L'Europe se prépare à voter la fin du permis « à vie »
Par Franck Lemarc
Le permis de conduire à vie va-t-il disparaître à l’échelle de l’Union européenne ? Oui, incontestablement, si la directive actuellement en cours d’examen par le Parlement européen est adoptée. Son objectif n’est pas, comme on le lit ici ou là, de viser explicitement les personnes âgées, mais plus généralement de vérifier si certains problèmes de santé peuvent rendre la conduite dangereuse – et, dans ce cas, de ne pas permettre le renouvellement du permis de conduire pour les personnes concernées.
Objectif zéro mort sur la route
La proposition de directive dont il est question ici ne concerne pas uniquement la question du renouvellement du permis : bien plus ambitieuse, elle vise aussi à harmoniser de nombreuses questions liées, en général, au permis : dématérialisation, âge minimum, catégories, etc. Ce texte – qui serait la troisième directive sur le sujet après celles de 2006 et 2018 – entre dans le cadre de l’objectif que s’est fixé l’Union européenne : supprimer totalement les décès sur les routes en 2050.
Les efforts menés par les États nationaux en la matière ont réellement porté leurs fruits : le nombre de morts sur les routes, à l’échelle de l’Union, est passé de plus 51 000 en 2001 à moins de 20 000 vingt ans plus tard. C’est toutefois moins que ce qui était visé, puisque l’Union souhaitait réduire le nombre de morts de 75 % sur cette période, soit 12 700 morts en 2021.
C’est donc pour donner un nouvel élan à la sécurité routière que le Parlement européen examine un projet de directive d’une trentaine d’articles qui, s’il était adopté, devrait être transposé dans l’arsenal législatif des États membres dans les deux ans qui suivent, et appliqué un an plus tard. Si le Parlement européen adopte ces dispositions, elles devraient donc s’appliquer en France dès 2027.
Âge minimal harmonisé et permis tracteur
La première partie du texte est consacrée à la dématérialisation, et prévoit qu’à partir de 2028, les États membres délivrent systématiquement à la fois des « permis mobiles » (dématérialisés) et des permis physiques. Les permis dématérialisés seraient reconnus dans la totalité des États membres et les applications permettant de vérifier ceux-ci seraient accessibles et harmonisées dans tous les États de l’Union.
Le projet de directive vise également à harmoniser, à l’échelle de toute l’Union, les catégories de permis (B pour les automobiles, A pour les motos, D pour les transports en commun, etc.). Il prévoit de créer de nouvelles catégories de permis notamment pour les engins agricoles.
Il est également prévu de fixer un âge minimum unique pour l’obtention du permis de conduire à l’échelle de toute l’UE, contrairement à la situation actuelle où les États membres ont la faculté d’abaisser cet âge. Selon la rapporteure du texte, l’eurodéputée française Karima Delli, « les statistiques européennes et nationales sont claires concernant l’exposition prépondérante des jeunes aux accidents de la route. » Elle souhaite donc que « les flexibilités (…) permettant aux États membres d’abaisser l’âge minimal pour certaines catégories de permis de conduire soient supprimées ». Il serait en revanche laissé aux États membres la possibilité de relever cet âge minimal par rapport aux règles communes. Pour le permis B, cet âge minimum (18 ans) pourrait toutefois être abaissé à 17 ans par les États membres.
Permis renouvelable sur avis médical
C’est l’article 10 du projet de directive qui aborde la fameuse question de la durée de validité du permis. Le texte fixe, pour les permis les plus courants (B et A) une durée de validité de 15 ans. Notons que le texte initial prévoyait même de réduire cette durée à 5 ans au-delà de 70 ans, « afin d’augmenter la fréquence des contrôles médicaux », mesure qui a été supprimée par amendement, afin de ne pas être discriminatoire vis-à-vis des personnes âgées.
Ces différents points peuvent évoluer au cours du débat. En effet, la rapporteure du texte, Karima Delli, se montre favorable à un durcissement : elle estime que la validité des permis devrait être fixée à « 10 ans maximum », et qu’à partir « de 60 ans, la validité administrative doit également être abaissée pour s’assurer que les conducteurs soient pleinement aptes à conduire ».
Sur quels critères le permis serait alors renouvelé ? À l’origine, la proposition de la Commission européenne était de soumettre les conducteurs à une « auto-évaluation ». Insuffisant, a jugé la rapporteure, qui a réussi à introduire dans le texte la nécessité d’une « visite médicale obligatoire pour toute personne qui passe ou renouvelle un permis de conduire ». La visite médicale serait donc imposée y compris lors du premier passage du permis de conduire.
La députée insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de stigmatiser les personnes âgées, mais de mettre l’accent sur tous les problèmes de santé qui peuvent constituer un danger pour le conducteur et pour les autres. Des troubles comme l’épilepsie, le diabète, les apnées du sommeil peuvent, par exemple, mettre le conducteur en danger (malaises, endormissement…).
L’examen médical envisagé dans le texte prévoit également le contrôle de la vue et de l’ouïe, ce qui pourrait conduire à écarter du droit à conduire les personnes les plus âgées souffrant de troubles auditifs ou visuels.
Ce texte va-t-il être adopté, et avec quel contenu ? On le saura les 27 et 28 février, date à laquelle il sera examiné en séance.
En attendant, il divise : si les associations de sécurité routière y sont plutôt favorables, celles qui entendent défendre les automobilistes, comme 40 millions d’automobilistes ou la Ligue de défense des conducteurs y sont, naturellement, très opposées, et dénoncent un risque de « privation arbitraire des citoyens de leur permis de conduire ». Une pétition en ligne contre ce projet de directive a déjà recueilli plus de 415 000 signatures.
Au-delà des prises de position partisanes, il est évident que ce texte, s’il était adopté et appliqué – en 2027 donc – emporterait de sérieuses difficultés pour la mobilité des personnes âgées en particulier dans les territoires ruraux, où la voiture individuelle est le seul moyen de déplacement. Il reviendrait alors aux collectivités – et seront-elles aidées pour cela ? – d’inventer des moyens alternatifs pour permettre à des personnes âgées privées de permis de ne pas se voir assignées à résidence.
Suivez Maire info sur Twitter : @Maireinfo2