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Édition du lundi 12 mai 2025
Sécurité

Après le drame d'Évian, quelle réponse face aux rodéos urbains ?

Un sapeur-pompier volontaire est entre la vie et la mort après avoir été volontairement heurté par un conducteur lors d'un rodéo urbain à Évian-les-Bains, samedi matin. Le gouvernement promet de nouvelles mesures face à un phénomène qui s'amplifie.

Par Franck Lemarc

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© Ville de Beauvais

Depuis quelques semaines, avec le retour des beaux jours, les incidents liés à des « rodéos »  – qu’ils soient urbains ou pas – se multiplient. Samedi 3 mai, un conseiller municipal de Gauriaguet, en Gironde, était roué de coups alors qu’il tentait de faire cesser un rassemblement d’une quinzaine de motards. Jeudi 8 mai, la maire d’Assevent, dans le Nord, était insultée et menacée en tentant d’intervenir lors d’un rodéo impliquant trois véhicules sur un parking de sa commune. Vendredi 9 mai, à Bordeaux, à une tout autre échelle, c’est un rodéo impliquant 500 voitures et rassemblant 3 000 personnes qui a été « dispersé »  par une intervention des forces de l’ordre, a annoncé la préfecture.

Et c’est dans la nuit de vendredi à samedi, vers 6 h, à Évian-les-Bains, que des pompiers sont intervenus pour tenter de faire cesser les agissements de deux chauffards effectuant des « drifts »  (dérapages) devant leur caserne. L’un des chauffards a alors, selon le parquet de Thonon-les-Bains, volontairement foncé sur un sapeur-pompier volontaire de 38 ans, qui se trouve aujourd’hui dans le coma. Le conducteur, âgé de 19 ans, était alcoolisé et sous emprise de protoxyde d’azote. 

L’arsenal législatif existant

Les réactions sont nombreuses depuis ce drame, à commencer par celle du Premier ministre François Bayrou qui a dénoncé, évoquant ces rodéos, « une malédiction pour un très grand nombre de maires dans un très grand nombre de villes ». Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a dénoncé « une tentative d’homicide volontaire absolument abjecte ». De nombreux maires sont intervenus dans les médias, ce week-end, pour témoigner des difficultés qu’ils ont à empêcher ce type de rassemblements, ainsi que les nuisances et les troubles qu’ils occasionnent.

Reste à savoir comment mieux lutter contre cette pratique, qui implique souvent des mineurs. 

Plusieurs voix se sont élevées, depuis samedi, pour estimer que les mesures prises par le législateur depuis 2019 sont aujourd’hui insuffisantes.

Pour mémoire, en 2018, le Parlement a adopté un texte sanctionnant spécifiquement les « rodéos motorisés » . Ce texte définit les rodéos comme « le fait d'adopter, au moyen d'un véhicule terrestre à moteur, une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d'obligations particulières de sécurité ou de prudence (…) dans des conditions qui compromettent la sécurité des usagers de la route ou qui troublent la tranquillité publique ». Ce nouveau délit est désormais puni d’un an de prison et 15 000 euros d’amende, peines éventuellement aggravées lorsque les faits sont commis en réunion, en récidive ou sous l’emprise d’alcool et de stupéfiants. 

Des peines complémentaires sont prévues, dont la confiscation du véhicule « si la personne en est propriétaire ». 

Quatre ans plus tard, en 2022, le Parlement a durci de texte dans le cadre de l’examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur. Ils ont notamment ajouté la possibilité de confisquer le véhicule de pratiquants de rodéos urbains même lorsque ce véhicule n’a pas été utilisé lors de l’infraction. 

Un débat avait alors eu lieu au Parlement sur l’idée, proposée par le RN, d’autoriser les forces de l’ordre à procéder à des « contacts tactiques », comme cela existe en Grande-Bretagne, c’est-à-dire à percuter les deux-roues des auteurs de rodéos urbains. Cette proposition avait été rejetée par le Parlement.

Le débat avait aussi porté sur l’usage des drones pour repérer les infractions et sur les poursuites engagées par les policiers et les gendarmes. Plusieurs syndicats de policiers dénonçaient alors, en effet, le fait que leur direction leur « interdisait »  de prendre en chasse les auteurs de rodéos, sauf en cas de « mise en danger de la vie d’autrui ». Gérald Darmain, alors ministre de l’Intérieur, avait qualifié ces déclarations de « fake news » : « Arrêtez de répéter qu'il y a interdiction de poursuivre, il y a autorisation de poursuivre sauf lorsque l'équipage de police considère qu'à un certain moment il met en danger la vie d'autrui », avait déclaré le ministre aux parlementaires du RN. 

Prise en chasse et saisie

Ce débat revient sur le devant de la scène depuis ce week-end, puisque l’actuel ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, l’a relancé. Lors de l’émission Le Grand jury, hier, il a fait le point sur la question des poursuites : « Je vais proposer de nouvelles modalités. En clair, vous avez deux zones, en France. La préfecture de Paris, qui engage des poursuites physiques en cas de rodéo, même s’il faut faire très attention lorsqu’il y a du monde, évidemment ; et puis le reste, en zone gendarmerie et police, où il n’y avait pas de poursuites. »  Le ministre semble donc confirmer ce qui avait été qualifié de « fake news »  par son prédécesseur.

« Je vais donc dans les prochains jours prendre une instruction pour généraliser les poursuites sur les rodéos », a indiqué le ministre. Ce qui pose, pas ailleurs, la question des véhicules dont disposent les forces de l’ordre, la prise en chasse nécessitant des véhicules adaptés, notamment en milieu rural.

Deuxième sujet : la saisie et la destruction des véhicules, dans la mesure où les mesures décidées en 2018 et 2022 n’ont pas suffi à endiguer le phénomène. De plus en plus d’auteurs de ces infractions ont recours à des véhicules loués ou volés, et la saisie de véhicules dont ils sont propriétaires même s’ils n’ont pas servi à commettre l’infraction n’a pas beaucoup d’effet sur des délinquants mineurs n’ayant pas le permis de conduire. 

Gérald Darmanin, garde des Sceaux, a indiqué hier qu’il allait demander plus de fermeté, en exigeant des procureurs qu’ils saisissent « systématiquement les véhicules impliqués dans des rodéos (pour), comme la loi le permet, les vendre ou les faire détruire avant même le jugement ». Bruno Retailleau est sur la même ligne, revendiquant, depuis son arrivée place Beauvau, une augmentation de « 65 % »  de la saisie de véhicules. Il a par ailleurs estimé qu’il « va falloir être très exigeant avec ces garages, ces sociétés qui louent des véhicules. Il faut s’intéresser à ces sociétés, j’ai donné des ordres à ce sujet », a déclaré le ministre, sans préciser la nature de ces « ordres ». 

De nombreux maires, de gauche comme de droite, se sont exprimés ces derniers jours pour demander une évolution de la loi sur ce sujet. La loi de 2018, pourtant très attendue par les maires, n’a finalement pas atteint ses objectifs. Le débat sur le très controversé « contact tactique »  va-t-il être relancé ? Une proposition de loi visant à légaliser cette pratique a en tout cas été déposée, en octobre dernier, par une parlementaire du groupe ciottiste. Mais ni le ministre de l’Intérieur ni celui de la Justice n’ont, pour l’instant, évoqué cette possibilité. 

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