Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 4 juillet 2022
Vie publique

L'encadrement du lobbying désormais étendu aux collectivités de plus de 100 000 habitants

Après deux reports successifs, le contrôle des lobbies est désormais étendu aux actions réalisées auprès des maires, présidents d'interco et directeurs de services. Un registre qui comporte de nombreuses imperfections et failles, selon la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

Par A.W.

Initialement prévu en 2018, le répertoire des lobbies vient finalement d’être étendu aux collectivités territoriales de plus de 100 000 habitants. Depuis vendredi dernier, les représentants d’intérêts* doivent retracer, sous peine de sanction pénale, dans ce registre géré par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), leurs activités de lobbying auprès des 42 communes et des 130 EPCI à fiscalité propre concernés, sous peine de sanction pénale.

Créé par la loi Sapin II de 2016 (relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique), ce dispositif devait initialement englober les 468 communes et 1011 EPCI de plus de 20 000 habitants, mais ce seuil a été augmenté par la loi 3DS, conformément aux recommandations du gendarme de la transparence. Et si jusqu’à présent, aucun élu local ne figurait dans la liste des responsables publics susceptibles d’être visés par une action de lobbying, ce n’est dorénavant plus le cas.

Des élus « très sollicités par des représentants d'intérêts, notamment dans des secteurs comme la politique de la gestion de l’eau, des transports, tout ce qui touche au BTP… pour lesquels il peut y avoir des actions pressantes », assurait, l'an passé, le président de l’institution, Didier Migaud.

Maires, adjoints, délégués, membres de cabinet, DGS, agents…

Concrètement, qui est désormais concerné par l’extension ? C’est notamment le cas des maires, adjoints ou conseillers délégués des communes de plus de 100 000 habitants et des présidents, vice-présidents ou conseillers délégués des EPCI à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants, des conseils régionaux et départementaux ainsi que leurs membres de cabinet. Certains agents publics des trois fonctions publiques occupant des emplois en administration centrale, comme les directeurs généraux des services, sont également concernés par cette nouvelle obligation.

La liste précise des décideurs publics concernés par l’extension du répertoire est récapitulée dans un tableau dédié sur le site de la HATVP. 

Les représentants d’intérêts inscrits au répertoire doivent ainsi commencer, depuis le 1er juillet, à recenser « les entrées en communication qu’ils réalisent auprès des responsables publics qui entrent dans le champ de l’extension », rappelle le gendarme de la transparence.

A ce titre, la HATVP souligne, dans son vademecum paru le mois dernier, qu’un élu ne peut être considéré comme un représentant d’intérêt dans le cadre de l’exercice de son mandat. Mais celle-ci précise, en revanche, que dans le cas où l’élu serait un « administrateur d’une société d’économie mixte locale, […] qui sollicite le directeur général des services d’une collectivité non actionnaire de la société afin d’influer sur une décision publique (ex : création d’une zone d’aménagement), [il] est susceptible de réaliser une action de représentation d’intérêts ».

« Plusieurs failles » 

Ce dispositif est toutefois largement perfectible, selon la HATVP. D'autant que « l’extension du répertoire aux actions menées auprès des collectivités territoriales et des agents de l’administration fait ressortir avec acuité [certaines] difficultés pratiques […], tant pour les représentants d’intérêts soumis à l’obligation que pour la Haute Autorité chargée de les contrôler », pointe une nouvelle fois l’institution.

Un reproche déjà formulé à plusieurs reprises ces dernières années, notamment dans un bilan assez critique du dispositif publié à l’automne 2021, dans lequel la HATVP l’estimait constitué de « plusieurs failles », son cadre législatif et réglementaire étant notamment jugé « trop complexe », et, ce, bien qu’il comporte des « avancées notables »  et ouvre des « perspectives prometteuses ».

Reste que ces difficultés viennent « grandement le fragiliser et empêcher une bonne vision de l’empreinte normative par nos concitoyens », soulignait, l’an passé, Didier Migaud, en estimant que « les critères actuels d’identification des représentants d’intérêts peuvent relever de l’absurde ou être injustes ».

En cause, le fait que les lobbies doivent être, eux-mêmes, à l'initiative des rencontres pour avoir l’obligation de déclarer une action, l’imprécision particulière de la liste des décisions publiques (jugée « extrêmement large » ) pouvant faire l’objet d’une action de lobbying, mais aussi le contournement « sans réelle difficulté »  du seuil de dix actions (réalisées sur les 12 derniers mois) au moins par personne physique au sein d’un organisme. 

Une réforme à discuter « à froid » 

Et comme l’expliquait la Haute Autorité, dans son bilan, « les difficultés juridiques inhérentes au répertoire seront également appliquées à l’échelon local et les spécificités de l’action publique territoriale seront de nature à accroître largement les difficultés identifiées ». 

Celle-ci formulait ainsi plusieurs propositions d’évolutions afin de rendre le dispositif d’encadrement de la représentation d’intérêts « plus pertinent et adapté à l’échelon local ». Or, la plupart des propositions d’évolution n’ont « pas trouvé de traduction législative ou réglementaire à ce stade », rappelle-t-elle dans son vademecum. 

Dans son dernier rapport d’activité présenté le mois dernier, le gendarme de la transparence a donc réitéré ses propositions d’amélioration du registre et insisté sur le fait qu’une réforme est d’autant plus pressante que, avec l’élargissement du répertoire, la HATVP risque de se retrouver « avec une masse d’informations ne présentant que peu d’intérêts pour les citoyens ». 

« Il faut clarifier le champ de la décision publique. Le décret actuel va à l’encontre de la volonté du législateur en ciblant un champ d’action publique très large. Or pour bien comprendre comment les lois, les règlements et les grandes décisions publiques sont pris, il faut de la transparence et donc rendre le dispositif opérant », expliquait Didier Migaud, celui-ci souhaitant qu’un texte global sur la transparence et la lutte contre la corruption soit discuté « à froid », hors de tout scandale.

On peut, par ailleurs, rappeler que, devant la « très forte inquiétude »  des élus locaux, cinq associations d'élus viennent de demander une « audience »  au gouvernement afin de faire évoluer le droit actuel encadrant le délit de prise illégale d'intérêt.

 

Télécharger le vademecum de la HATVP.

Télécharger la liste des décideurs publics concernés par le répertoire.


*Les trois conditions cumulatives pour être qualifié de représentant d’intérêts : une personne morale ou une personne physique, qui exerce une activité professionnelle à titre individuel, par exemple un consultant ou un avocat indépendant ; dont un dirigeant, un employé ou un membre exerce des actions de représentation d’intérêts et prend l’initiative de contacter l’un des responsables publics à l’égard desquels une communication peut constituer une action de représentation d’intérêts, pour influer sur une des décisions publiques qui entrent dans le champ du dispositif ; une activité exercée de façon principale ou régulière. Il s’agit d’une activité principale si la personne consacre plus de la moitié de son temps, sur une période de six mois, à préparer, organiser et réaliser des actions de représentation d’intérêts. Il s’agit d’une activité régulière si elle a réalisé à elle seule au moins dix actions d’influence au cours des 12 derniers mois.
 

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