Aménagement des territoires : le ZAN fait salle comble au Congrès des maires
Par Caroline Reinhart
Décrypter les textes parus (ou attendus), partager les remontées de terrain et donner la parole aux maires, tels étaient les objectifs des points-info « ZAN », portés hier au Congrès des maires par Constance de Pélichy, co-présidente de la commission aménagement du territoire de l’AMF, maire de La Ferté-Saint-Aubin (Loiret), vice-présidente de la communauté des communes des Portes de Sologne, mais aussi Sylvain Robert, co-président de la commission aménagement du territoire de l’AMF, maire de Lens (Pas-de-Calais) et président de la communauté d’agglomération de Lens Liévin.
Plus de deux après la loi Climat et résilience de 2021, corrigée par la loi d’initiative sénatoriale du 20 juillet 2023, faut-il encore avoir peur du ZAN ? Vu la tension palpable hier, dans la salle Nation du Congrès pleine à craquer, les inquiétudes restent vives. Crainte d’une « France à deux vitesses », difficultés à se projeter et à établir une stratégie foncière, manque structurel d’ingénierie : malgré les assouplissements de la loi de 2023, la mise en application du ZAN reste complexe et contraignante, d’autant que « le compteur tourne » depuis 2021. C’est en effet cette date qui marque le début de la première période d’application du dispositif (2021-2031), visant à diviser par deux la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) par rapport à la décennie précédente (2011-2021), avant la mise en application du ZAN en tant que tel sur la décennie 2031-2041, pour aboutir au solde zéro en 2050.
Adapter la trajectoire ZAN aux enjeux locaux
Venu représenter l’État, Jean-Baptiste Butlen, sous-directeur de l’aménagement durable à la DHUP du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, a patiemment exposé le dispositif actuel. En revenant au diagnostic initial : « sur la décennie précédente, nous avons consommé 24 000 hectares d’Enaf chaque année, soit près de 5 terrains de football par heure – avec des conséquences écologiques, sociologiques et économiques très importantes. Tous les territoires sont concernés, y compris les zones très peu denses. Partagé internationalement, l’objectif ZAN est apparu en France avec le plan Biodiversité de 2018, repris par la convention citoyenne sur le climat, pour être finalement encadré par les lois de 2021 et 2023 ». L’ambition est claire, il s’agit de « définir un nouveau modèle d’aménagement durable des territoires, et de mobiliser le déjà-là ».
Si la maîtrise de l’étalement urbain est un principe fondamental du Code de l’urbanisme depuis la loi SRU de 2000, la loi Climat et résilience fixe des objectifs quantitatifs et consacre des notions essentielles, telles que la consommation d’Enaf, définie comme la création ou l’extension effective d’espaces urbanisés, ou l’artificialisation des sols qui implique une atteinte à leurs fonctions écologiques et agronomiques.
Par ailleurs, « la loi de 2023 a apporté certains correctifs au dispositif de 2021, comme la valorisation des efforts de renaturation dès la première décennie 2021-2031. ». De même que le nouveau décret dit « nomenclature des sols », dont la première version a été attaquée par l’AMF devant le Conseil d’État) , considère les jardins publics comme non artificialisés – tandis que tous les bâtis, y compris agricoles, sont considérés comme artificialisés… À vérifier lors de la publication prochaine des textes.
La loi de 2023 a également défini un nouveau calendrier pour la déclinaison de la trajectoire ZAN dans les documents d’urbanisme : les Sraddet (ou Sdrif, SAR, Padduc) devront établir les cibles infrarégionales d’ici au 22 novembre 2024, les Scot devront ensuite les décliner d’ici au 22 février 2027, et les PLU(i) et cartes communales d’ici au 22 février 2028.
Autre innovation – et promesse d’Élisabeth Borne au Congrès 2022 : un compté à part est instauré pour les projets d’envergure européenne et nationale, avec un mécanisme de mutualisation du forfait de 12 500 ha. L’arrêté fixant la liste des projets concernés est attendu « dans les premiers mois de 2024 », a annoncé Jean-Baptiste Butlen.
Par ailleurs, le texte sénatorial instaure une « garantie rurale » ou surface minimale de consommation d’un hectare pour chaque commune dotée d’un document d’urbanisme avant août 2026 (au moins prescrit), de même qu’il prend en compte les spécificités des communes littorales (érosion côtière, obligation de recomposition spatiale).
Donner aux maires les outils de maîtrise foncière
À la demande de l’AMF, la loi de 2023 a étendu le droit de préemption urbain aux projets de renaturation et de renouvellement urbain. Il instaure aussi un sursis à statuer temporaire pour permettre aux élus de décaler jusqu’à 2028 les décisions d’autorisation d’urbanisme.
