Malgré de fortes dissensions, le Sénat adopte la proposition de loi pour la laïcité dans le sport
Par Lucile Bonnin
Michel Savin, auteur de la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport a déclaré mardi devant les sénateurs que tant que « le port du voile n'est pas explicitement interdit », « il ouvre la porte à l'émergence de clubs communautaires promouvant ouvertement le port de signes religieux » . « Dépassés par les pressions et les menaces, les dirigeants sportifs, responsables associatifs et élus locaux pâtissent d'un flou juridique qui nourrit la confusion, a-t-il ajouté au sein de l’hémicycle. Chacun peut exercer librement sa religion ; mais sur un terrain de sport, lors des compétitions, la neutralité s'impose. »
Si le texte a fait l’objet d'âpres discussions – mettant clairement en lumière les clivages entre la droite et la gauche sur ces questions – il a cependant été adopté par 210 voix pour et 81 voix contre. Il a été transmis à l'Assemblée nationale avec quelques modifications par rapport au texte original (lire Maire info du 18 février).
Burkini et mesures pour les compétitions
« Avec ce texte, vous visez frontalement, lâchement, les femmes de confession musulmane de notre pays » , a déclaré la sénatrice Mathilde Ollivier qui a tenté de dénoncer le caractère « stigmatisant » du texte tout comme plusieurs sénateurs de gauche. Yannick Jadot, sénateur de Paris, a abondé dans ce sens : « Quand la moitié des joueurs brésiliens qui entrent sur terrain se signent, cela ne vous gêne pas... » , a-t-il lancé à l’attention des défenseurs de la proposition de loi.
En effet, l’article 1er, qui propose d’interdire « le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse » lors des compétitions départementales, régionales et nationales, et ce dans tous les domaines sportifs, a été particulièrement contesté.
D’un côté, la gauche estime que cet article « vise une religion donnée, quitte à empêcher de nombreuses jeunes filles de pratiquer le sport de haut niveau, pourtant facteur d'intégration », selon la sénatrice Sylvie Robert ; de l’autre, la droite sénatoriale soutenue par le gouvernement estime que cela « répond à une demande des fédérations elles-mêmes, qui appellent à une clarification et une harmonisation du droit », comme l’a indiqué François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l'Intérieur.
La discussion de l’article 3 n’a pas non plus été l'occasion d'un retour au calme dans l’hémicycle. Cette disposition vise à renforcer « le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les piscines et les espaces de baignades artificiels publics » . Pour la droite, notamment Jacques Grosperrin, sénateur du Doubs, « l'article 3 apporte une réponse législative à la faiblesse de certains élus locaux qui acceptent des tenues aquatiques à caractère religieux dans les piscines. C'est une rupture manifeste de l'égalité de traitement des usagers susceptible de provoquer des troubles à l'ordre public et de nuire au bon fonctionnement du service public avec des créneaux réservés. » Le sénateur fait référence au conseil municipal de Grenoble qui avait adopté en mai 2022 un arrêté autorisant – entre autres – le port du « burkini » dans les piscines municipales et dont l’arrêté avait été annulé par le Conseil d’État. Pour la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, l’article 3 va dans le bon sens : « Entre le hijab, le burkini et le sport, il faut choisir. La neutralité dans le sport est une impérieuse nécessité. »
À l’inverse, la sénatrice Mathilde Ollivier a appelé à « mettre un terme à certaines interdictions abusives de tenues dans les piscines ou les plages. Certaines mairies interdisent le port du burkini sans fondement. Le Conseil d'État a rappelé en 2016 que ces interdictions portent atteinte à la liberté de conscience et à la liberté d'aller et venir. C'est une dérive inquiétante. » Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires a déposé un amendement pour que ces interdictions de tenues de bain ne puissent être motivées que par des raisons d'ordre public ou d'hygiène. Ce dernier a été rejeté, comme tous les amendements déposés par la gauche.
Libre administration des collectivités
Si l’argument a vite été balayé dans les discussions, il est cependant intéressant de le prendre en compte. L'article 2 adopté permet aux collectivités territoriales de déterminer les conditions d'utilisation des équipements sportifs mais exclut leur usage comme salle de prière collective, « sauf disposition temporaire et non préférentielle ».
Pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, cet article « empiète sur les compétences du maire, qui peut déjà interdire un rassemblement religieux en cas de trouble à l'ordre, la tranquillité ou la sécurité publics » , a indiqué le sénateur Bernard Fialaire qui a proposé sans succès sa suppression. « N'ouvrons pas la porte à des contentieux inutiles et à des décisions discriminatoires » , a-t-il lancé.
Pour Jean-Jacques Lozach, sénateur PS de la Creuse, « ce dispositif entre en conflit avec le principe de libre administration des collectivités territoriales » . Face à ces critiques, le rapporteur du texte, Stéphane Piednoir, a accusé les sénateurs de faire « un usage politicien » de cet article 2. Selon lui, « le maire pourra passer un contrat avec une association cultuelle, mais on ne souhaite pas, lorsqu'un équipement est confié à une association pour y faire du sport, que l'usage soit dévoyé. Nulle entrave aux pouvoirs des élus locaux. On ne veut plus qu'un match de foot s'arrête pour prier dans les vestiaires, voire sur le terrain. Si l'équipement a été confié pour faire du sport, une association ne doit pas pouvoir y faire autre chose. »
En réponse au rapporteur, Bernard Fialaire a indiqué avoir déjà été « confronté comme maire à une association sportive qui interrompait ses matchs pour faire des prières. Nous l'avons menacée de lui retirer le gymnase et elle a arrêté. Nous avons donc déjà les moyens d'arrêter ces agissements. » Il fustige un article « superfétatoire » et même « politicien » selon le sénateur PS du Nord Patrick Kanner.
Le gouvernement obtient gain de cause
La position du gouvernement vis-à-vis de ce texte est claire. Au Sénat, le ministre François-Noël Buffet a condamné au début de son intervention « les Hijabeuses » qui « se sont abritées derrière le principe de non-discrimination pour s'affranchir des règles ». « C'est le principe de l'entrisme : faire reculer, étape par étape, les garde-fous de l'universalisme pour installer progressivement une société communautarisée et divisée. Ce n'est pas notre tradition et notre histoire » , a-t-il insisté.
En total accord avec les idées portées par ce texte, le gouvernement indiquait néanmoins avant l’examen de mardi vouloir soutenir cette proposition de loi, « à condition que les amendements de la majorité soient votés. » C’est chose faite. Deux amendements avaient été déposés par le gouvernement et ont été votés : un à l’article 1er propose de « préciser que l'interdiction du port de signes ostentatoires s'impose à toutes les compétitions organisées par les fédérations délégataires de service public, car c'est au nom du service public que le principe de laïcité s'impose » ; et un sur l'article 3 qui propose une « rédaction plus conforme avec l'esprit et la rédaction du Conseil d'État et nos principes constitutionnels ».
Si Michel Savin a indiqué en fin de séance espérer que ce texte soit voté, Patrick Kanner a fait savoir que « si cette loi devait prospérer », le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat saisirait « le Conseil constitutionnel pour vérifier sa constitutionnalité ».
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