Transition du réseau cuivre vers la fibre : les acteurs de la filière attendent « un portage politique » de l'État
Par Lucile Bonnin
Les années se suivent et ne se ressemblent pas forcément. En 2023, lors de cette même conférence annuelle des Territoires connectés de l’Arcep, le gouvernement et l'Arcep mettaient la pression sur les opérateurs concernant le déploiement de la fibre et le décommissionnement du réseau cuivre (lire Maire info du 29 septembre 2023). Aujourd’hui c’est l’État qui a davantage été mis au banc des accusés.
Cette réunion de rentrée incontournable pour l’écosystème de l'aménagement numérique avait marqué un tournant important l’année passée dans la recherche de solutions pour les territoires qui connaissent des retards importants quant à l'arrivée de la fibre.
L’alerte des collectivités et de l’Arcep semblait avoir enfin été entendue par l’État – et notamment par Jean-Noël Barrot qui était alors ministre du Numérique – qui annonçait quelques mois plus tard la signature d’un accord avec l'opérateur Orange (lire Maire info du 9 novembre 2023) visant à relancer le déploiement de la fibre dans les zones où le déploiement a ralenti ou s'est stoppé net.
Un an plus tard, et alors que la phase opérationnelle de la fermeture du réseau cuivre commence, l’enthousiasme a vite laissé place à quelques frustrations. En l'absence d'un gouvernement ces deux derniers mois, l’État semble faire le mort alors que beaucoup de questions restent sans réponse pour réussir la transition du cuivre vers la fibre d’ici 2030.
Qualité des réseaux et surcoûts pour les particuliers
S’il est trop tôt pour mesurer les effets du nouvel accord signé entre Orange et l’État qui doit agir sur le fort ralentissement des déploiements, la problématique des raccordements complexes n’a pas été entièrement résolue, pas plus que celle de la qualité des réseaux.
D’abord, alors que le ministre Barrot avait invité les opérateurs à expérimenter le mode OI (sans sous-traitance) dans les réseaux accidentogènes pour voir si, oui ou non, le mode Stoc joue un rôle dans ces problèmes de qualité, ces derniers rechignent à la tâche.
Pour mémoire, le mode Stoc est depuis longtemps pointé du doigt par l’Avicca et son président Patrick Chaize qui explique que les sous-traitances en cascade détériorent sensiblement la qualité des raccordements. « L’Arcep s’est prononcée plusieurs fois en faveur des expérimentations en mode OI, notamment celles permettant d’expérimenter ce mode dans les communes où le réseau cuivre est fermé, pour les opérations de changement d’opérateur, a déclaré hier Laure de la Raudière, présidente de l’Arcep. J’attends aujourd’hui un engagement plus volontaire des opérateurs sur ce sujet. »
Une autre grande question reste sans réponse. Dans certaines communes, les derniers mètres pour amener la fibre jusqu'aux habitations ne sont pas si simples. Des travaux chez les particuliers sont souvent nécessaires et ils peuvent être particulièrement coûteux allant jusqu’à plusieurs milliers d’euros parfois – la charge financière totale revenant au particulier. À ce jour, aucune solution n’existe pour les particuliers qui ne peuvent pas financer les travaux – et ce alors que le plan de fermeture du réseau cuivre progresse en France.
« La fermeture du cuivre doit se faire à la maille de la commune »
Le plan de fermeture du cuivre d’Orange fonctionne « selon une logique de lots annuels de communes ». Mais déjà des retards sont à prévoir. « Les 200 000 locaux du lot 1 seront fermés techniquement [interruption définitive de tous les services] dans 4 mois, les 900 000 locaux du lot 2 et les 2,5 millions de locaux du lot 3 ont été arrêtés et la liste de 7 millions de locaux du lot 4 est actuellement en phase de partage et de discussions avec les collectivités » , a indiqué Laure de la Raudière.
La présidente a annoncé que « des reports de calendrier seront en l’état à prévoir pour la fermeture commerciale [arrêt de la vente de nouveaux services sur le cuivre] prévue le 31 janvier 2026. Orange a répondu à notre demande et a d’ores et déjà débuté l’information des opérateurs d’infrastructure et commerciaux pour indiquer une première liste de communes qui feront l’objet de report. »
De son côté, le secrétaire général d’Orange, Nicolas Guérin, a indiqué qu’encore 18 000 accès cuivre restaient à fermer dans les communes du lot 1 avant janvier prochain. Sur la fermeture commerciale prévue en janvier 2026, Nicolas Guérin y croit pourtant encore : « On reportera après avoir tout essayé mais il nous reste un an et quatre mois de travail avec les élus ».
Ces « reports » ou « retards », selon les points de vue, ne doivent pas forcément être appréhendés comme une mauvaise nouvelle. Ils confirment que le réseau cuivre ne sera pas fermé si l’objectif de complétude n’est pas atteint.
« La fermeture doit se faire à la maille de la commune, a indiqué Nicolas Guérin. Les premières expérimentations nous ont montré que tous les acteurs doivent être informés, notamment les communautés de communes et les maires. » Pour ne laisser personne au bord de la route, la collaboration avec les élus des territoires est en effet indispensable et tout le monde semble l'avoir maintenant compris, ou presque...
Appel unanime à une portage politique
Opérateurs, représentants des collectivités et Arcep ont appelé à la mise en place d’un « portage politique de la fermeture du réseau cuivre ».
D’abord, sur la question « des travaux à réaliser en partie privative » qui, selon l’Arcep, « concerne de très nombreux de foyers français » , Laure de la Raudière a indiqué dans son discours qu’un « dispositif d’accompagnement des ménages les plus modestes serait bienvenu, mais je laisse ce débat au gouvernement et aux parlementaires… ».
Côté opérateurs, cette question des travaux représente un « réel frein » pour atteindre le 100 % fibre. Nicolas Thomas, directeur général de Free, a indiqué par exemple qu’il fallait « aider les abonnés à réaliser les travaux ».
La présidente de l’Arcep a ensuite souligné la nécessité de mettre en place une communication neutre nationale sur le décommissionnement du cuivre – demande formulée par l’AMF depuis déjà plusieurs années. « Il est l’heure maintenant d'avoir (…) une communication d’État, du gouvernement, a-t-elle lancé. Cela donnera un cadre justifié aux démarches nécessaires des opérateurs, cela permettra aux Français d’anticiper les travaux à faire, cela rassurera sur les solutions de connectivité existante à la place du cuivre. » (lire Maire info du 21 juin).
Si le gouvernement a lancé l’année dernière la plateforme treshautdebit.gouv.fr (une rubrique est dédiée aux élus locaux) force est de constater que cela reste insuffisant. En l’absence de représentants du gouvernement à cette conférence de l'Arcep, impossible de savoir comment l’État souhaite se positionner sur ces revendications qui pourtant ne datent pas d’hier.
Dans l’attente d’une campagne de communication de l’État, l’AMF et l’AVICCA ont souhaité organiser un webinaire sur la fermeture du cuivre le jeudi 17 octobre de 14 h à 16 h. Il sera retransmis en direct sur le site de l’AMF (www.amf.asso.fr) puis disponible ensuite en replay.
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