Autres outils : le bonus constructibilité « friches », ou encore la possibilité de définir des zones de renaturation dans les documents d’urbanisme. Jean-Baptiste Butlen a par ailleurs rappelé l’existence du Fonds vert, porté à 2,5 milliards dans son 2e volet, et qui, comme l’a rappelé le ministre Christophe Béchu la veille au Congrès, pérennise notamment le fonds friches jusqu’en 2027, et sort du cadre biaisé des appels à projets ou manifestation d’intérêt.
Côté données, l’État met à disposition gratuitement celles du Cerema, garant de l’observatoire national de l’artificialisation, et représenté lors du débat par Annabelle Ferry, directrice Territoires et ville et Martin Bocquet, directeur d'études foncier. « Le Cerema produit des outils et des accompagnements » , a ainsi rappelé Annabelle Ferry. Trois centres de ressources sont mobilisables : le portail de l’artificialisation, « datafoncier », et le site des outils de l’aménagement. Aux côtés de Cartofriches et d’Urbanvitaliz, Urbansimul permet la visualisation de l’ensemble des données foncières. Autres outils étatiques : « Zéro logement vacant », ou encore l’application « Muse », qui permet de prendre en compte la multifonctionnalité des sols.
Mais pour mobiliser ces outils, encore faut-il pouvoir disposer de l’ingénierie suffisante… Karine Hurel, déléguée générale adjointe de la Fédération nationale des agences d’urbanisme est ainsi venue rappeler le rôle des 51 agences d’urbanisme sur le territoire, dont les missions statutaires intègre le ZAN, tout comme celles des établissements publics fonciers. « Le ZAN est un nouveau dess(e)in de territoire qui s’annonce : il faut être accompagné. Concrètement, nous aidons les élus pour la mise en application du sursis à statuer et du DPU issus de la loi de 2023. Nous proposons aussi des stratégies de densification, en identifiant le foncier invisible : les dents creuses, le micro-foncier, les entrées de ville, ou encore les espaces périurbains… C’est un travail de dentelle, il n’y a jamais qu’une solution ».
La territorialisation, un acte politique fort conduit par les régions
Intervenant au débat, Guillaume Guérin, président de la communauté urbaine Limoges Métropole (Haute-Vienne), vice-président de l’AMF a, de son côté, fait le tour des associations départementales de maires pour parler ZAN. « Beaucoup de remontées de terrain ont été reprises dans la loi de 2023, mais il reste des écueils : la mise en adéquation du dispositif avec la réalité est toujours problématique. L’exécutif doit entendre l’inquiétude des maires. Il y a toujours un fort besoin d’ingénierie, et le mécanisme des grands projets entraîne déjà une concurrence entre régions. Sans compter qu’on nous impose un nouveau modèle d’aménagement du territoire : c’est la fin du modèle pavillonnaire, la fin de la France des propriétaires ! ».
De son côté, Laurent Mary, directeur général adjoint transports et aménagement du territoire à la région Normandie, est venu témoigner du long parcours d’un Sraddet pour intégrer le ZAN. « C’est l’histoire d’une région et d’un président, Hervé Morin, qui initialement ne croit pas du tout à ce machin qu’est le ZAN. A l’été 2021, la loi Climat et résilience est adoptée : après la circulaire ZAN de 2018, c’est la sidération. Les Sraddet doivent organiser la territorialisation des objectifs, et être approuvés d’ici le 22 février 2024 (initialement). ».
La région fixe dès décembre 2021 dans son Sraddet un objectif – non contraignant – de diviser par 2 en 10 ans le rythme de la consommation foncière. Puis une concertation est organisée à partir d’avril 2022 pour intégrer les obligations de la loi Climat. Au menu : concertation technique et politique, réunion des élus du conseil régional et du Ceser, etc. Une proposition de modification de Sraddet est établie, l’autorité environnementale est saisie, les différents acteurs sont consultés et le projet mis à disposition du public. La modification du Sraddet est finalement approuvée par arrêté préfectoral en mai 2023.
« C’est un acte politique très clair de territorialiser les objectifs du ZAN. Il s’agit d’anticiper pour préparer toutes les transitions : écologique, numérique, énergétique, socio-économique, mais aussi, la réindustrialisation. Plusieurs critères ont été pris en compte pour cette territorialisation en Normandie : le dynamisme économique, l’emploi salarié, l’évolution démographique, la consommation d’espaces sur 2011-2020, mais aussi le maillage territorial ou les surfaces protégées. Comme l’autorise la loi, nous ne nous sommes pas appuyés sur les données nationales du Cerema pour établir ces trajectoires, mais sur celles de la cartographie de la consommation foncière (CCF), dont la production est réalisée pour la région par l’EPF ». Le ZAN sera-t-il décliné en 13 versions selon chaque région ? La loi le permet, comme le veut la décentralisation.
Revoir le débat « ZAN : décryptage d'une loi complexe » en vidéo sur le site de l'AMF.
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