Artificialisation des sols : multipliant les exemptions, les sénateurs assouplissent largement le Zan
Par A.W.
Les sénateurs ont adopté, hier, en première lecture, la proposition de loi « Trace » visant à assouplir très largement la mise en place du « Zéro artificialisation nette des sols » (Zan) qui suscite beaucoup d’inquiétudes, notamment chez les élus locaux.
Le texte des sénateurs Jean-Baptiste Blanc (LR, Vaucluse) et Guislain Cambier (centriste, Nord) a été approuvé facilement avec 260 voix pour et 17 contre. Des voix contre quasi exclusivement venues du groupe écologistes, alors que les socialistes ont préféré s’abstenir.
En 2034, un objectif « crédible » fixé par chaque région
Mesure phare du texte, la suppression de l’objectif intermédiaire a été votée sans problème par la chambre haute, malgré l’avis défavorable du gouvernement.
Prévoyant de réduire de moitié l'artificialisation des sols d’ici 2031, ce point d’étape défendu par l’exécutif doit permettre de faire passer de 250 000 hectares à 125 000 hectares l’artificialisation des terres en l’espace d’une décennie, avant que d'aboutir à une artificialisation zéro en 2050.
Mais face aux difficultés et aux contraintes jugées trop importantes qui pèsent sur les élus locaux, les sénateurs de la majorité ont donc choisi de remplacer le Zan par un dispositif plus flexible : la « Trace ». Une « trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux » qui permettrait un rythme de réduction de l’artificialisation davantage « compatible » avec les contraintes locales.
S’ils souhaitaient initialement abroger ce jalon fixé en 2031, ils ont finalement choisi de le reporter par amendement en 2034, en refusant cependant d’y adjoindre un quelconque objectif de baisse de l'artificialisation.
Au lieu d’une réduction de 50 % pour tous d’ici à 2031, les sénateurs ont ainsi prévu de laisser à chaque région le soin de fixer son rythme de réduction de l'artificialisation. Les collectivités fixeraient « la trajectoire et la courbe de la pente », « sous réserve que celles-ci soient réalistes et crédibles ». Car si le but est bien de laisser « une marge de discussion et d’appréciation aux élus », il ne sera pas possible de « poser n’importe quel chiffre, il y a quand même des gages », assurait, la semaine dernière, la rapporteure centriste Amel Gacquerre, à l’origine de l’amendement.
Concrètement, « les collectivités seront tenues de respecter l’objectif final [prévu en 2050], au rythme qui leur paraît le plus vraisemblable pour y parvenir, en tenant compte de leurs spécificités », expliquait ainsi la commission.
Opposé à cet assouplissement depuis le début, le gouvernement a tenté de simplement reporter ce point d’étape en 2034. En vain. La suppression de l’objectif intermédiaire « n’incite pas les collectivités à faire évoluer rapidement leurs documents d’urbanisme, et peut conduire à une concurrence néfaste entre les territoires », a-t-il expliqué, jugeant la réintroduction d'un objectif intermédiaire « indispensable ».
Nombreuses dérogations
Alors que les sénateurs avaient décidé d’exclure, jusqu’en 2036, de tout décompte de la consommation d’espaces naturels agricoles et forestiers (Enaf) – la mesure de l'artificialisation pérennisée au-delà de 2031 – les projets industriels, les installations d’agrivoltaïsme ainsi que la production de logements sociaux pour les communes carencées, ils ont rajouté, en séance, toute une série d’exemptions.
Ils ont ainsi exempté pour 15 ans de ce décompte les surfaces de raccordements électriques des implantations industrielles, les infrastructures liées à la production d'hydrogène vert, certains postes électriques (supérieurs à 63 kV) ou encore les installations d'eau et d'assainissement.
