Violences sexistes en politique : les élues locales loin d'être épargnées
Par Lucile Bonnin
966 femmes élues ont participé à cette enquête menée du 15 octobre au 25 novembre par le réseau Élues locales. Ces femmes ont été élues à 81 % à l’échelle d’une commune, 10 % d’une intercommunalité, 3,5 % d’un département, 3 % d’un niveau national et 2,5% d’une région. Des collectivités de toute taille ont donc été prises en compte.
Cet échantillon varié permet d’abord d’avoir une vue d’ensemble sur la répartition des femmes dans les délégations et de prouver, une fois encore, le caractère genré de cette répartition : 39 % des sondées sont, par exemple, rattachées aux délégations « enfance – culture – social-communication » contre 6 % en « transport – sécurité – sport – tourisme » . La place des femmes dans la sphère politique a toujours été inégale. La sous-représentation –qui n’est plus à prouver aujourd’hui- cache aussi des réalités difficiles pour les élues.
Des chiffres significatifs
74 % d’entre elles ont été confrontées à des remarques ou comportements sexistes. Interrompues lors d’une intervention publique (47 %), confrontées à des comportements paternalistes (46 %), mais aussi victimes de harcèlement (5 %), allant même jusqu’aux violences physiques (1 %)… L’étude met en lumière des situations insupportables.
82 % de ces actes ont été commis par des collègues élus, 31 % par des citoyens et 23 % par un de leur responsable politique. Ces résultats montrent « la banalité et la fréquence de ces situations, commente Julia Mouzon, créatrice du réseau Élues locales. Pour les collectivités c’est un électrochoc mais ce n’est malheureusement pas une surprise pour les élues. »
Des témoignages bouleversants
Peggy Plou, vice-présidente de la communauté de commune de Gâtine Racan (Centre-Val-de-Loire), raconte avoir eu plusieurs fois à repousser une main baladeuse. « J’ai eu sur ma cuisse la main de mon maire, ça a été normal pour lui, mais pas pour moi. Quand les femmes osent dire non, la réponse est souvent la même : "tu sais bien, je suis tactile… " » Preuve que cette violence n’est parfois pas toujours perçue comme telle par ceux qui l’exercent.
La valeur accordée à la parole des femmes en politique est aussi à déplorer selon Fabienne Helbig, conseillère municipale de Talence (Nouvelle-Aquitaine) et déléguée à l'Egalité et la lutte contre les discriminations. Pendant un conseil de métropole, l’élue décide de chronométrer la répartition de la parole. Sans surprise, elle constate et fait remarquer que « les hommes ont 3 fois plus de temps de parole que les femmes (3 min en moyenne pour les femmes contre 9 min pour les hommes). »
Ces remarques sexistes peuvent être quotidiennes puisque 72 % de ces comportements inappropriés ont lieu sur leurs lieux de travail. Psychologiques ou physiques, l’étude montre aussi que les violences sont graduelles et s’exercent dans un entre-soi.
Solène Le Monnier, ancienne conseillère municipale de Berric (Bretagne), dénonce avec émotion « une forme d’impunité dans nos petites communes rurales dans les conseils municipaux. J’ai pu entendre par exemple au début : "Assieds-toi entre nous, on pourra te catalyser comme ça… " Quand on est seule c’est compliqué de dénoncer cette violence et le silence créé un mal-être et permet une escalade allant jusqu’à l’humiliation publique en conseil municipal. » Elle ajoute, les larmes aux yeux : « On s’engage en politique car on est motivées mais on ne doit pas y laisser nos vies et notre santé. »
Témoignage encore plus glaçant du côté d’Enora Hamon, directrice générale adjointe de la fondation « la France s’engage » et précédemment élue d’un syndicat étudiant. Pour elle, la liste des agressions est longue et particulièrement significative du pire de ce que peuvent subir les femmes en politique. « Menaces de mort, tentative d’étranglement… Je me suis fait uriner dessus à Lille, mon identité a été volée et publiée sur un site porno, j’ai vécu du harcèlement… J’ai porté plainte plusieurs fois mais il n’y a jamais eu de suite. »
Toutes déplorent d’ailleurs un manque de prise en compte de ces violences qui « concernent toutes les femmes et pas que les peu expérimentées » , précise Sandrine Lévêque, chercheuse et enseignante à Sciences Po Lille. C’est notamment pour cela qu’il est « utile de mettre des chiffres sur ce phénomène » et mettre fin à « l’omerta » .
Une parité indispensable
Pour les femmes élues, il n’y a pas de doute : la parité est indispensable pour lutter contre ces violences. « C’est indispensable pour les petites communes » , a plaidé Peggy Plou. Une proposition de loi proposant de mettre en place le scrutin de liste paritaire dans toutes les communes, même les plus petites, a d’ailleurs été déposée par Élodie Jacquier-Laforge, députée Modem de l’Isère, le 20 octobre dernier à l'Assemblée nationale. L’AMF s’est d’ailleurs prononcée pour cette solution dès 2018.
Pour une meilleure prise en compte des violences
Dans 52 % des cas, aucune mesure n’a été prise une fois les agissements signalés. « Pourtant, les outils existent contre les violences » , affirme Julia Mouzon. Elle rappelle notamment que lors de la 103e édition du Congrès de l’AMF, Emmanuel Macron avait insisté sur l’importance de lutter contre les violences faites aux maires. Elle regrette le manque d’intérêt porté aux femmes élues qui subissent des violences de la part des citoyens, mais aussi et surtout de la part d’homologues masculins.
Les femmes dénoncent une inaction qui pèse lourd et perpétue « un ordre politique viril, construit par les hommes pour les hommes » , explique Sandrine Lévêque. Peggy Plou raconte avoir envoyé un mail pour alerter la référente du droit des femmes en préfecture en mars dernier. Ce dernier est resté sans réponse. « Il faut appliquer les lois, insiste Solène Le Monnier, et pas selon la géographie ou la personnalité ! »
Un mouvement généralisé
285 femmes politiques et universitaires ont appelé, le 15 novembre dernier, dans une tribune publiée dans Le Monde, à « écarter les auteurs de violences sexuelles et sexistes » de la vie politique. Dans la lignée de cette tribune, cette étude est un « appel à la prise de conscience » pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles subies par les femmes dans le milieu politique.
La vice-présidente de la communauté de commune de Gâtine Racan rappelle que pour que l’égalité soit atteinte, et que la féminisation de la vie politique soit réussie, les hommes doivent faire partie du combat. « Tous les hommes ne sont pas concernés par ces violences sexistes mais ils doivent s’autoriser entre eux de soutenir et défendre une femme au sein d’un environnement politique » .
Lors du Congrès des maires de 2019 et dans la continuité du Grenelle contre les violences conjugales, l’AMF avait fait de la prévention et de la lutte contre les violences faites aux femmes une grande cause du mandat municipal 2020-2026.
Ainsi, « sur la base du volontariat, l’AMF invite chaque commune de France à s’approprier ce sujet, à l’insérer dans une politique d’égalité entre les femmes et les hommes » . Un mémento a d’ailleurs été publié en 2020 à destination des équipes municipales. « Les valeurs de la République souffrent de ces violences et de ces inégalités. Chaque jour du mandat doit être celui de la mobilisation, du terrain, des convictions et des résultats, un 8 mars permanent et exigeant » , peut-on lire sur le site de l’AMF.
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