Les notes de frais d'un maire doivent être communiquées à tout citoyen qui en fait la demande, juge le Conseil d'État
Par Franck Lemarc
C’est une affaire originale sur laquelle a eu à statuer le Conseil d’État, en janvier. Une commune peut-elle refuser à un citoyen de lui communiquer les notes de frais (restauration, déplacements, représentation…) du maire ou des membres de son cabinet ? Réponse du Conseil d’État : non.
Rappel des faits
L’affaire a débuté en janvier 2018, quand un journaliste a demandé à la Ville de Paris de lui communiquer « des notes de frais et des reçus des déplacements, des notes de frais de restauration ainsi que des reçus des autres frais de représentations engagés par la maire de Paris ainsi que par les membres de son cabinet au titre de l'année 2017 ». On comprend, dans la décision du Conseil d’État, qu’il s’agissait en l’occurrence d’un journaliste travaillant à un article sur « la gestion des dépenses budgétaires de la ville ». La mairie ayant rejeté sa demande, le journaliste se tourne vers la Cada (Commission d’accès aux documents administratifs), qui émet « un avis favorable » à la communication d’une partie des documents demandés – ceux concernant la maire, et non ceux concernant son cabinet. Mais la ville maintient son refus. Le journaliste se tourne alors vers le tribunal administratif, qui, le 11 mars 2021, « enjoint la Ville de Paris à communiquer ces documents » au demandeur sous deux mois.
La mairie de Paris ne cède pas, et se pourvoit en cassation devant le Conseil d’État pour faire casser le jugement du tribunal administratif.
« Erreur de droit »
La Ville de Paris a à la fois gagné et perdu. En effet, le Conseil d’État a bien cassé la décision du tribunal administratif (TA)… mais maintenu l’obligation de communiquer les documents demandés. En effet, le Conseil d’État a jugé que le TA avait pris sa décision pour de mauvaises raisons, mais il a lui-même pris la même décision, pour d’autres motifs. Explications.
La décision du TA s’appuyait en effet sur le Code général des collectivités territoriales, en particulier sur son article L2121-26, qui dispose que « toute personne physique ou morale a le droit de demander communication (…) des budgets et des comptes de la commune ». « Erreur de droit », a jugé le Conseil d’État : en effet, ce droit de communication prévue par l’article L2121-26 du CGCT « ne s’étend pas aux pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité, (…) qui constituent des documents distincts des comptes visés par le droit de communication spéciale. »
Le Conseil d’État a donc annulé la décision du tribunal administratif. Mais il ne s’est pas arrêté là et a jugé l’affaire « sur le fond » … concluant que la communication des documents demandés ne peut pas être refusée.
Documents administratifs
En effet, ces documents constituent des « documents administratifs ». Ils entrent donc dans le champ prévu par l’article L300-2 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) : « Sont considérés comme documents administratifs (…), quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'État (et) les collectivités territoriales. » Or, précise l’article L311-1 du même Code, ces administrations sont « tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande ».
Le CRPA prévoit un certain nombre d’exceptions à cette règle : par exemple, si les documents « portent atteinte à la vie privée, au secret médical ou au secret des affaires », ils ne peuvent être communiqués qu’à la personne intéressée et à personne d’autre. Le Code prévoit aussi que certains passages de ces documents puissent être « occultés » avant communication, pour les mêmes raisons.
Conclusion du Conseil d’État : « Des notes de frais et reçus de déplacements ainsi que des notes de frais de restauration et reçus de frais de représentation d'élus locaux ou d'agents publics constituent des documents administratifs, communicables à toute personne qui en fait la demande. » Ces documents ont bien « trait à l’activité du maire et des membres de son cabinet dans le cadre de leurs fonctions », et ne peuvent donc aucunement être regardés comme « mettant en cause leur vie privée ».
Le Conseil d’État n’a pas non plus retenu l’argument de la Ville de Paris, selon lequel certaines notes de frais « feraient apparaître l’identité et les fonctions des personnes invitées » et que cela « porterait atteinte à la vie privée » de ces personnes. Le Conseil d’État estime que, cas par cas, la commune peut décider, si la communication des noms des invités portait par exemple atteinte au secret des affaires, d’occulter ces noms. Mais que cela n’empêche en rien la communication de ces documents.
Conclusion : le Conseil d’État annule certes la décision du tribunal administratif, mais il annule également la décision de non-communication des documents par la Ville de Paris, qui est non seulement illégale mais constitue également une entrave à la liberté de la presse. Il enjoint la Ville de Paris à communiquer les documents sous un mois et condamne la ville aux dépens.
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