Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du mercredi 14 mai 2025
Télécommunications

Déploiement de la fibre : les acteurs de la filière face au casse-tête des derniers irritants 

Le TRIP de printemps de l'Avicca, qui réunit chaque année élus, industriels et opérateurs, s'est ouvert hier. Largement marqués par la publication récente d'un rapport de la Cour des comptes sur la fibre, les échanges ont principalement porté sur les problématiques économiques et techniques qu'il reste à surmonter pour assurer la pérennité de la fibre dans tous les territoires. 

Par Lucile Bonnin

Nous y sommes : l'échéance du 100 % fibre en 2025 est pour demain et les fragilités du Plan France très haut débit ressurgissent, tout comme les impensés d’un système de déploiement qui, en pratique, est parfois économiquement intenable dans certains territoires. 

« Ne laissons pas l’improvisation être la règle », a lancé le président de l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), Patrick Chaize, lors de son discours d’ouverture du TRIP de printemps. 

Sur le terrain, le déploiement de la fibre rencontre encore des blocages – qu’ils soient d’ordre économiques (fragilité du modèle économique de financements des Réseaux d’initiative publique/RIP, portés par les collectivités), techniques (malfaçons dans les raccordements) ou encore communicationnels (réussir la transition de l’ADSL vers la fibre). 

Des améliorations mais des défis à relever 

Le rendez-vous d’hier a été l’occasion pour la fédération InfraNum – qui représente l’ensemble de la filière avec les opérateurs, constructeurs intégrateurs, équipementiers, etc. – de présenter les résultats de son observatoire de la transition numérique des territoires. 

Plus de 91 % des locaux sont aujourd’hui raccordables à la fibre et encore 4 millions de prises sont encore à raccorder dont 2 millions de prises à construire sur Réseaux d’initiative publique. « Le cap est loin, estime Hervé Rasclard, délégué général d’InfraNum, mais on va être au rendez-vous en 2026. »  Bonne nouvelle : il apparaît clairement dans les résultats de cet observatoire que les zones rurales rattrapent les zones urbaines en matière de connectivité à la fibre et que les Français adoptent de plus en plus cette technologie, les plus jeunes comme les plus âgés. 

Cependant, l’observatoire met en lumière trois défis principaux à prendre au plus vite en considération pour finaliser et pérenniser le plan France très haut débit. D’abord, « un changement de règles est attendu dès cette année »  pour répondre à la menace sur l’équilibre financier à long terme des réseaux d’initiative publique. « 80 % des collectivités interrogées affirment que le compte n’y est pas », explique Hervé Rasclard. 

Cette problématique a largement été mise en avant il y a un mois dans un rapport de la Cour des comptes (lire Maire info du 7 avril). Concrètement, les modèles économiques initiaux établis en 2015 par l’Arcep ne sont plus en adéquation « avec le niveau de recettes attendu, en raison d’un taux de pénétration de la fibre parfois plus lent que prévu ou d’une modification du niveau de cofinancement des réseaux par les opérateurs commerciaux. »   De plus, des opérateurs d’infrastructures ont pu conclure des contrats avec des collectivités locales en minimisant les coûts, afin de remporter le marché public. Résultats : « Certaines charges n’ont donc pas été correctement anticipées, comme le coût des raccordements complexes, c’est-à-dire les plus coûteux ou difficiles, ou encore les surcoûts d’exploitation liés aux problèmes de qualité des réseaux et de résilience. » 

Selon Patrick Chaize, certaines collectivités sont depuis avril dernier en cessation de paiement et « survivent par une dette de confort de l’ANCT ». Une table ronde dédiée aura lieu demain sur ce sujet qui apparaît comme étant le principal irritant actuellement. Maire info suivra les débats.

Autre défi : il reste 440 000 prises considérées comme étant des raccordements complexes à réaliser dont plus de la moitié concerne ces RIP. Cela représente un chantier global de 1,3 milliard d’euros et qui « nécessite une réponse nationale ». 

Enfin, ces nouveaux réseaux nécessitent des investissements pour assurer leur résilience, c’est-à-dire s’assurer de leur pérennité pour les prochaines décennies, en particulier face aux conséquences directes du dérèglement climatique. Plus de deux tiers des collectivités estiment qu’il faut prévoir des budgets supplémentaires d’environ 1 milliard d’euros pour les RIP. 

« L’Arcep ne dispose pas de bouton magique » 

Sur la question du modèle économique des RIP, l’Arcep, le régulateur de ce chantier titanesque, a lancé des travaux pour « établir les écarts de coûts constatés entre les modèles initiaux et la réalité »  avant d’envisager « d’éventuelles révisions des modèles ou une mobilisation supplémentaire de fonds publics ».

Cependant, Laure de la Raudière, présidente de l’Arcep, a tenu à rappeler que le régulateur seul ne pourrait pas changer la donne. « On ne dispose pas d’un bouton magique sur lequel appuyer pour clarifier toutes ces situations variables d’un territoire à l’autre, a-t-elle expliqué. Certaines situations sont le fruit d’enchevêtrements contractuels entre les collectivités, les opérateurs, les sociétés, qui répondent à des logiques qui leur sont propres. »  La bonne volonté de chacun entre donc largement dans l’équation. « Il faut que chacun se fasse un petit peu mal », résume de son côté Ariel Turpin, délégué général de l’Avicca. 

Les travaux de l’Arcep devraient aboutir d’ici la fin de l’année et dans deux mois, le régulateur publiera une consultation publique sur cette question. 

D’un autre côté, des malfaçons continuent d’être constatées dans les territoires. « Dans mon département, l’Ain, nous sommes passés de 80/90 % de malfaçons en 2022 à "seulement" 70 % fin 2024 en zone RIP », a regretté Patrick Chaize, qui plaide depuis des années pour que l’installation de la fibre ne fasse pas l’objet de sous-traitances en cascade, autorisées par ce qu’on appelle le mode STOC. Sur ce point, la présidente de l’Arcep a assuré que l’autorité ne disposait pas de levier pour imposer aux opérateurs un déploiement de la fibre sans sous-traitance. 

Une nouvelle fois, le sénateur de l’Ain a regretté que sa proposition de loi déposée en juillet 2022 au Sénat visant à notamment à renforcer les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’Arcep ait été annihilée par le lobby des opérateurs. 

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