Laïcité dans le sport : une proposition de loi examinée ce jour au Sénat
Par Lucile Bonnin
Quasiment une année après son dépôt au Sénat par Michel Savin, la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport revient sur le devant de la scène politique.
En début d’année déjà, le débat sur la laïcité et le port de signes religieux a été relancé par le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau qui annonçait vouloir présenter un projet de loi pour « étendre le champ de la laïcité à d'autres espaces publics » et d'interdire le port du voile pour les accompagnatrices de sorties scolaires (lire Maire info du 8 janvier). Le ministre s'était alors exprimé « à titre personnel » et le Premier ministre a déclaré ne pas le suivre sur ce point.
Dès aujourd’hui, la laïcité est de nouveau à l’agenda du Parlement avec le début de l’examen de ce texte de 4 articles qui concerne les collectivités territoriales à plusieurs titres. Le gouvernement, cette fois, a indiqué vouloir soutenir cette proposition de loi, à condition que les amendements de la majorité soient votés.
Étendre le principe de laïcité à tous les sports
La proposition de loi préconise, à l’article 1er, d’interdire « le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse » lors des compétitions départementales, régionales et nationales, et ce dans tous les domaines sportifs. La disposition ne porte donc pas, pour le moment, sur la pratique en entraînement par exemple.
Aujourd'hui en effet, en l'absence de loi sur ce sujet, les règles sont fixées fédération par fédération. Le principe de neutralité n’est pas imposé par de nombreuses fédérations en compétition, comme le handball ou le rugby, contrairement au football ou au basket. Pour Stéphane Piednoir, rapporteur de la proposition de loi et sénateur du Maine-et-Loire, la mise en œuvre du principe de laïcité dans le domaine du sport est aujourd’hui trop hétérogène : « Des divergences d’approche sont source d’une confusion de nature à fragiliser les principes fondamentaux de la République. » Ainsi – et partant du principe que les « fédérations sont demandeuses d’un cadre législatif clair qui les protège et conforte leurs décisions et celles de leurs intervenants sur les terrains de sport » – le texte porterait cette interdiction dans les 120 fédérations agréées et dans leurs organes déconcentrés, les ligues professionnelles ainsi que les associations affiliées.
Le texte propose aussi (à l’article 4) de permettre la réalisation d’enquêtes administratives préalables à la délivrance de la carte professionnelle d’éducateur sportif. « En l’état actuel du droit, un individu fiché dans le cadre de la prévention de la radicalisation à caractère terroriste peut en effet se voir délivrer une carte professionnelle d’éducateur sportif », précise le sénateur du Maine-et-Loire.
Équipements sportifs des collectivités
L’article 2 du texte vise à interdire les prières collectives dans les locaux mis à disposition par les collectivités territoriales en vue d’une pratique sportive. « Un tel usage constitue en effet un détournement de finalité », estime le rapporteur qui a fait adopter un amendement en commission pour préciser que les locaux attenant à l’équipement sportif considéré sont également concernés et qu’au-delà de la seule prière, tout usage de type religieux de ces locaux est interdit.
Concrètement, l'article 2 permet aux collectivités territoriales de déterminer les conditions d'utilisation des équipements sportifs mais exclut leur usage comme salle de prière collective, « sauf disposition temporaire et non préférentielle ». « Cette mesure est très importante pour éviter que les infrastructures sportives publiques ne deviennent des lieux de culte, ce qui pourrait exacerber les divisions communautaires », estime le sénateur Pierre-Antoine Lévi.
Les sénateurs du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires se sont opposés en commission à cet article. « Son objectif - interdire l'usage exclusif d'un équipement sportif à des fins cultuelles – est déjà satisfait par le droit en vigueur. Le Conseil d'État estime en effet de jurisprudence constante qu'une commune peut autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, l'utilisation, par une association pour l'exercice d'un culte, d'un local communal, "à l'exclusion de toute mise à disposition exclusive et pérenne" », expliquait la sénatrice Mathilde Ollivier. Ainsi l’interdiction d’un usage exclusif des équipements sportifs comme « salle de prière collective » est déjà satisfait et ne requiert donc pas l'intervention du législateur selon les sénateurs qui condamnent également le fait que ce terme fasse « référence à une religion en particulier ». L’article 2 avait finalement été adopté, ses défenseurs estimant qu’on « ne peut accepter qu'un match de football soit interrompu pour que les joueurs aillent faire leur prière dans les vestiaires ». « Au lieu d'attendre que de telles situations se généralisent, prenons dès maintenant des mesures législatives », défendait le rapporteur. Des amendements de suppression sur ce point ont encore été déposés en vue de l’examen du texte au Sénat.
La commission avait aussi adopté en juin 2024 un article additionnel prévoyant la possibilité pour le préfet de suspendre l’agrément d’une association sportive qui se soustrairait délibérément aux obligations fixées dans ce texte.
Interdiction du burkini, acte II
L’affaire du port du burkini qui avait provoqué tant d’émoi en 2022 refait surface. Petit retour en arrière : le conseil municipal de Grenoble avait adopté en mai 2022 un arrêté autorisant – entre autres – le port du « burkini » dans les piscines municipales. La décision avait rapidement été attaquée par le préfet, sur demande du ministre de l’Intérieur de l’époque qui n’était autre que Gérald Darmanin. Un mois plus tard, le Conseil d'État confirmait l’annulation de cet arrêté.
Aujourd’hui, la proposition de loi ravive le souvenir de cet épisode politique houleux. L'article 3 vise à renforcer « le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les piscines et les espaces de baignades artificiels publics ». Considérant la décision du Conseil d’État comme la validation d’une extension ciblée du principe de neutralité, le rapporteur considère que cette disposition est une continuité logique « d'un point de vue juridique ». L’article s’appuie même sur la jurisprudence du Conseil d’État qui statuait dans son ordonnance sur le fait que le gestionnaire d’un service public « ne peut procéder à des adaptations qui porteraient atteinte à l’ordre public ou qui nuiraient au bon fonctionnement du service, notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, elles rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l’égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l’obligation de neutralité du service public. »
Les sénateurs LR espèrent donc voir cette décision du Conseil d’État se transformer en une interdiction générale du port du burkini dans les piscines et les espaces de baignade artificiels publics. La question des plages est laissée de côté. Rappelons qu’en 2016, le Conseil d’État avait cassé des « arrêtés anti-burkinis » pris par un certain nombre de maires de villes balnéaires. Depuis, les arrêtés municipaux de ce genre n’ont cessé d’être déposés chaque été et ont été chaque fois retoqués par les tribunaux administratifs. Les plages n’étant pas directement liées au domaine du sport, on peut supposer que cette question, aujourd’hui devenue un marronnier, sera abordée dans le projet de loi annoncé par Bruno Retailleau en début d’année.
Pour l’heure, les discussions autour du texte qui commencent aujourd’hui risquent d’être agitées entre ceux qui pensent que la loi de 1905 est remise en question aujourd’hui dans le domaine sportif et ceux qui désapprouvent cette vision. Maire info reviendra sur le sujet au fil de l'examen de ces textes.
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