Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux
Édition du mercredi 26 octobre 2022
Mobilité durable

ZFE : les dérogations seront à la main des élus, promet le gouvernement

La question brûlante de la mise en place des ZFE (zones à faibles émissions) a été l'objet pour la première fois hier d'une réunion des maires et présidents des 43 agglomérations concernés autour des ministres, avec un certain nombre d'annonces à la clé.

Par Franck Lemarc

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© Gouvernement

Zones à faibles émissions ou « zones à forte exclusion », selon l’expression de France urbaine ? C’est la question qu’étaient venus poser au gouvernement un certain nombre d’élus, dont ceux de l’AMF chez qui l’obligation de la mise en place de ces périmètres urbains dans lesquels les véhicules les plus polluants ne pourront plus pénétrer suscite de grandes inquiétudes.

Si tout le monde partage l’objectif de faire diminuer la pollution de l’air en ville et les graves problèmes de santé publique qu’elle provoque, la méthode interroge de nombreux élus, qui craignent, comme l’avait exprimé, par exemple, la commission transports de l’AMF, « des fractures territoriales et sociales ». Pour résumer, le prix exorbitant des véhicules électriques ou hybrides laisse craindre que l’entrée des ZFE soit tout simplement désormais interdite aux plus pauvres. Avec à la clé le risque d’une bombe sociale ou d’une crise comparable à celle des Gilets jaunes. 

« Ne pas pénaliser les plus fragiles » 

« Mon obsession, c’est que les ZFE n’apparaissent pas comme une façon de remettre l’octroi ou les péages à l’entrée des villes », a déclaré hier Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires sur Franceinfo. Reste à savoir comment les mettre en œuvre « sans pénaliser les plus fragiles, les plus modestes ni les plus éloignés ». 

L’équation semble extrêmement difficile à résoudre. Dans les 43 agglomérations concernées en effet, seuls pourront entrer les véhicules dont la vignette Crit’air porte le nombre 0, 1 ou 2. Les Crit’air 3, 4 et 5, c’est-à-dire, en général, les véhicules les plus anciens, seront interdits. 

Le dispositif législatif

Rappelons que c’est la LOM (loi d’orientation des mobilités) de 2019 qui a transformé les anciennes ZCR (zones à circulation restreinte) en ZFE-m (zones à faibles émissions – mobilité), avec un critère unique : l’instauration d’une ZFE devient obligatoire pour toutes les agglomérations lorsque « les normes de qualité de l’air (…) ne sont pas respectées de manière régulière sur le territoire de la commune ou de l’EPCI compétent ». Ces dispositions devaient prendre effet au 31 décembre 2020. Elles ont été retardées pour cause d’épidémie. 

La définition du « non-respect des normes »  a été précisée dans un décret du 16 septembre 2020. À ce jour, dix villes ont mis en place une ZFE (Paris, Rouen, Reims, Strasbourg, Lyon, Saint-Étienne, Grenoble, Nice, Toulouse et Montpellier). Elles doivent maintenant être mises en œuvre dans 34 autres agglomérations.

Les collectivités sont libres d’adopter des règles plus contraignantes. À Paris par exemple, il a été décidé initialement – ces mesures ne cessent d’être reportées depuis – un calendrier prévoyant l’interdiction de circulation des Crit’air 3 en juillet prochain, 2 en juillet 2024, et 1 à l’horizon 2030. 

Signalons enfin que ces mesures ne concernent pas que les hypercentres des grandes villes, ni même le périmètre de celles-ci. En région parisienne par exemple, la ZFE représente un immense périmètre englobant 77 communes autour de la capitale, dont beaucoup de communes particulièrement défavorisées en Seine-Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne.

Soutien financier à l’achat 

Pour tenter d’amortir le risque social, le gouvernement s’est lancé dans une politique d’aides à l’achat de véhicules propres : bonus écologique porté à 7 000 euros, prime à la conversion augmentée de 1 000 euros si l’usager habite ou travaille dans une ZFE, prêt à taux zéro, l’an prochain, pour l’achat d’un véhicule propre. Mais il faut noter que les conditions d’octroi de cette dernière mesure sont extrêmement restrictives. 

