Le Sénat adopte à son tour le texte sur le tiers-financement des travaux de rénovation énergétique
Par Franck Lemarc
La disproportion des chiffres saute aux yeux : d’un côté, les aides de l’État pouvant être mobilisées par les collectivités pour rénover les bâtiments (Fonds vert, Dsil, Fonds chaleur…) s’élèvent, au total, à 4 milliards d’euros. De l’autre, la facture totale de la rénovation énergétique des bâtiments publics (300 millions de mètres carrés pour les seules collectivités) représenterait, selon le Sénat, au moins 400 milliards d’euros. Soit cent fois plus.
Pour ne pas voir les projets se fracasser contre ce « mur d’investissements », les députés Renaissance ont déposé, fin novembre 2022, une proposition de loi permettant d’ouvrir aux collectivités territoriales le « tiers-financement ».
Dérogation au Code de la commande publique
Il s’agit tout simplement d’ouvrir la possibilité d’un paiement décalé : les collectivités pourraient voir les travaux financés par un tiers, et le rembourser, ultérieurement, grâce aux économies d’énergies réalisés du fait de la réalisation des travaux.
Une telle opération est impossible aujourd’hui, pour une raison simple : le Code de la commande publique interdit tout paiement différé dans les marchés passés par l’État, les collectivités ou leurs groupements. La proposition de loi fait sauter – à titre expérimental – ce verrou, en autorisant ces acteurs à déroger à cette interdiction « pour les contrats de performance énergétique conclus sous la forme d’un marché global de performance ».
Les contrats de performance énergétique, pour mémoire, sont des contrats passés entre un maître d’ouvrage et un opérateur spécialisé dans les services énergétiques, avec fixation préalable d’un objectif chiffré (par exemple une diminution de 25 % de la consommation de chauffage au bout de deux ans). Ce contrat permet une dérogation importante : l’acheteur public n’est pas tenu d’allotir son marché. Dans le cadre du dispositif de tiers-financement, le tiers financeur se charge du montage financier complet. Puis, les économies réalisées grâce aux travaux donnent au maître d’ouvrage les marges financières permettant de rembourser l’avance et les intérêts.
Pas de solution « miracle »
Il ne s’agit en aucun cas – et Christophe Béchu a insisté sur ce point, hier, devant le Sénat – d’une tentative de « réhabiliter les PPP » (partenariats public-privé), dont un certain nombre d’élus gardent à fort mauvais souvenir. En effet, c’est uniquement la réalisation du chantier qui est déléguée, et non la gestion future de l’équipement comme c’était le cas pour les PPP.
Le dispositif n’aura, par ailleurs, rien d’obligatoire : « Nous offrons aux élus un outil dont ils pourront se saisir, ou non », a précisé le ministre de la Transition écologique.
Lors de son examen au Sénat, le texte a été modifié pour apporter « plus de simplicité » dans les procédures car, comme l’a noté Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois, les « contraintes » du dispositif, « inspirées des PPP, seront assez lourdes ce qui limitera l’intérêt du dispositif ». La sénatrice a également modéré un peu l’enthousiasme du ministre, en expliquant qu’il ne s’agit pas d’une solution « miracle » : « Le tiers financeur répercutera sur les acteurs publics le coût de l'avance de trésorerie. Ce dispositif sera donc plus coûteux qu'un financement classique. Toutes les personnes auditionnées nous l'ont dit : les économies d'énergie ne compenseront pas le coût total des travaux. »
Le Sénat a également étendu l’expérimentation aux EPCI et aux syndicats, qui pourraient donc « mener des travaux pour le compte de leurs membres », et jouer, donc, le rôle de tiers-financeurs.
La quasi-totalité des groupes du Sénat s’est prononcée favorablement sur le dispositif, avec plus ou moins de réserves néanmoins – certains sénateurs s’interrogeant sur le risque de création de « mauvaise dette ». Le souvenir de certains PPP et des emprunts toxiques n’est jamais très loin, dans ce type de débats.
Le texte a été adopté à l’unanimité moins les voix du PCF, qui s’est abstenu. Une commission mixte paritaire va maintenant se réunir, et il n’y a guère de raison qu’elle ne parvienne pas facilement à un compromis, sur ce texte plutôt consensuel.
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