La réalisation de bâtiments scolaires du second degré et de l’enseignement technique serait, pour sa part, incluse dans « la liste des projets d’envergure régionale ». Il est également prévu que les projets réalisés au sein de ZAC décidées avant le 22 août 2021 (tout comme les projets ayant fait l’objet, avant la publication de la loi, d’une autorisation d’urbanisme) « ne soient pas imputées à la période 2021-2031, durant laquelle les projets sortiront effectivement de terre, mais à la période 2011-2021, durant laquelle ils ont été décidés ».
D’autres exemptions concernent les aires d'accueil de gens du voyage et les plateformes de recyclage des déchets. Sans compter la bonification de l'enveloppe foncière pour les friches et les requalifications de bâtiments agricoles amiantés permettant d’accorder « un droit à construire supplémentaire aux collectivités, avec un prorata » de 0,5 hectare à bâtir pour chaque hectare requalifié.
Des dérogations auxquelles s’est presque systématiquement opposé le gouvernement, celui-ci n’ayant pas réussi à imposer son idée visant à créer une réserve nationale de 10 000 hectares dans le cadre de la réindustrialisation. En plus des projets d’envergure nationale et européenne d’intérêt majeur (Pene).
La commission s’y était, en effet, montrée défavorable car « il ne s’agit pas d’une proposition d’exemption d’une enveloppe de 10 000 hectares, mais plutôt de mutualisation ». « Au même titre que les Pene, le poids serait ainsi porté par toutes les régions [et] l’effort qui leur serait demandé passerait à 59 % », avait expliqué juste avant la séance Amel Gacquerre.
Parmi les autres assouplissements votés par les sénateurs, on peut rappeler qu’il est prévu le report des délais fixés de mise à jour des documents d'urbanisme (le gouvernement s’y oppose, redoutant notamment une certaine « insécurité juridique pour de nombreuses collectivités » ), le renforcement du rôle de la conférence régionale ou encore la possibilité pour le maire de mutualiser la surface minimale dont sa commune dispose au niveau des Scot et de la région, et pas seulement à l’échelle des EPCI.
L’Assemblée « ne laissera pas faire ça »
À gauche, le groupe écologiste du Sénat a accusé la majorité sénatoriale de la droite et du centre de vouloir de « signer un blanc-seing et un permis de bétonniser » qui « va pénaliser les élus locaux sérieux qui font des efforts pour tenir les objectifs ». « Une loi à contre-temps, une prime pour les mauvais élèves, contre la souveraineté alimentaire, faisant de la lutte contre les inondations un objectif secondaire », a dénoncé le sénateur écologiste de la Loire-Atlantique Ronan Dantec.
Sur la même ligne, la députée Renaissance du Finistère Sandrine Le Feur – qui mène à l'Assemblée une mission d’information sur le sujet, dont le rapport devrait être publié début avril – promet de ne pas en rester là. Celle qui est aussi « agricultrice bio » a ainsi déploré sur X « un détricotage inadmissible du Zan ». « On ne laissera pas faire ça à l'Assemblée », a-t-elle écrit, alors que les députés devraient s'emparer du texte d’ici l’été.
« Après des années de travail, on demande aux élus locaux de revoir entièrement leurs copies » via une « multiplication des dérogations, [une] artificialisation incontrôlée… ». Or, « les élus locaux ne nous demandent pas de supprimer le Zan, ils nous demandent de les accompagner financièrement et d’avoir un appui technique […]. Et c’est sur quoi nous travaillons à l’Assemblée », a-t-elle justifié.
Le gouvernement se retrouve donc dans une position d’équilibriste entre les différents pans de sa fragile « majorité » parlementaire qu’il doit ménager. Face à l’équation délicate, le ministre de l’Aménagement du territoire, François Rebsamen, a donc salué, dans un communiqué, « les assouplissements utiles » du texte afin que « le Zan ne soit plus perçu comme une contrainte mais comme un levier de développement ». Il a toutefois fait part de sa « confiance dans la navette parlementaire pour bâtir un dispositif qui concilie le nécessaire développement des territoires et le respect d’une trajectoire de sobriété foncière ».
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