Le ministère entend également aider les constructeurs pour les inciter à produire des voitures électriques moins chères, et favoriser le marché de l’occasion sur ce segment. Il compte également encourager financièrement le « retrofit », c’est-à-dire le changement de motorisation sur un véhicule existant. Enfin, le chef de l’État a annoncé, lors du Salon de l’auto, la mise en place sous couvert de l’État d’un dispositif de leasing (location longue durée) de voitures électriques à 100 euros par mois, pour les ménages modestes. 

« S’appuyer sur les élus locaux » 

Ces mesures suffiront-t-elles à endiguer le sentiment « d’exclusion » ? Rien n’est moins sûr. Le gouvernement souhaite donc donner de la souplesse au dispositif, en donnant aux élus locaux un certain nombre de marges de manœuvre. C’est la principale annonce qu’a faite Christophe Béchu, hier, sur Franceinfo : « La méthode, c’est qu’on va s’appuyer sur les élus locaux. On ne va pas fixer une règle nationale. On va laisser aux patrons des agglomérations, des métropoles, des intercommunalités, le fait de pouvoir déterminer le moment où ils le mettent en place, l’amplitude horaire, les exemptions, les cas particuliers. »  Ce qui répond à une demande constante de l'AMF. 

Ces questions ont fait l’objet de la réunion hier, autour des ministres Christophe Béchu, Clément Beaune et Agnès Firmin Le Bodo, des élus des 43 territoires concernés. 

Les élus de l’AMF et de France urbaine ont pu à cette occasion faire remonter un certain nombre de revendications. France urbaine, plutôt favorable depuis le départ aux ZFE, a notamment demandé d’« élargir les aides aux habitants des territoires voisins impactés », de mettre en place un guichet unique d’aides « géré par les territoires », de créer un système « d’attribution de droits exceptionnels d’émissions », permettant à des détenteurs de véhicules plus polluants de rentrer, à titre exceptionnel, dans une ZFE. Ses élus ont enfin posé la question des contrôles : « Sans contrôle automatisé des véhicules, les ZFE seront inefficaces », plaide France urbaine.

Quant à l’AMF, représentée notamment par Sylvain Laval, vice-président de Grenoble Alpes métropole et président du syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise, par ailleurs co-président de la commission transports de l’association, elle a présenté ses propres propositions (lire Maire info du 7 octobre). L'association demandait notamment que soit donné « plus de souplesse et de liberté pour les territoires », ce qui a visiblement été entendu.

Contrôles automatisés

Sur ces deux derniers points, le gouvernement a répondu positivement. Christophe Béchu a annoncé hier qu’un dispositif de contrôle automatisé serait mis en place à partir de 2024. Pourquoi ce délai ? « Ce sont des dispositifs qui sont complexes, explique Christophe Béchu. On lance l’appel d’offres pour ces radars, et le temps qu’ils soient disponibles, avec toutes les préconisations techniques, on sera au deuxième semestre 2024 ». Le gouvernement confirme que le produit des amendes sera « reversé aux collectivités ». 

Le gouvernement annonce également regarder « avec intérêt »  le concept de « droits exceptionnels », c’est-à-dire de dérogation, un certain nombre de fois par an (Strasbourg propose par exemple 24 dérogations par an), pour voir sa famille ou accéder à un service de santé. 

Conformément à une demande de l'AMF, le ministre s'est dit prêt à revoir certains critères obsolètes des vignettes Crit'Air, notamment sur le biogaz. Le principe d'une extension de la surprime à la conversion de 1000 euros aux communes non incluses dans une ZFE, mais appartenant à un EPCI ayant mis en place une ZFE, a également été acté. 

Parmi les autres annonces faites hier : celle de la nomination d’un « interlocuteur unique »  (délégué interministériel) sur ce sujet, et l’instauration d’un rendez-vous régulier, tous les six mois, entre l’État et les collectivités concernées. 

Reste la dernière question – peut-être la plus importante : celle d’un engagement massif de l’État dans le soutien à l’investissement des collectivités territoriales pour le développement des transports collectifs et des mobilités douces. Sur ce sujet, posé hier sur la table par France urbaine, le gouvernement n’a pas répondu. 

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