Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 7 juillet 2025
Administration

Un nouveau rapport parlementaire crie haro sur les agences

Le Sénat a publié la semaine dernière un volumineux rapport d'enquête « sur les missions des agences et opérateurs de l'État ». Dénonçant « un émiettement de l'action publique » et une gabegie d'argent, les rapporteurs de cette commission d'enquête proposent la suppression ou la fusion de nombreuses agences, dont l'ANCT, l'Anru et l'Agence nationale du sport, en se défendant toutefois de toute « politique de la tronçonneuse ». 

Par Franck Lemarc

Sur les plus de 60 propositions faites par la commission d’enquête sénatoriale, dans son rapport de plus de 350 pages, ce sont évidemment les dernières qui ont le plus marqué : les rapporteurs prônent la suppression ou la fusion de plusieurs agences et opérateurs de l’État dont certaines sont bien connues des élus locaux, voire en sont les interlocuteurs presque quotidiens.

Il serait toutefois injuste de réduire ce rapport à ces seules conclusions. Celui-ci s’ouvre en effet par une analyse intéressante du mouvement « d’agencification », qui a pris son essor en France dans les années 1960 avec la création de l’ONF et de l’Anah. Mais c’est à partir du milieu des années 1990 que le mouvement s’est accéléré, avec le passage d’une vingtaine à presque 100 agences. Les rapporteurs parlent d’un « démembrement de l’État sous l’influence des théories néolibérales » : les agences étaient vues comme plus souples et plus productives que les services de l’État, en permettant notamment de « contourner la rigidité des normes de gestion qui s’imposent à la fonction publique ». 

Les rapporteurs posent un certain nombre de questions sur le fonctionnement de ces agences, notamment sur la connaissance insuffisante de l’État de « l’étendue du parc d’agences »  et dénoncent, comme conséquence du développement des agences, « un perte de compétences techniques et opérationnelles au sein de l’État »  – pointant notamment le fait que le développement des agences s’est fait concomitamment au démantèlement des services déconcentrés de l’État, avec des effectifs des préfectures qui ont diminué de plus d’un tiers en quelques années. Avec, comme conséquence, un profond affaiblissement de l’appui en ingénierie qui pouvait être offert aux collectivités, et que les agences ne sont jamais parvenues à remplacer. 

Jungle juridique

Le rapport pose également la question de la longévité des agences, dont certaines, estiment les rapporteurs, ont une durée de vie qui dépasse celle de leur mission. Ils prennent l’exemple de l’Anru, qui selon eux s’est transformée d’agence dont le métier « était de rénover, de réhabiliter »  en « machine à imaginer l’urbanisme à la place des élus », selon les mots de son créateur, Jean-Louis Borloo. Les rapporteurs proposent donc, notamment, que dès la création d’un nouvel établissement, une « date d’extinction »  soit prévue, par défaut de cinq ans. 

Le rapport s’attarde également sur la jungle du statut juridique des agences – parfois établissements publics administratifs (EPA), parfois établissements publics industriels et commerciaux (Epic), parfois groupements d’intérêt économique (GIE) ou public (GIP) ou encore établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP)… Ces différents statuts « ne répondent à aucune doctrine juridique explicite », déplorent les rapporteurs, ce qui « contribue à l’illisibilité du paysage institutionnel ». 

Au final, la commission d’enquête estime que ces établissements sont, dans l’ensemble, « mal suivis », et que leur coût pour les finances publiques est « mal connu ». Sur le plan budgétaire, écrivent-ils, les agences sont « des États à côté de l’État », dont le budget « est en partie décorrélé de celui de l’État même lorsqu’elles reçoivent de lui l’essentiel de leurs ressources ». 

Supprimer les appels à projets

La commission dénonce également le fait qu’en dehors de très gros opérateurs, employant parfois plusieurs dizaines de milliers d’agents (France travail par exemple), une multitude de petits opérateurs s’est développée (115 opérateurs représentent tous ensemble moins de 1 % des effectifs totaux). Les rapporteurs s’étonnent que certains de ces opérateurs, très petits en termes d’effectifs, aient à gérer des sommes parfois colossales : c’est le cas de France compétences, qui gère un budget de plus de 15 milliards d’euros avec moins de 100 agents affectés. 

Enfin, toute une partie du rapport interroge les relations entre agences, services déconcentrés de l’État et collectivités locales. Notamment, sur le fait que les préfets sont souvent informés « avec retard », voire pas informés du tout, des initiatives prises par les agences nationales, « tout particulièrement lorsqu’elles lancent des appels à projets qui pourraient entrer en concurrence avec d’autres dispositifs locaux ». Les représentants des associations d’élus auditionnés par la commission ont d’ailleurs unanimement dénoncé « la multiplication incontrôlée des appels à projets », « en raison de la complexité des dossiers à remplir et du temps nécessaire, qui favorisent les collectivités dotées d’une capacité d’ingénierie ». La commission propose d’ailleurs, au titre de ses recommandations, d’interdire tout simplement aux agences de lancer des appels à projets. 

Sans compter, déplorent les rapporteurs, que certaines agences en viennent à jouer un rôle qui dépasse clairement leurs missions, allant jusqu’à « créer de la norme au lieu de se limiter à l’appliquer ». C’est le cas, a par exemple dénoncé l’AMF devant la commission, des agences de l’eau, qui « établissent des critères qui ne sont pas définis par la loi ni par le règlement, très techniques, mais qui infléchissent l’aménagement du territoire par les financements qu’ils procurent, rendant possibles ou impossibles des projets sans que vous compreniez toujours pourquoi ». 

Suppressions et fusions

La commission propose donc une réforme des agences, « au service de la lisibilité de l’action publique et de l’efficacité de la dépense », avec un vaste mouvement de recentralisation de leurs missions – et de leurs crédits – entre les mains de l’État. 

Elle souhaite donc à la fois des suppressions et des fusions d’agences, parmi lesquelles : la fusion de l’Afpa et des Greta, la suppression et la « réinternalisation »  de l’Afitf (Agence de financement des infrastructures de transport), le transfert de France compétences à la Caisse des dépôts, le transfert des effectifs de l’Anah vers l’Agence de service et de paiement… La commission propose également la suppression de l’Agence bio, de l’Anru, de l'Agence nationale de cohésion des territoires, de l’Agence nationale du sport (en réintégrant ses missions et financements au ministère des Sports), et enfin la suppression du Pass culture et de sa société de gestion. 

Ces propositions sont dans l’air du temps : on se rappelle du débat sur le projet de loi de simplification de la vie économique, ce printemps, qui avait servi de prétexte, au Parlement, pour tenter d’acter la suppression d’un certain nombre d’agences et d’opérateurs de l’État. Si, en soi, les arguments mis en avant par la commission d’enquête sont intéressants et touchent juste, le grand coup de balai auquel elle appelle ne peut provoquer qu’une certaine méfiance chez les élus. Si ces agences et opérateurs devaient disparaître, est-il certain que leurs missions – et les financements qui en découlent – seront réellement reprises en main par l’État ? Ou ce grand ménage sera-t-il un prétexte pour couper, au nom du redressement des comptes publics, des dizaines de milliards d’euros de financements publics ? L’avenir le dira. 

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