Identification des policiers et gendarmes : le ministère de l'Intérieur rappelé à l'ordre par le Conseil d'ÉtatÂ
Par Franck Lemarc
Le Conseil d’État a été saisi par plusieurs associations de défense des droits civils sur deux questions relatives au maintien de l’ordre : le port du numéro d’identification par les policiers et gendarmes nationaux, et les contrôles « au faciès ».
Port du RIO
La première saisine concerne donc le « RIO » (référentiel des identités de l’organisation), c’est-à-dire le numéro d’identification individuel que doivent obligatoirement porter de façon visible (sauf quelques dérogations) les agents de la police et de la gendarmerie nationales. Plusieurs structures, dont la Ligue des droits de l’homme et le Syndicat de la magistrature, ont demandé au Conseil d’État d’enjoindre le ministère de l’Intérieur à faire respecter cette obligation de façon systématique.
En effet, ont plaidé ces organisations, lors de plusieurs manifestations récentes, des policiers mis en cause pour des violences n’ont pu être identifiés, faute de porter leur RIO ou parce que celui-ci était caché par des éléments tels qu’un gilet pare-balles. Elles ont soutenu, photos et vidéos à l’appui, que l’absence de RIO « ne relève pas de défaillances ponctuelles liées à des comportements individuels mais présente un caractère très répandu », ce que confirme plusieurs rapports de la Commission consultative des droits de l’Homme, de la Défenseure des droits et même des corps d’inspection de la police et de la gendarmerie nationales. Le Conseil d’État a relevé que le ministre de l’Intérieur n’a pas produit « d'élément de nature à contredire l'ampleur de ces cas de défaut de port apparent de l'identifiant individuel ».
Le Conseil d’État enjoint donc le ministère de l’Intérieur à prendre « toutes mesures utiles aux fins d'assurer le respect par les agents de police et de gendarmerie, y compris lorsque l'emplacement habituel de leur matricule est recouvert par des équipements de protection individuelle, de l'obligation de port apparent du numéro d'identification ».
Par ailleurs, les magistrats reconnaissent, comme l’ont soutenu les requérants, que le RIO n’est pas assez lisible ni visible : les sept chiffres sont inscrits en caractères « de 7,6 mm de haut », ce qui « ne garantit pas une lisibilité suffisante dans l’ensemble des contextes opérationnels où (le) port visible (du RIO) est prescrit ». Il est donc exigé du ministère de l’Intérieur qu’il « modifie les caractéristiques de l’identification individuelle, en particulier sa taille ».
Contrôles au faciès : manque d’information
La deuxième décision du Conseil d’État concerne les contrôles dit « au faciès », que des associations (dont Amnesty international et Human rights watch) jugent « systémiques et généralisés ». Cette pratique du contrôle au faciès (« contrôles d’identité discriminatoires fondés sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée » ) est jugée par les associations « discriminatoire ». Elles ont donc demandé au Conseil de prendre des mesures et de mettre en place « une procédure de suivi et d’évaluation de ces mesures ».
Le Conseil d’État ne nie pas l’existence de ces contrôles au faciès : « Sur la base de nombreux éléments et rapports, (…) la pratique de tels contrôles est établie (…) et ne se cantonne pas à des cas individuels ». Ces faits constituent « une méconnaissance caractérisée de l’interdiction des pratiques discriminatoires » et constituent « un dommage pour les personnes qui y sont exposées ».
Néanmoins, cette pratique ne revêt pas non plus selon les magistrats un caractère « systémique ou généralisé ». Le Conseil d’État note que le nombre de plaintes ou de signalements pour contrôle d’identité discriminatoire est « extrêmement faible », et pointe « l’absence de traçabilité administrative des contrôles d’identité effectués sur le territoire et de l’impossibilité qui en résulte de déterminer leur nombre et leur motif ».
Sur ce point, les associations requérantes demandent précisément que la « traçabilité » des contrôles soit améliorée, avec la remise « d’un récépissé de contrôle aux personnes contrôlées » ainsi que via « l’établissement systématique, après chaque opération de contrôle, d’un rapport précisant, notamment, le lieu et la date de l’opération, les nom et matricule des agents étant intervenus, les motifs précis du contrôle ». Seule une telle mesure – forcément très lourde administrativement – permettrait de disposer de données fiables et exploitables.
Sur ce point, le Conseil d’État s’est jugé incompétent : définir de telles obligations relève de « la détermination d’une politique publique », ce qui est le rôle du législateur et non celui du Conseil d’État, dont la mission n’est pas d’écrire la loi mais de contrôler son application.
La requête des associations a donc été rejetée.
Interdiction des manifestations propalestiniennes
Signalons enfin, toujours sur le sujet du maintien de l’ordre, que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé hier l’interdiction générale de toute manifestation « propalestinienne ». Cette annonce a provoqué une certaine surprise, car ce point, aux dires des participants, n’avait pas été abordé lors de la rencontre entre le président de la République et les chefs de partis politiques qui a eu lieu quelques heures auparavant.
Dans un « télégramme » qu’il a adressé aux préfets, dont l’AFP a eu connaissance, le ministre juge que ces manifestations « sont susceptibles de générer des troubles à l’ordre public », et il demande non seulement l’interdiction systématique de ces manifestations mais également « l’interpellation des organisateurs ».
Le même jour, une manifestation était prévue à Paris en soutien de la Palestine. Le préfet de police a interdit cette manifestation, et le tribunal administratif, saisi en référé, a validé cette interdiction, eu égard « au contexte d’extrême violence » en Israël et dans la bande de Gaza, et « aux risques avérés de l’exportation de cette violence sur le sol national ».
Si l’interdiction, cas par cas, de manifestations est une chose, l’interdiction générale prononcée par avance en est une autre, et des voix s’élèvent déjà contre cette décision, notamment pour en interroger la légalité au regard du principe constitutionnel de la liberté de manifester. Certaines personnalités de gauche ont estimé cette décision « contraire aux valeurs démocratiques », regrettant notamment qu’il devienne de ce fait « impossible de manifester pour la paix ». À droite au contraire, on salue globalement cette décision. Le chef de file des LR, Éric Ciotti, a estimé hier que l’État faisait preuve de « faiblesse », dans la mesure où certaines manifestations interdites – notamment à Paris hier – se sont tenues quand même, avant d’être rapidement dispersées par les forces de l’ordre.
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