ainsi les conséquences du rapport d’inspection de l’établissement parisien Stanislas dénonçant « un climat propice aux risques d’homophobie »  restent à ce jour opaques. » 

Sur la question des financements de ces politiques publiques essentielles pour la jeunesse, le Cese rappelle que « les budgets ne sont pas sanctuarisés »  et « qu’aucun plan Evars n’existe réellement » . Le Cese préconise ainsi « que chaque ministère de tutelle des lieux accueillant un public de mineures et mineurs identifie et pérennise les moyens alloués »  à ce programme d’éducation.

Rentrée 2024 

Comme le rappelle l’AFP, un projet de programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle a été publié en mars par le Conseil supérieur des programmes, placé auprès du ministre de l'Éducation. Dans un document publié par le ministère de l’Éducation nationale à l’occasion de la rentrée, ce programme d’éducation à la vie affective et relationnelle (1er degré), et à la vie affective, relationnelle et sexuelle (2d degré) est bel et bien mentionné. Ce dernier « fera l’objet d’un programme national publié au plus tôt après la rentrée 2024, qui doit viser à promouvoir l’égalité de considération et de dignité, l’égalité entre les femmes et les hommes, tout en luttant contre toutes les formes de discriminations liées au sexe, au genre, à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle. Ce programme doit aussi sensibiliser au principe du consentement et contribuer à la prévention des diverses formes de violences, notamment sexistes et sexuelles, y compris l’inceste. » 

Contexte politique oblige, les textes n'ont pas encore été présentés en CSE ministériel, selon l’AFP. Par ailleurs, on ne sait toujours pas qui sera le prochain ministre de l’Éducation et si il ou elle suivra ce programme ou s’il sera tué dans l’œuf. Une chose est certaine, et le Cese le confirme, les associations de parents d’élèves ne voient pas toutes d’un bon œil ce programme. « En invoquant leur devoir de parents à protéger leurs enfants, leur liberté de conscience ou le respect des valeurs familiales, des familles estiment que l’école n’est pas légitime à faire de l’Evars et que celle-ci doit être exclusivement effectuée au sein des familles. » 

Notons cependant que la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle « que les cours d’éducation à la sexualité ne remettent pas en cause l’éducation des enfants par leurs parents, laissant ainsi ceux-ci libres de leurs choix éducatifs. Elle souligne qu’être confrontés à des idées contraires ne nuit pas au principe de la liberté de conscience. Elle rappelle aussi l’importance de l’Evars dans la protection de l’enfant et estime que l’État est légitime à s’assurer qu’une information et une éducation claires soient apportées aux enfants. » 

Consulter les travaux du Cese. 

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