Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 8 mars 2023
Violences faites aux femmes

Inéligibilité des élus auteurs de violences sexistes : l'Assemblée rejette le texte de la majorité

La proposition de loi d'Aurore Bergé, soutenue par le gouvernement, qui visait à créer une peine automatique d'inéligibilité en cas de violences conjugales ayant entrainé moins de huit jours d'arrêt de travail, a été rejetée hier soir par l'Assemblée nationale. 

Par Franck Lemarc

Encore un revers sévère pour le gouvernement et la majorité, qui espéraient, à la veille de la Journée internationale du droit des femmes du 8 mars, faire adopter un texte « protecteur »  pour les femmes. Finalement, le vote contre de la droite et l’abstention de la gauche et de certains alliés de la majorité ont conduit au rejet de ce texte, à l’issue d’une séance encore une fois très houleuse. C’est en grande partie parce que l’opposition a jugé ce texte « opportuniste »  qu’elle l’a rejeté. 

« Exemplarité des élus » 

Le dépôt de ce texte par le groupe Renaissance, sous la houlette de sa présidente Aurore Bergé, s’est fait en réaction à l’affaire Quattenens. Le député LFI, qui a reconnu avoir giflé sa compagne, a été condamné, mais sans peine d’inéligibilité, ce qui lui a permis de revenir aussitôt siéger à l’Assemblée nationale.

Dans la foulée, le 20 janvier, Aurore Bergé et ses collègues ont déposé un texte baptisé Étendre le champ d’application de la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité aux cas de condamnation pour des violences aggravées ayant entraîné une incapacité temporaire de huit jours ou moins. Dans l’exposé des motifs de ce texte, il est expliqué que la loi, de façon constante ces dernières années, a évolué de façon constante pour garantir la « probité des élus », en élargissant le champ des délits qui peuvent être punis d’une peine complémentaire d’inéligibilité. Cela a été le cas notamment de la loi Sapin de 2016, puis de la loi pour la confiance dans la vie politique de 2017. Cette dernière loi a créé une peine complémentaire d’inéligibilité pour les agressions sexuelles et les violences graves. 

Mais aujourd’hui, dénoncent les auteurs de la proposition de loi, « la peine complémentaire d’inéligibilité n’est pas obligatoire s’agissant des violences commises, notamment, sur un mineur de 15 ans, sur une personne vulnérable, sur le conjoint, avec une arme (etc.) et ayant entrainé une ITT [interruption temporaire de travail] inférieure ou égale à 8 jours ou n’ayant pas entrainé d’ITT ». 

S’appuyant sur un avis du Conseil constitutionnel, les auteurs de la proposition de loi ont donc estimé que les violences sur conjoint, même si elles n’ont pas entraîné d’ITT, sont « de nature à remettre en cause l’exemplarité des élus et la confiance des électeurs envers leurs représentants », et doivent donc faire l’objet d’une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité. En rappelant toutefois que la peine obligatoire, stricto sensu, n’existe pas en droit français, le juge étant libre, « par une décision spécialement motivée », de ne pas appliquer une peine prévue par le Code pénal. 

Le gouvernement a apporté son plein soutien à ce texte, auquel il a appliqué la procédure accélérée. 

« Incohérences »  et « instrumentalisation » 

Lors des débats, les députés ont discuté du fond, mais aussi de la forme – convaincus, pour beaucoup d’entre eux, que le dépôt de ce texte revêtait un caractère « opportuniste », « de circonstance », et « choqués »  de voir la majorité proposer un tel texte tout en tolérant, dans ses rangs, et même parmi les signataires du texte, un député mis en cause pour viol. Plusieurs orateurs de la Nupes ont affirmé qu’ils auraient reçu différemment ce texte si la majorité « faisait preuve de la même exemplarité »  que celle qu’elle prône dans sa proposition de loi. Le débat a même été marqué par le bras d’honneur lancé par le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, après une intervention du président du groupe LR Olivier Marleix – ce geste étant, d’après son auteur, non pas adressé à Olivier Marleix lui-même mais au fait que celui-ci bafouait la présomption d’innocence. 

Les députés, au-delà de ces démonstrations d’agacement, ont essayé de modifier le texte par amendement, notamment pour essayer de corriger « les incohérences »  du texte. C’est le cas notamment de l’amendement présenté par le socialiste Hervé Saulignac, qui a souligné que ce texte rendrait inéligible une femme ayant giflé son compagnon, mais pas celui-ci s’il consultait des vidéos pédopornographiques ; ou un homme qui giflerait une prostituée, mais pas le proxénète de celle-ci ! Cet amendement, qui visait à « réserver la peine d’inéligibilité aux seuls délits justifiant réellement cette sanction », a été rejeté par les députés. 

Même les alliés habituels de la majorité se sont montrés très réservés sur ce texte. C’est le cas par exemple du groupe Horizon, dont l’un des députés, Thierry Benoit, a vivement regretté que ce texte, « sur un sujet très grave », fasse l’objet d’une simple proposition de loi « et non d’un projet de loi, avec étude d’impact ». Dans ces conditions, le député a annoncé qu’il ne pourrait voter ce texte. 

Marie-Charlotte Garin (EELV), a expliqué en fin de débats les raisons de l’abstention de la Nupes : « Sur d’autres faits, nous aurions voulu que vous réagissiez et que vous agissiez », a-t-elle lancé à la majorité. « Cette proposition de loi nous laisse le goût amer de l’instrumentalisation. (…) Ce texte ne résoudra pas le problème. Ce qu’il nous faut pour avancer vraiment ce sont des moyens, humains et financiers. C’est une exemplarité de tous les hommes et de toutes les femmes politiques de ce pays. »  La Nupes a demandé la création d’une « mission d’information transpartisane sur les violences sexistes en politique, qui nous permettra d’aboutir à des solutions solides et partagées collectivement ». 

Le Rassemblement national a, quant à lui, présenté « ses condoléances à cette proposition de loi, flinguée par les bras d’honneur du ministre de la Justice », qui ont conduit au vote défavorable du groupe LR, alors que celui-ci avait initialement annoncé qu’il ne « s’opposerait pas »  au texte. Celui-ci a été rejeté par 140 voix contre 113. 

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