Un nouveau gouvernement largement dominé par l'ancien « socle commun »
Par Franck Lemarc
On se demandait, la semaine dernière, après l’interview de Sébastien Lecornu au « 20 heures » de France 2, si le pays allait finir par découvrir le fameux « gouvernement technique » prôné par certaines depuis la dissolution de 2024 – un gouvernement d’experts, non partisans, chargés de construire et faire adopter un budget par une Assemblée sans majorité. La re-nomination de Sébastien Lecornu, dernier grognard d’Emmanuel Macron, a éloigné cette perspective. Au final, le gouvernement de 34 membres qui a émergé hier soir, après 48 heures d’intenses négociations et tractations secrètes, est un savant mélange de continuité et de rupture, de politiques et d’experts, de personnalités très médiatiques et d’inconnus… Mais une chose n’a pas changé : la tonalité politique du gouvernement, alliant macronistes et Républicains.
Les équilibres politiques
Il y a des situations qui ne laissent pas d’étonner. Le gouvernement Lecornu I avait le soutien officiel des Républicains, et il ne comptait que quatre ministres LR. Le gouvernement Lecornu II ne l’a pas, le président du parti a clairement interdit à ses membres d’en faire partie… et il en compte six. Parmi eux, des poids lourds du parti comme Rachida Dati, qui reste à la Culture et Annie Genevard, qui conserve le portefeuille de l’Agriculture ; et des figures moins connues comme Philippe Tabarot, lui aussi reconduit aux Transports. Vincent Jeanbrun, ancien maire LR de L’Haÿ-les-Roses et député depuis juillet 2024, prend le portefeuille de la Ville et du Logement. Nicolas Forissier, qui fut ministre dans les années 2000 sous Jean-Pierre Raffain, revient au gouvernement comme ministre délégué au Commerce extérieur et à l'Attractivité.
Dès hier soir, Les Républicains ont fait savoir que tous ses membres qui ont choisi de rentrer au gouvernement seraient exclus du parti – ce sera, pour Rachida Dati, sa deuxième exclusion, et l’on ignore sous quelle étiquette elle concourra pour la mairie de Paris, en mars prochain.
Les autres « politiques » du gouvernement appartiennent tous, sauf deux, au « bloc central » (11 ministres Renaissance, 3 Horizons, 3 MoDem) : cela représente 17 ministres, soit la moitié du gouvernement. Les deux exceptions sont Françoise Gatel, puisque l’UDI a pris son indépendance par rapport au bloc central, et Laurent Panifous, ancien député ex-PS de l’Ariège, qui a quitté le PS par refus de l’alliance électorale avec LFI et rejoint le groupe Liot.
Vingt-quatre ministres, soit les trois quarts du gouvernement, sont donc issus de l’ancien socle commun. On ne peut donc en aucun cas parler de « rupture » politique.
Les ministres qui seront les plus en avant dans le débat budgétaire – si le gouvernement survit à cette semaine – ne sont, là encore, aucunement porteurs de la « rupture » pourtant promise par Sébastien Lecornu : Roland Lescure, macroniste de la première heure, a été reconduit à Bercy, tout comme Amélie de Montchalin au budget, poste qu’elle occupe depuis un an, après avoir participé à tous les gouvernements depuis 2019. On se rappelle que la semaine dernière, c’est Roland Lescure qui a été l’un des premiers à prendre la parole pour dénoncer le coût « qui se chiffrera en milliards » d’une suspension de la réforme des retraites. Sa re-nomination ne semble donc pas indiquer que l’exécutif semble se diriger sérieusement vers cette option.
Figures du macronisme
L’une des principales surprises de ce gouvernement est le maintien de Gérald Darmanin au ministère de la Justice – ce qui est parfaitement contradictoire avec l’exigence énoncée par le Premier ministre lui-même de voir tous ses ministres « déconnectés » de la présidentielle de 2027. Gérald Darmanin n’a pourtant jamais caché ses ambitions en la matière. Pour entrer tout de même dans les critères d’admission au gouvernement, il s’est donc tranquillement auto-déconnecté de la présidentielle, en annonçant hier soir se mettre « en congé de toute activité partisane » ce qui, on le reconnaîtra, ne veut pas dire grand-chose.
Autre poids lourd qui reste au gouvernement, Catherine Vautrin. L’ancienne présidente LR de Reims Métropole, passée à Renaissance en 2024, quitte le ministère de la Santé pour celui des Armées, où elle remplacera Sébastien Lecornu lui-même.
D’autres figures du macronisme entrent au gouvernement : c’est le cas, par exemple, de Stéphanie Rist. La députée du Loiret, ancienne rapporteure générale de la commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale, a porté deux lois importantes ces dernières années : la loi de 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, et celle de 2023 visant à l’amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé. Elle hérite, en toute logique, du ministère de la Santé, des Familles, de l’Autonomie et des Personnes handicapées. Détail qui n’est pas sans importance, là encore au regard des projets de « suspension » de la réforme des retraites : c’est la même Stéphanie Rist qui, en 2023, a été rapporteure générale du projet de loi qui a permis de reculer l’âge de départ à 64 ans.
