Décarbonation et collectivités : ce qu'il faut retenir du projet de troisième stratégie bas carbone
Par Caroline Reinhart
Dix ans après les Accords de Paris, que reste-t-il des objectifs climatiques du pays ? Bien que provisoire, la nouvelle trame de la SNBC 3 dévoilée par le ministère de la Transition écologique le 12 décembre pour une « ultime concertation », donne des indicateurs tangibles. Malgré ses 445 pages détaillant secteur par secteur les réductions d’émissions de gaz à effet de serre attendues, le projet du gouvernement s’éloigne de plus en plus de son propre objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.
Concrètement, les ambitions de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont à la baisse dans certains secteurs, dont les transports (92 millions de tonnes en équivalent CO2 (Mt CO2eq) en 2030 contre 90 Mt dans la précédente SNBC), le bâtiment (37Mt CO2eq en 2030 contre 35 Mt) et les déchets (12 Mt CO2eq en 2030 contre 7 Mt). Néanmoins, l’État garde comme cap de réduire de moitié les émissions « hors puits de carbone » d’ici 2030 par rapport à 1990 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050, mais aussi de « garantir la souveraineté énergétique et sortir des énergies fossiles ». Nouveauté de cette version 3, le projet intègre un objectif sur les émissions importées afin de tracer l’empreinte carbone de la France.
« Se fixer des objectifs est primordial, et la publication de cette SNBC était attendue. Mais derrière certains objectifs qui pourraient sembler ambitieux, bien qu’insuffisants, la réalité de la trajectoire de la France laisse craindre des ambitions de façade. Depuis des années, la France ne respecte pas ses objectifs climatiques ; Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs ne se sont jamais saisis sérieusement de l’urgence climatique et sociale, et se sont même placés dans l’illégalité », a ainsi réagi dans un communiqué Nicolas Nace, chargé de campagne Transition énergétique pour Greenpeace France, en référence à l’ « Affaire du siècle », qui a fait condamner l’État pour inaction climatique.
Des COP, peu de fond(s)
Parallèlement à ces ambitions toujours plus insuffisantes face à l’urgence, le document-pavé divisé en 3 parties (SNBC, compléments, annexes) assigne des objectifs toujours plus nombreux et contraignants aux collectivités, qui « représentent 25% des leviers d'action de la planification écologique nécessaires pour réduire de moitié nos émissions brutes [de GES] entre 1990 et 2030 ». « Par le biais de la SNBC, l’Etat fournit ainsi un cadre national que les collectivités territoriales, en tant que coordinatrices de la transition écologique sur leur territoire, appliquent en fonction de leurs spécificités et de leurs activités. », indique encore le document. Compétentes en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme, de mobilité et de logement, « domaines sur lesquels repose la déclinaison de plusieurs orientations nationales de la SNBC », mais aussi premières exposées, les collectivités restent les chevilles ouvrières de l’adaptation au changement climatique.
Parmi les orientations de politiques publiques fixées « pour accompagner la transition écologique dans les territoires », la première est de « renforcer la cohérence entre les documents stratégiques des collectivités et la SNBC 3 », les régions, communes et intercommunalités étant « responsables » de la planification territoriale via l’élaboration des documents réglementaires (PCAET, SRADDET, PLU(i), etc.), leur permettant « de s’inscrire dans une démarche stratégique à long terme, itérative et alignée avec les objectifs climatiques nationaux de la SNBC ».
Lancées en 2023 pour servir la politique de planification écologique de l’État, les COP territoriales dont la « récurrence » est annoncée, doivent servir de cadre de discussion. Outre la tenue de ces COP, l’État s’engage notamment à mettre à disposition des collectivités des données et une méthode de référence pour apprécier « les gains potentiels de GES permis par leurs programmes stratégiques et suivre leurs avancées en matière d’atténuation ». Autant dire peu de choses face aux objectifs assignés aux collectivités et au mur des financements… Sur ce point, ce projet de SNBC 3 confirme le désengagement progressif de l’État du champ de la transition écologique, se défaussant toujours plus sur les collectivités et les ménages, tout en appelant désormais clairement à se tourner vers l’investissement privé.
Seul réel levier financier cité par le document, le Fonds vert doit permettre « d’’amplifier le soutien à l’action des collectivités territoriales, en complément des dotations de soutien à l’investissement des collectivités territoriales, qui font l’objet d’un verdissement ». Mis en place en 2023, ce Fonds ne fait pourtant que fondre au rythme de l’instabilité politique, sans qu’aucun levier pérenne n’assure, pour le moment, les collectivités face aux conséquences du changement climatique (recul du trait de côte, aggravation des risques naturels, etc.). Comble, le projet de SNBC 3 vise au « rééquilibrage des investissements des collectivités ». Et renvoie la balle du financement à la Banque des Territoires (Caisse des dépôts).
Le ZAN, coeur d’une « nouvelle vision de l’aménagement des territoires »
En dépit de ces renoncements et des textes toujours en suspens au Parlement (PPL Trace, etc.), le ZAN en 2050 reste un objectif « structurant » de la feuille de route de l’État, qui annonce par ailleurs vouloir « porter une nouvelle vision de l’aménagement du territoire à l’échelle nationale ». « La réduction du rythme d’artificialisation des sols est un levier structurant pour la SNBC et pour la chaîne de valeur de l’aménagement. Il s’agit d’orienter celle-ci vers le recyclage foncier et la mobilisation du bâti existant (…). Le modèle économique en est modifié : les friches, ainsi que les opérations de renouvellement urbain, peuvent présenter des coûts d’acquisition plus élevés et nécessitent souvent un investissement préalable pour la démolition et la dépollution des sites » , indique le document.
Et pour pallier ces surcoûts, l’Etat s’engage à « garantir et pérenniser des mesures portant sur un aménagement durable, comme par exemple la mesure friche, au sein du fonds vert ou d’autres dispositifs financiers afin d’équilibrer le bilan économique des opérations d’aménagement en recyclage urbain », ou encore à « encourager les collectivités à se doter de stratégies foncières, avec l’appui des établissements publics fonciers et la mobilisation des dispositifs de dissociation de la propriété foncière et de la propriété bâtie ».
Quant aux moyens financiers toujours attendus depuis 2021, le projet de SNBC3 se contente d’annoncer « poursuivre les travaux de réflexion sur le financement du ZAN en s’inspirant de la mission actuelle sur la fiscalité du ZAN confiée à l’IGF et à l’IGEDD », tout en continuant à faire des PPA un remède à ce néant. Autre annonce de l’État à travers ce projet : la poursuite des programmes nationaux « tels qu’Action cœur de ville ou Petite ville de demain ».
Pour Benoit Leguet, directeur d’I4CE, l’Institut de l’économie pour le climat, « avec une électricité décarbonée abondante, nous sommes dans une situation très favorable pour agir, pour le climat mais aussi pour notre compétitivité, notre indépendance énergétique et notre prospérité. Pour cela, il faut renforcer la stratégie en adoptant aussi la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et un budget pour 2026 qui préserve les crédits essentiels. » Sans oublier de « rallumer les moteurs de des investissements climat, qui ont diminué l’an dernier, après dix années de progrès. »
L’adoption par décret de la SNBC 3 est annoncée au printemps 2026, le temps de consulter les instances obligatoires (Conseil national de la transition écologique, Haut Conseil pour le climat, Conseil national d’évaluation des normes, collectivités d’Outre-mer et Corse), l’Autorité environnementale, et le public par voie dématérialisée. Tout peut encore changer.
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