Maire-info
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Édition du jeudi 15 juin 2023
Transition écologique

Zones à faibles émissions : les sénateurs proposent de retarder les échéances

Comment « sortir de l'impasse » sur les zones à faibles émissions (ZFE), et surtout comment éviter que ce dispositif se transforme en bombe sociale ? Une mission sénatoriale s'est donnée pour tâche de répondre à ces questions, et elle a rendu hier ses conclusions, assorties de plusieurs préconisations. 

Par Franck Lemarc

Si le gouvernement ne trouve pas des solutions pour « réconcilier qualité de l’air et acceptabilité sociale, les tensions provoquées par la taxe carbone ou les 80 km/h n’auront été qu’un hors-d’œuvre ! ». Cet avertissement à l’exécutif a été lancé, hier, par le sénateur LR des Alpes-Maritimes Philippe Tabarot. Il fait suite à de nombreuses alertes lancées tant par des parlementaires, qui estiment que les ZFE sont « une usine à Gilets jaunes »  ou « une future bombe sociale », que par les associations d’élus, dont l’AMF qui redoute que les ZFE se transforment en « zone à forte exclusion ».

La commission de l’aménagement et du développement durable du Sénat a donc mandaté une mission, pilotée par Philippe Tabarot et Jean-François Longeot (UC, Doubs), pour tenter de trouver des solutions. 

Consultation sans appel

Cette mission fait notamment suite à la consultation en ligne organisée au printemps par le Sénat sur ce sujet, consultation qui a donné lieu à une participation « inédite » : plus de 51 000 personnes ont répondu à cette consultation. Avec un résultat sans appel : 86 % des répondants se disent opposés au déploiement des ZFE.

Évidemment, les résultats de cette consultation sont à nuancer : il ne s’agit pas d’un sondage. Les personnes qui se sont exprimées l’ont fait de façon volontaire. Mais ces résultats font néanmoins ressortir « une forte inquiétude quant aux conséquences sociales du dispositif ». De nombreux commentaires pointent ce risque social : les ZFE « créent une véritable rupture d’égalité d’accès au centre-ville selon que vous soyez aisés ou non », « c’est de l’exclusion sociale », « c’est une discrimination », etc. 

Les sénateurs ont donc travaillé à proposer des solutions pour « éviter de laisser sur le bord de la route de nombreux usagers, à commencer par les plus fragiles et les plus éloignés des cœurs de villes ». 

État des lieux

Le rapport du Sénat dresse un état des lieux de la réglementation, rappelant que les ZFE sont le dernier avatar d’une série de dispositifs expérimentés au fil des années, allant des Zapa (zones d’actions prioritaires pour l’air) aux ZCR (zones à circulation restreinte). C’est la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019 qui a instauré les ZFE, rendues obligatoires dans les territoires où la qualité de l’air est en-dessous des normes réglementaires. Le dispositif consiste à interdire l’accès au centre-ville à certains véhicules en fonction de leur caractère polluant (défini par la vignette Crit’air). Onze ZFE ont vu le jour depuis (Grand Paris, Rouen, Reims, Strasbourg, Lyon, Grenoble, Saint-Étienne, Nice, Aix-Marseille, Montpellier et Toulouse). Une quarantaine d’autres devraient voir le jour dans les mois à venir : la loi Climat et résilience a en effet rendu obligatoire la création d’une ZFE au plus tard le 31 décembre 2024  dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants. 

Les agglomérations concernées sont censées avoir interdit les véhicules Crit’air 5 le 1er janvier dernier, puis interdire les Crit’air 4 début 2024 et Crit’air 3 début 2025. 

Une certaine latitude a été laissée aux collectivités sur les modalités d’application du dispositif, ce qui explique que les mesures et les calendriers sont différents d’une métropole à l’autre : certaines ont choisi d’étendre l’interdiction aux deux-roues, d’autres d’instaurer une interdiction certains jours seulement, à certaines heures, pendant que d’autres ont prononcé une interdiction permanente… 

Cette diversité des modalités retenues complique encore un peu plus les choses pour les usagers, notamment ceux qui sont amenés à se déplacer d’une ZFE à l’autre. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, par exemple, six ZFE sont appelées à voir le jour entre Dunkerque et Lens, ce qui pourrait s’avérer un véritable casse-tête si les règles diffèrent d’une zone à l’autre. 

Fractures sociales et territoriales

C’est pourquoi l’une des premières recommandations des sénateurs est de mettre en place une concertation régionale de façon à harmoniser les règles à cette échelle. 

Les sénateurs dénoncent également le manque de soutien de l’État et le fait que les collectivités locales soient laissées « seules au pied du mur », alors que les ZFE sont « un outil de santé publique »  et relèvent donc de la responsabilité de l’État. Les moyens financiers censés aider les collectivités (Fonds vert) sont « nettement sous-dimensionnés », estime la mission. Mais le problème essentiel reste, aux yeux des sénateurs, le fait que 13 millions de véhicules (soit un tiers du parc national) devraient être concernés par cette interdiction, « ce qui va inévitablement creuser des fractures sociales et territoriales », la contrainte allant « inévitablement peser sur les ménages les plus modestes ». Les sénateurs prennent un exemple frappant : à Marseille, dans le 3e arrondissement (« l’arrondissement le plus pauvre de France » ), « 52 % des véhicules sont classés Crit’air 5, 4 ou 3 et concernés par de futures interdictions de circulation ». 

Avec cette conclusion : « Alors que la hausse des prix de l’immobilier a bien souvent conduit ces ménages à résider hors des agglomérations, dans des zones qui ne sont pas ou peu dotées de transports collectifs, leur en interdire l’accès lorsqu’ils souhaitent s’y rendre pour travailler ou pour leurs loisirs pourrait ainsi s’apparenter à une ‘’triple peine’’ ».

Repousser les échéances

Les sénateurs insistent donc à la fois sur la nécessité d’aider les ménages à s’équiper de véhicules moins polluants et sur un « assouplissement »  des mesures de restriction. 

Il est proposé de renforcer les aides à l’acquisition, par exemple en pérennisant le PTZ (prêt à taux zéro) pour l’achat de véhicules propres, et en « renforçant la lisibilité du système d’aides nationales et locales à l’acquisition ». En même temps, le Sénat demande de « desserrer les échéances d’entrée en vigueur des restrictions de circulation » : le calendrier est « impossible à tenir », et les échéances sont « trop rapprochées pour développer des solutions alternatives suffisantes à la voiture et pour mettre sur le marché des véhicules propres répondant aux besoins de tous les acteurs ». En particulier, les sénateurs demandent que soit repoussée à 2030 l’entrée en vigueur des restrictions pour les véhicules Crit’air 3, ainsi que l’obligation de créer une ZFE dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants. 

Interrogé sur ces sujets au Sénat, hier, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a indiqué attendre la remise, le 10 juillet, d’un rapport élaboré par France urbaine « sur les moyens d’améliorer le dispositif ». Des décisions pourraient être prises dans la foulée. 

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