Parmi les autres macronistes qui entrent ou rentrent au gouvernement, on notera le retour de Maud Bregeon comme porte-parole, d’Aurore Bergé comme ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de Marie-Pierre Verdenne, auprès du ministre de l’Intérieur, ou encore de Mathieu Lefèvre (chargé de la Transition écologique), Benjamin Haddad (Europe) et David Amiel à la Fonction publique.
Les ministres Horizons du nouveau gouvernement sont Charlotte Parmentier-Lecocq (Autonomie et Personnes âgées), Anne Le Hénanff (Intelligence artificielle) et Naïma Moutchou, qui remplace Manuel Valls aux Outre-mer et va donc hériter du très sensible et très urgent dossier de la Nouvelle-Calédonie, désigné priorité majeure du gouvernement par le Premier ministre, au vu de l’extrême urgence à faire voter une loi reportant les élections provinciales.
Quant au MoDem, il voit entrer (ou rester) trois de ses membres au gouvernement : Jean-Noël Barrot aux Affaires étrangères, Marina Ferrari aux Sports, à la Jeunesse et à la Vie associative, l’ancienne navigatrice Catherine Chabaud, à la Mer et à la Pêche.
Représentants des collectivités
Une nouvelle plutôt positive pour les élus est le maintien de Françoise Gatel (UDI) au gouvernement, avec même une prise de galon : jusque-là ministre déléguée (à la Ruralité), l’ancienne maire de Châteaugiron devient ministre de plein exercice et hérite du ministère de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, tenu précédemment par François Rebsamen et, pendant quelques heures, par Éric Woerth. Si le gouvernement survit, ce sera donc elle qui, d’une part, devra porter le « grand acte de décentralisation » voulu par Sébastien Lecornu et, d’autre part, veiller à une adoption rapide de la proposition de loi sur le statut de l’élu… dont elle est l’auteure.
On notera également l’arrivée surprise au gouvernement de deux présidents d’associations d’élus : Sébastien Martin, président d’Intercommunalités de France, devient ministre délégué chargé de l’Industrie – sans que l’intéressé, qui a tenu la tribune pendant les trois jours du congrès de son association la semaine dernière, n’ait à aucun moment évoqué une telle perspective. Et Michel Fournier, maire de Voivres et président de l’Association des maires ruraux de France, devient ministre chargé de la Ruralité.
Ces noms s’ajoutent à la longue liste des présidents d’associations de maires qui ont, à un moment ou à un autre, cédé à la tentation d’entrer dans un gouvernement depuis l’élection d’Emmanuel Macron, d’Olivier Dussopt (APVF) à Caroline Cayeux (Villes de France) en passant par Gil Averous (Villes de France).
La « société civile »
Enfin, huit ministres sont issus de ce qu’il est convenu d’appeler la « société civile », même si la frontière entre société civile et monde politique est parfois assez floue. Laurent Nuñez, nouveau ministre de l’Intérieur, fait-il partie de l’une de ces catégories ou de l’autre ? S’il est certes préfet de police de Paris et ancien directeur général de la Sécurité intérieure, donc haut fonctionnaire, il a également déjà été deux ans au gouvernement, en 2018, sous Édouard Philippe, et a sa carte à Renaissance depuis 2019.
Même chose pour le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Édouard Geffray, ancien directeur général de l’enseignement scolaire (comme l’était Jean-Michel Blanquer au moment de sa nomination)… mais qui fut également directeur de cabinet de François Bayrou lors de son bref passage au ministère de la Justice en 2017. Ou encore Alice Rufo (ministre déléguée auprès de Catherine Vautrin, aux Armées), certes haute fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères mais surtout conseillère diplomatique du président Macron dès 2017.
Deux des trois représentants les plus purs de la société civile sont deux grands patrons. Celui de la SNCF, d’abord, Jean-Pierre Farandou, qui hérite du portefeuille du Travail et des Solidarités ; et celui du groupe de distribution Système U, Serge Papin, qui devient ministre des PME, du Commerce, de l’Artisanat et d’un nouveau portefeuille, celui du Pouvoir d’achat. Ce sera donc Jean-Pierre Farandou qui devra gérer le dossier de l’éventuelle suspension de la réforme des retraites… si, là encore, il est encore ministre à la fin de la semaine. Enfin, c'est une vraie spécialiste des questions d'écologie et de climat qui a été nommée ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité et des Négociations internationales sur le climat et la nature : Monique Barbut a été longtemps présidente du WWF France, mais aussi secrétaire exécutive de la Convention de l'Onu sur la désertification et envoyée spéciale du chef de l'État dans les récentes négociations sur le climat.
L''avenir de ce gouvernement sera fixé demain, puisque le discours de politique générale du Premier ministre est annoncé pour le mardi 14 octobre.
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