Recours aux cabinets de conseil : les dépenses des grandes collectivités finalement encadrées par les députés
Par A.W.
Le recours aux cabinets de conseil sera finalement encadré pour les collectivités locales. En tout cas, les plus grandes d’entre elles.
Le gouvernement est ainsi parvenu, jeudi dernier, à convaincre les députés de les intégrer dans le champ de la proposition de loi visant à encadrer l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. Et ce, malgré les réticences des rapporteurs du texte, qui étaient parvenus à les laisser en dehors de ce texte, lors des discussions en commission.
Adopté, en première lecture à l’Assemblée, celui-ci a donc été uniquement rejeté par le groupe Horizons allié du camp présidentiel, tandis que LFI et une partie des LR ont préféré s’abstenir.
42 communes et 145 EPCI concernés
« J’éprouve un sentiment mitigé. D’un côté, je suis soulagé que le texte ait enfin été (...) au terme de sa discussion dans l’hémicycle. De l’autre, je ressens une certaine frustration face à des choix selon moi inopportuns, notamment de la part du gouvernement », a fait part le député communiste du Cher, Nicolas Sansu. Également co-rapporteur de la proposition de loi, il s’était opposé, en commission, à l’ajout des collectivités à ce texte, selon les mêmes modalités que l’État, avant de céder, dans l’hémicycle, par souci de compromis.
Le gouvernement a ainsi convaincu les députés de voter un amendement qui soumet les régions, les départements ainsi que les communes et les intercommunalités de plus de 100 000 habitants à un encadrement de leurs dépenses lorsqu’ils ont recours à des cabinets de conseil. « C’est 42 communes et 125 intercommunalités, plus les régions et les départements, c’est-à-dire peu de choses », a voulu relativiser Nicolas Sansu.
« Si nous n'installons pas de garde-fous, nous serons appelés dans quelques années à légiférer sur la question des collectivités, qui seront très sollicitées par les cabinets de conseil », a défendu, de son côté, Marie Lebec, ministre déléguée chargée des Relations avec le Parlement, en rappelant que « les collectivités au-dessus de ce seuil sont déjà soumises à des obligations de transparence et de prévention des conflits d’intérêts » et que « l’essentiel des obligations reposeront sur les consultants ».
Une mesure décriée par la députée Horizons, Marie-Agnès Poussier-Winsback, pour qui cette disposition constitue « une ligne rouge » puisqu’il n’y a « pas eu d’étude préalable sur ce sujet ».
« On ne peut pas, d’un côté, dire qu’il faut moins enquiquiner les uns et les autres et, de l’autre, rajouter du contrôle sur les collectivités locales. Elles sont déjà soumises à un contrôle énorme : contrôle démocratique par les oppositions, contrôle administratif par les chambres régionales des comptes et contrôle de légalité », a déploré l’élue de Seine-Maritime.
Jugeant la barre des 100 000 habitants « bancale », le député LR de la Manche Philippe Gosselin a, pour sa part, estimé que ce seuil démographique n’était « pas fonctionnel ».
Des contraintes « très limitées »
En commission, l'un des arguments qui avait d’ailleurs décidé les rapporteurs à ne pas intégrer en urgence les collectivités dans ce texte, c’est qu’« aucune dérive réelle n'a été constatée en matière de recours aux prestations de conseil ». En outre, « les associations d'élus ont toutes insisté sur les difficultés que représenterait pour elles une transposition trop mécanique du texte qui semble inadapté à leurs enjeux », avait ainsi souligné l’autre corapporteur du texte, le député des Yvelines Bruno Millienne (MoDem).
Si ce dernier était « plutôt favorable à un seuil de la commande publique », il a estimé que le texte permet aussi de « protéger les élus locaux de la suspicion ».
« Cette règle vise non pas à interdire mais à renforcer la sécurité juridique. On doit protéger les élus locaux, la proposition de loi (visant) à leur éviter les ennuis qui pourraient découler d’une prise illégale d’intérêts », a souligné la députée de Saône-et-Loire Cécile Untermaier (PS), favorable à l’amendement gouvernemental.
D’autant que cet amendement « n’ajoute finalement pas grand-chose à ce qu’imposent les comptes administratifs et les rapports d’orientation budgétaire », a assuré Nicolas Sansu.
Le corapporteur a ainsi souligné que les dispositions concernant les collectivités sont « très limitées » : « On interdit aux consultants l’utilisation d’une adresse électronique comportant le nom de domaine de l’administration bénéficiaire et la réalisation de prestations pro bono, on leur impose l’emploi de la langue française, (et on rend) de surcroît obligatoire l’évaluation de leurs prestations. En revanche, l’article 3, qui prévoit la publication d’une liste de toutes les prestations de conseil réalisées, ne s’appliquerait pas à ces communes, pas plus que l’article 10, qui concerne les règles de déontologie et les déclarations d’intérêts, censées prévenir tout conflit d’intérêts, s’imposant aux consultants. »
Estimant qu’il aurait « d’abord fallu évaluer l’impact de cette extension aux collectivités avant de l’instaurer, même partiellement », les deux co-rapporteurs ont, par ailleurs, fait adopter un amendement imposant la réalisation d’une telle évaluation portant sur l’ensemble des collectivités territoriales.
Le gouvernement devra ainsi remettre au Parlement, « avant le 31 décembre 2024 et après consultation des associations nationales d’élus locaux, un rapport étudiant les conséquences d’une éventuelle extension des autres dispositions de la présente loi aux collectivités territoriales et à leurs groupements sur le fonctionnement de ces collectivités et groupements ainsi que sur le marché du conseil au secteur public local ».
Un texte « sabordé »
L’examen de ce texte ira-t-il, toutefois, à son terme ? Plusieurs députés ont, en effet, vu dans l'amendement du gouvernement une potentielle tentative de torpiller le texte. « Il ne faudrait pas qu’une diversion (...) fasse tomber l’édifice de la proposition de loi en y intégrant de force les collectivités territoriales, au risque d’enliser le processus », a ainsi mis en garde Nicolas Sansu, les sénateurs ayant « fait preuve d’une certaine hypocrisie en n’incluant pas dans le champ de la proposition de loi leurs premiers électeurs », a ainsi tâclé Sacha Houlié (Re), le président de la commission des lois .
De leur côté, le sénateur LR Arnaud Bazin et l’ancienne sénatrice communiste Éliane Assassi, respectivement président et rapporteure de la commission d’enquête sénatoriale sur le sujet, ont fermement critiqué, sur X, les modifications opérées par les députés sur ce texte issu du Sénat.
À leurs yeux, le texte a été « détricoté », « dénaturé » et « sabordé en séance ». Et cela « à l'initiative du gouvernement ». Pointant de « multiples reculs », ceux-ci ont dénoncé un « acharnement du gouvernement ». Résultat, le texte issu de l’Assemblée ne serait « pas à la hauteur des constats alarmants » de la commission d’enquête du Sénat et de la Cour des comptes.
Adopté initialement en octobre 2022 par les sénateurs, ce texte a vu le jour à la suite des révélations sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, et notamment les « manquements » et le « manque de transparence » dans les administrations centrales. Un « phénomène tentaculaire », selon les termes des auteurs du rapport.
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